Une école de la liberté

Théâtre
Portrait

Une école de la liberté

Le 29 Jan 2012
Pascale Poirel et Antoine Vitez à l’école de Chaillot en 1988. Photo Fejria Deliba.
Pascale Poirel et Antoine Vitez à l’école de Chaillot en 1988. Photo Fejria Deliba.

A

rticle réservé aux abonné.es
Pascale Poirel et Antoine Vitez à l’école de Chaillot en 1988. Photo Fejria Deliba.
Pascale Poirel et Antoine Vitez à l’école de Chaillot en 1988. Photo Fejria Deliba.

PLUS LA SCÈNE est nue, plus l’action y fait naître de pres­tiges. Plus elle est austère et rigide, plus l’imagination y joue libre­ment. C’est sur la con­trainte matérielle que la lib­erté d’esprit prend son point d’appui. Sur cette scène aride, l’acteur est chargé de tout réalis­er, de tout tir­er de lui-même. Le prob­lème du comé­di­en, du jeu, du mou­ve­ment intime de l’œuvre, de l’interprétation pure est ain­si posé dans son ampleur. Un tréteau nu et de vrais comé­di­ens.

Jacques Copeau. Reg­istres I. 1917

Dès sa nom­i­na­tion à la tête du Théâtre Nation­al de Chail­lot, la ques­tion de l’existence d’une école qui lui soit rat­tachée est posée par Vitez. En témoigne sa let­tre à Jack Lang d’août 811. C’est mer­veille de le voir argu­menter – comme on rêve qu’un min­istre se devrait de le faire – fort d’un des­sein et d’une vision pour l’ensemble de la for­ma­tion de l’acteur en France, inscrivant la néces­sité d’une école à Chail­lot dans une his­toire qui débor­de la sienne pro­pre. Il énonce dans cette let­tre une posi­tion et des propo­si­tions. Lesquelles ont une saveur par­ti­c­ulière dans le con­texte d’aujourd’hui. L’esprit lib­er­taire qui les tra­verse, l’horizon utopique qu’elles dessi­nent, l’intelligence his­torique qui les ani­ment, tout cela sonne encore résol­u­ment mod­erne.
Vitez par la clarté et la clair­voy­ance de ses analy­ses aidait cha­cun d’entre nous à se posi­tion­ner, ori­en­tait les débats. Il est bon égale­ment de relire aujourd’hui ses Douze propo­si­tions pour une École2. Ce jalon utopique de sa pen­sée des­sine tou­jours une ligne de partage essen­tielle entre des pra­tiques péd­a­gogiques antag­o­niques et peut encore inspir­er des poli­tiques publiques en matière d’enseignement artis­tique.
Mais cette affir­ma­tion à l’adresse de son min­istre de tutelle : la néces­sité d’une école comme fer de lance de la cause d’un théâtre, espace pour la défense et l’illustration de son art, poumon de la pra­tique théâ­trale d’un artiste, réser­voir de son imag­i­naire, lieu des esquiss­es ful­gu­rantes et des com­bus­tions lentes pro­pre à son art, tout cela vient de loin.
Et tout d’abord de son his­toire à lui, jeune homme for­mé à l’école de Tania Bal­a­cho­va, l’héritière rebelle du sys­tème Stanislavs­ki. C’est par elle, entre autres, qu’il accé­da à Mey­er­hold et con­tribua par la suite à pro­mou­voir – tout con­tre Brecht – l’homme de la con­ven­tion con­sciente, l’acteur « con­scient du jeu de leur­res qu’il pro­duit ». Il le fera, et à vrai dire était le seul de sa généra­tion à pou­voir le faire, par la maîtrise du russe qu’il avait acquise. Il est celui qui fut en mesure de faire dia­loguer Stanislavs­ki, Brecht et Mey­er­hold avec les hommes du Car­tel, Copeau et Jou­vet en tête. Ain­si pou­vait-il, par exem­ple, sol­liciter le Stanislavs­ki de la dernière péri­ode, celui des actions physiques, et rap­pel­er en guise de para­doxe que la source du jeu est en dehors de vous et non en vous. Ce Grand théâtre d’exercices que réclame et proclame Vitez dès son arrivée à Chail­lot prend sa source dans les exer­ci­ces « scan­daleux » de Tania Bal­a­cho­va. Dans cette approche ludique du plateau et ces jeux de con­traintes et dans le priv­ilège accordé aux actions physiques immo­tivées fondées sur la poé­tique pro­pre à chaque être en scène.
