
LE YOUNG VIC est très actif, surtout en productions de spectacles. Le principal critère dans le choix des productions est tout simplement le goût de mes collègues et le mien. J’aime différents styles théâtraux – les nouvelles pièces, les anciennes, les pièces accompagnées de musique, les comédies musicales, les opéras – donc notre répertoire est large. La seule restriction que nous avons est que si nous lisons quelque chose à propos de la pièce dans un journal et que nous ne nous disons pas : « C’est une pièce que j’ai vraiment envie de voir », alors nous ne la produisons pas. Nous ne produisons que des spectacles auxquels nous accorderions personnellement une soirée au théâtre et qui, sans nous, ne seraient représentés nulle part ailleurs.
L’autre critère, qui est même plutôt une règle, est que chaque spectacle que nous créons doit donner l’opportunité à quelqu’un de faire quelque chose qu’il n’a jamais faite avant. Un jeune metteur en scène ayant la possibilité de travailler dans un plus grand espace, par exemple, ou avec une plus grande équipe, ou alors un metteur en scène expérimenté faisant un travail d’un style entièrement nouveau, ou, comme le spectacle qui se joue actuellement, un célèbre metteur en scène européen travaillant en anglais pour la première fois. La jeune personne dont nous admirons le talent et qui dirige son premier spectacle professionnel ou Patrice Chéreau faisant sa première production en anglais font donc tous deux partie de la même grande idée : un théâtre qui met en danger. Nous espérons ressentir plus de peur que notre public, tout en leur transmettant une partie de cette tension.
Cette règle rend chaque spectacle différent du précédent. Dans la saison actuelle, un classique de Tennessee Williams est suivi d’une nouvelle adaptation musicale d’un roman racontant un massacre dans une petite ville texane. Celle-ci est suivie d’une reconception radicale d’un opéra de Monteverdi, qui est elle-même suivie d’une pièce de Jon Fosse prenant place au milieu de la mer. Pour chaque spectacle, nous essayons d’imaginer quel public l’auteur ou le compositeur aurait voulu toucher. Généralement, il n’y a qu’une seule réponse : tout le monde. Tous les auteurs écrivent pour le monde entier – pour qui d’autre ?
Donc, avec nos petits moyens, nous tentons d’attirer le monde dans notre bâtiment. Nous maintenons les prix des places aussi bas que possible, nous offrons dix pour cent des tickets aux voisins, quelle que soit la pression au guichet, et nous travaillons durement pour avoir un public le plus varié possible : noirs, blancs, riches, pauvres, jeunes, vieux, habitués du théâtre et ceux qui n’ont jamais pensé y mettre les pieds.
Notre théâtre se trouve dans un quartier mixte de Londres où des maisons très chères côtoient d’énormes lotissements sociaux. Nous voulons que le public dans le théâtre soit le même que celui que nous croisons quotidiennement dans la rue. Un tiers de nos revenus vient de fonds publics, donc nous voulons que « le public » sente que notre théâtre est le leur aussi. Qu’ils s’y sentent chez eux. Lorsque nous l’avons rénové, nous voulions que la façade soit en grande partie en verre. Le foyer se trouve dans la rue (mais protégé de la pluie). Tout ceci rend le Young Vic assez unique à Londres. Nous sommes attentifs à ce que le spectacle que nous avons créé satisfasse le public que nous avons créé pour le spectacle. Rien d’autre n’a d’importance à part cet instant précieux intensément ancré dans le présent.
En bref, nous espérons que ce théâtre soit un endroit chaleureux et accueillant, d’émerveillement et de découverte. Nous voulons qu’il soit une source d’intelligence, d’énergie et de plaisir. Nous voulons créer l’angoisse que quelqu’un pourrait ressentir en se dirigeant vers l’inconnu : qui sait ce qu’on verra après ?