De la pédagogie au théâtre documentaire

Entretien
Théâtre

De la pédagogie au théâtre documentaire

Entretien avec Françoise Bloch

Le 18 Jan 2012
Agathe Bouvet dans Une société de services, mise en scène Françoise Bloch. Photo Antonio Gomez Garcia.
Agathe Bouvet dans Une société de services, mise en scène Françoise Bloch. Photo Antonio Gomez Garcia.

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Agathe Bouvet dans Une société de services, mise en scène Françoise Bloch. Photo Antonio Gomez Garcia.
Agathe Bouvet dans Une société de services, mise en scène Françoise Bloch. Photo Antonio Gomez Garcia.

APRÈS son spec­ta­cle GROW OR GO qui scru­tait le milieu des con­sul­tants en entre­prise, Françoise Bloch vient de créer UNE SOCIÉTÉ DE SERVICES, creu­sant le sil­lon d’un théâtre doc­u­men­taire dans une société où le cap­i­tal­isme est désor­mais totale­ment débridé. Ce spec­ta­cle plonge dans le monde du télé­mar- ket­ing où les tra­vailleurs doivent ven­dre à tout prix. Con­stru­it sur des doc­u­ments et des entre­tiens, il pénètre dans l’univers d’un des plus impor­tants opéra­teurs de télé­phonie belge et donne la parole à des employés.
Mais Françoise Bloch est égale­ment péd­a­gogue. Après ses études à l’INSAS, elle enseigne dans cette école pen­dant une dizaine d’années avant de rejoin­dre l’équipe péd­a­gogique du Con­ser­va­toire de Liège par l’intermé- diaire d’Arlette Dupont. Les liens entre le tra­vail dans l’école et celui de la créa­tion du spec­ta­cle sont au cœur de cet entre­tien.

Françoise Bloch : À l’époque, j’ai sen­ti que le fonc­tion­nement col­lec­tif de Liège, l’espace de réflex­ion et de dis­cus­sion ain­si que la façon dont le tra­vail était ques­tion­né me feraient beau­coup avancer. Pro­gres­sive­ment, je me suis donc totale­ment recen­trée sur l’école de Liège. Cela fai­sait dix ans que j’avais ter­miné mes études et j’y retrou­vais des ques­tions tant sur la péd­a­gogie que sur les liens entre le théâtre et « le monde », des ques­tions plus poli­tiques qui m’enrichissaient. Lorsque j’ai com­mencé à don­ner cours au Con­ser­va­toire de Liège, j’y ai été con­fron­tée à un pro­jet péd­a­gogique dont une par­tie fixe, très définie sur le plan théorique, est la base d’un proces­sus péd­a­gogique. L’enjeu était donc de voir com­ment ce que je fai­sais pou­vait s’inscrire et dia­loguer avec un tel pro­jet reposant notam­ment sur des « pas­sages oblig­és ». Dans les débuts, je me suis beau­coup investie dans le point de pas­sage obligé « jeu farcesque ». J’ai dès lors pu con­fron­ter ma pro­pre expéri­ence de ce jeu extraver­ti et satirique avec ce que l’école avait défi­ni comme objec­tifs pour les élèves. Ce faisant, j’ai ajouté, retiré, mod­i­fié ou fondé dif­férem­ment des con­signes de jeu.

Nan­cy Del­halle : La fon­da­tion de ta com­pag­nie le Zoo théâtre en 1997 répond-elle à un désir de tra­vail col­lec­tif ou à un besoin d’accéder à une autre posi­tion insti­tu­tion­nelle ? 

F. B.: Je ne me sen­tais plus bien dans des pro­jets à pro­duc­tion pro­pre des insti­tu­tions. J’avais besoin d’un espace de lib­erté, d’une plus grande autonomie, notam­ment dans la pré­pa­ra­tion des spec­ta­cles, dans l’organisation du temps de créa­tion. Plus la part d’écriture est impor­tante dans un pro­jet, plus elle néces­site l’organisation de moment de plateau en amont des répéti­tions pro­pre­ment dites, c’est com­pliqué à organ­is­er quand la com­pag­nie n’a aucune force de pro­duc­tion. Une con­ti­nu­ité m’est néces­saire qui deve­nait dif­fi­cile à trou­ver. J’émargeais à la Com­mis­sion d’aide aux pro­jets ce qui lim­i­tait cet impératif de con­ti­nu­ité. Très vite, j’ai donc essayé d’avoir une con­ven­tion. En fait, la con­ven­tion change vrai­ment la donne. En sor­tant du pro­jet ponctuel à remet­tre à une cer­taine échéance, on sort aus­si de l’événement. On réflé­chit à long terme sur des ques­tions comme celles du sujet et du lan­gage. Et à cet égard, le tra­vail devient donc con­tinu avec les col­lab­o­ra­teurs. En out­re, le fait de devoir for­muler par avance ce qui va se faire – dans des dossiers remis à la Com­mis­sion d’aide aux pro­jets – dimin­u­ait le désir car en un sens, l’objet était pré­con­stru­it, comme s’il suff­i­sait d’appliquer ce qui était écrit. Cela rédui­sait le champ exploratoire et expurgeait le pro­jet d’une dra­maturgie pou­vant s’inventer dans la répéti­tion. La con­ven­tion a changé forte­ment ma pra­tique.