Ce désir d’une École tient bien sûr aus­si à cet Éros péd­a­gogique qui ani­ma Antoine Vitez depuis les com­mence­ments. Lequel Éros, a crû peut-être en pro­por­tion de l’impasse dans laque­lle l’acteur Vitez se trou­va à une époque de sa vie, au chô­mage et sans emploi. Que faire sinon s’entraîner, exercer son imag­i­na­tion au tra­vers d’ateliers, de lab­o­ra­toires, se frot­ter à la mar­i­on­nette, traduire, c’est-à-dire cul­tiv­er « la joie d’inventer sans trêve des équiv­a­lents pos­si­bles : dans la langue et entre les langues, dans les corps et entre les corps, entre les âges, entre un sexe et l’autre…». Une péd­a­gogie réac­tive qui s’invente et se con­stru­it, con­quiert sa méth­ode con­tre les impass­es de la for­ma­tion de l’acteur de son époque et ses pro­pres impass­es dans le méti­er.
Dès son pre­mier ate­lier en 1965, il abor­de Maïakovs­ki dont le matéri­au dra­ma­tique et poé­tique lui per­met déjà de réalis­er cette syn­thèse entre Stanislavs­ki et Mey­er­hold. Plus tard, à l’École Lecoq, il inti­t­ulera son cours « approche du texte ». Le poète et son écri­t­ure est le trem­plin pre­mier de l’invention poé­tique de l’acteur et de l’invention scénique du met­teur en scène. Le théâtre comme texte mais aus­si le théâtre comme acte. Les deux sources du théâtre. Et ce qui est frap­pant, en relisant les notes de cette époque là, c’est de voir qu’il met en mou­ve­ment sa péd­a­gogie au con­tact même de ceux qui sont venus là pour appren­dre. Il ne leur apprend rien. Ils s’apprennent l’un l’autre d’un même mou­ve­ment. De l’élaboration pro­gres­sive d’une péd­a­gogie par l’exercice et la réflex­ion sur le refaire de l’exercice, par la vari­a­tion tou­jours pos­si­ble de l’expression de l’Idée, son incar­na­tion pro­vi­soire, fugi­tive, tou­jours sus­cep­ti­ble d’être con­testée, des­ti­tuée. Mou­ve­ment per­pétuel d’une pen­sée en marche, recherche per­ma­nente d’un déséquili­bre sal­va­teur, source d’une gaîté inex­tin­guible, d’une allé­gresse du faire et du refaire qui est la mar­que fon­da­men­tale de la pra­tique d’Antoine Vitez, à l’École comme en répéti­tion. La joie est l’expression d’une puis­sance. Et son Éros péd­a­gogique libère en l’autre cette joie de faire par la con­fi­ance accordée et ce pacte d’errance qui lie le maître et l’élève dans l’exercice sou­verain d’une imag­i­na­tion.
Son entrée au con­ser­va­toire en 1968 et le développe­ment con­joint de l’atelier théâ­tral d’Ivry en 1972 ren­force cette autorité péd­a­gogique et pré­pare les grandes mis­es en scène à venir. Le tra­vail de l’École ali­mente le tra­vail de la mise en scène. Ces jeunes gens qu’ils croisent alors fer­ont son théâtre, comme il a pu l’écrire, et durable­ment. La jeunesse est son éter­nelle jeunesse péd­a­gogique. Elle ne cesse de provo­quer ses pro­pres inflex­ions dans sa pra­tique de met­teur en scène. L’École n’est pas seule­ment un champ clos à l’abri des ten­ta­tions com­mer­ciales et du tumulte pro­fes­sion­nel, elle est aus­si ce champ de bataille polémique où s’affronte, se con­fronte une idée de l’acteur et du jeu, une éthique du regard, une représen­ta­tion de notre human­ité. Con­cep­tion ecclésiale de son engage­ment péd­a­gogique comme de son engage­ment poli­tique. L’École est à la fois ce monastère en orai­son et ce lieu poreux frap­pé par le vent de l’Histoire, tra­ver­sée par des éner­gies polémiques qu’il s’emploie à favoris­er.

Stéphanie Schwartzbrod, Antoine Vitez et Gilles Blanchard à l’école de Chaillot en 1988. Photo Marie Vitez.
Stéphanie Schwartzbrod, Antoine Vitez et Gilles Blan­chard à l’école de Chail­lot en 1988.
Pho­to Marie Vitez.

Peut-être plus qu’ailleurs, c’est dans la péd­a­gogie que Vitez s’est man­i­festé avec le max­i­mum de lib­erté comme l’a souligné Georges Banu3. Péd­a­gogue lib­er­taire il aura tra­vail­lé au décloi­son­nement des class­es au Con­ser­va­toire, à la trans­ver­sal­ité des pra­tiques, à l’absence de hiérar­chi­sa­tion des enseigne­ments. Jonglant – dans une dialec­tique des con­traires – avec la néces­sité d’une dis­ci­pline extrême.
Il ne s’agissait pas pour lui d’enseigner com­ment jouer mais com­ment être acteur et donc com­ment jouer avec le théâtre. L’enjeu tou­jours : con­quérir un jeu nou­veau. Renou­vel­er l’être en scène en s’affrontant aux plus grands rôles dans l’innocence qui per­met seule d’atteindre l’essentiel. En ce sens, Vitez fut d’abord un grand accoucheur d’acteurs. Sa survie et celle du théâtre en dépendaient. Rela­tion ludique avec la jeunesse partagée par son ami Pierre Debauche, qui l’invita dans les années 70 à venir enseign­er au théâtre des Amandiers à Nan­terre, ébauchant les prémiss­es de l’autre École que Patrice Chéreau plus tard éprou­verait lui aus­si le besoin de fonder.
La jubi­la­tion, l’allégresse, la légèreté du faire et du refaire, se retrou­ve à chaque étape de son par­cours de péd­a­gogue. Il lui faut être comme un enfant qui joue. Mais avec tout le sérieux d’un enfant qui joue. Le cer­cle de l’attention où l’on apprend à déchiffr­er les signes du théâtre matéri­alise cette bien­veil­lance du regard, esquis­sant une péd­a­gogie de la « via pos­i­ti­va », celle qui donne con­fi­ance à cha­cun, ne préjugeant jamais du des­tin des gens, les con­sid­érant pour ce qu’ils sont et non pas seule­ment pour ce qu’ils font.
L’École de Chail­lot, mal­gré l’anarchie de ses com­mence­ments et le car­ac­tère impro­visé de sa mise en œuvre impli­quait un ordre supérieur fondé sur l’imagination et le jeu comme expéri­ence con­tin­uée de la pen­sée. Cette sou­veraineté de l’enfant qui joue, il l’avait éprou­vé tout par­ti­c­ulière­ment à Ivry avec ces ama­teurs mêlés aux pro­fes­sion­nels de son ate­lier. Ce jeu naïf de la con­ven­tion con­sciente est un thème que l’on retrou­ve à la fois chez Brecht et Mey­er­hold. Elle explique pourquoi Vitez péd­a­gogue se com­por­tait de la même façon dans son approche du fait théâ­tral, que ce soit à l’École ou en répéti­tion, avec des ama­teurs, des pro­fes­sion­nels ou des enfants… Sim­ple­ment les lim­ites d’un jeune acteur débu­tant l’entraînait vers le jeu épique fondé sur la dis­tance à l’égard du per­son­nage et de la fic­tion. Mais l’arrivée à Chail­lot l’amène à rééquili­br­er sa posi­tion et la ques­tion de l’incarnation rede­vien­dra pour lui comme il l’écrit dans ses douze propo­si­tions la grande affaire. C’est à cette occa­sion qu’il for­mule ce thème mag­nifique de la réserve d’incarnation dans le jeu de l’acteur.