N. D.: Mais com­ment procéder avec les copro- duc­teurs car le mode de fonc­tion­nement que tu décris implique néces­saire­ment la ren­con­tre, le dia­logue et la rela­tion inter­per­son­nelle avec de poten­tiels copro­duc­teurs ? 

F. B.: Po ur l’instant, cela repose sur une grande con­fi­ance. J’expose un état du pro­jet et mes copro- duc­teurs habituels me font con­fi­ance. C’est une sorte de carte blanche. Cette con­fi­ance qu’il ne faut pas trahir est un moteur pour moi dans le tra­vail. Mais c’est prob­lé­ma­tique lorsque les copro­duc­teurs ne me con­nais­sent pas : je n’ai pas encore trou­vé la façon de bien par­ler de quelque chose que je ne con­nais pas encore. Même si c’est risqué, je trou­ve plus intéres­sant de mon­tr­er un état de tra­vail de façon à ce qu’un dia­logue puisse s’engager sur cet objet « inter­mé­di­aire » même si, par­fois, il a peu à voir avec le résul­tat final.

N. D.: C omment ta pra­tique s’est-elle trans­for­mée à par­tir de l’obtention de la con­ven­tion ?

F. B.: C ’est à par­tir de la con­ven­tion que j’ai com­mencé à tra­vailler sur base de films doc­u­men­taires. Le pre­mier espace exploratoire des pro­jets est resté l’école, mais j’ai pu pro­longer cet espace dans la com­pag­nie via un sys­tème d’ateliers de recherche. Con­crète­ment, je com­mence à tra­vailler au sein du con­ser­va­toire sur des idées ou pro­jets de spec­ta­cle dont je trans­porte des par­ties dans ma com­pag­nie. Par ailleurs, mon but étant d’utiliser chaque pro­jet pour élargir le champ des com­pé­tences de cha­cun, l’enjeu péd­a­gogique s’est égale­ment inscrit dans la com­pag­nie.
Pour mon prochain pro­jet, nous essayons de « prépro­fes­sion­nalis­er » la doc­u­men­ta­tion. Nous avons for­mé un petit groupe de réflex­ion autour de la ques­tion de la pré­pa­ra­tion d’un spec­ta­cle à par­tir des man­ques que nous avions relevés dans les précé­dents et dans le cadre de notre bud­get. Der­rière cette ques­tion, il s’en pro­file d’autres. Com­ment salari­er la pré­pa­ra­tion sur une longue péri­ode ? Com­ment organ­is­er les agen­das car nous sommes tous engagés dans des con­trats à courte durée ?  Par ailleurs, nous bougeons énor­mé­ment en fonc­tion des tournées et des autres engage­ments : com­ment garder la con­cen­tra­tion et la con­ti­nu­ité ? Doit-on annuler une réu­nion si une per­son­ne ne peut y être ? Com­ment assur­er la trans­mis­sion des infor­ma­tions ?

N. D.: Selon toi, s’agit-il de ques­tions nou­velles sous-ten­dues par une compt­abil­i­sa­tion de plus en plus forte dans notre société ?

F. B.: Sans doute les ques­tions économiques sont- elles dev­enues plus impor­tantes. L’allocation de chô­mage, qui représente un « filet », per­met beau­coup moins qu’avant de se loger et de se nour­rir. Les jeunes acteurs sont dans des sit­u­a­tions plus pré­caires. Or, m’est indis­pens­able le car­ac­tère aléa­toire, dilet­tante, de la pré­pa­ra­tion au sens où chaque heure ne doit pas être d’une rentabil­ité mesurable mais où il est pos­si­ble de flân­er dans la doc­u­men­ta­tion. La recherche est faite d’obsession mais aus­si de dilet­tan­tisme. Com­ment tenir compte de cela sans évidem­ment remet­tre en ques­tion la salari­sa­tion ?

  1. Trem­plin, pépites & co, fes­ti­val de théâtre au théâtre de l’Ancre à Charleroi dédié aux jeunes tal­ents. ↩︎

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Nancy Delhalle
Nancy Delhalle est professeure à l’Université de Liège où elle dirige le Centre d’Etudes et...Plus d'info
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