J’ai pris le temps de rap­pel­er à grands traits ce par­cours du péd­a­gogue parce que l’École de Chail­lot, tel un rameau de Salzbourg dans le tuf de la mémoire théâ­trale, cristallise his­torique­ment beau­coup de choses et qu’elle implique toute une mémoire péd­a­gogique qui se con­fond avec le siè­cle XX et l’histoire de la mise en scène.
Au-delà des argu­ments avancés auprès de Jack Lang, la vérité est qu’Antoine Vitez ne pou­vait pas se pass­er d’une école. Il en allait de la survie de son tra­vail de met­teur en scène. C’est pourquoi il fit l’école de Chail­lot sans l’approbation du min­istère, sans son sou­tien financier, à la marge de son théâtre, dans les marges. Mais il arrive par­fois que « la marge emplisse toute la page ». Parce que c’est à la marge que s’invente et se régénère le théâtre et la poé­tique scénique.
Il s’appuya sur le cer­cle rap­proché de ses col­lab­o­ra- teurs, acteurs, met­teurs en scène qu’il pro­gram­mait sur les scènes de Chail­lot. Yan­nis Kokkos, Pierre Vial, Mar­tine Viard, Jean-Marie Win­ling, Aurélien Reco­ing… Les pre­miers élèves furent coop­tés. D’anciens élèves d’Aurélien Reco­ing et Gérald Robard au Théâtre Blanc migrèrent vers le Tro­cadéro. Plus tard, les orphe­lins de l’aventure Gabi­ly com­plétèrent la bande. Pas de con­cours ni de sélec­tion… juste au plus vite l’ouverture de ce lab­o­ra­toire per­ma­nent au cœur du théâtre : il y avait là une jeunesse qui avait faim de théâtre. Tou­jours cette pul­sion fausti­enne chez Vitez en quête d’énergie et de jeunesse.
Les Douze propo­si­tions pour une École, con­sti­tu­aient un cadre pro­gram­ma­tique, une pro­fes­sion de foi lib­er­taire à rebours des pra­tiques dom­i­nantes en matière de péd­a­gogie. Chaque inter­venant décidait libre­ment du con­tenu de son ate­lier. Les plus proches d’Antoine allaient de toute façon procéder dans le droit fil de ce qu’ils avaient reçu. Enseigne­ment socra­tique par de jeunes artistes en activ­ité. Ils n’avaient pas leur diplôme d’état. Pas de pro­gramme péd­a­gogique con­certé. Ce pro­gramme serait sim­ple­ment chaque année changeant. On affron­terait le haut lan­gage, Molière, Racine, Hugo, Claudel et les con­tem­po­rains bien sûr, et puis Shake­speare, Tchekhov, Piran­del­lo, au grès de la pro­gram­ma­tion du théâtre. Cha­cun, tel un Prométhée voleur de feu, allait à son tour enflam­mer les esprits. Cha­cun à sa façon trans­met­tait ce quelque chose qui brûle et main­tient en vie, donne un sur­croît de vie parce qu’il est fondé sur la lib­erté et la con­fi­ance. Plus tard d’autres vin­rent porter la con­tra­dic­tion. Stu­art Sei­de, Chris­t­ian Col­in, Andrzej Sew­eryn…
Antoine Vitez était un maître non direc­tif : le comble de l’élégance. Il ne croy­ait que mod­éré­ment à une péd­a­gogie proces­sus fondé sur un enseigne­ment poly­tech­nique hiérar­chisé avec ses étapes d’acquisition, il croy­ait à la péd­a­gogie événe­ment, celle qui plonge et con­fronte l’élève aux plus grands textes, aux plus grandes dif­fi­cultés, celles qui fait fric­tion­ner des approches con­tra­dic­toires d’où naît un sur­croît d’intelligence aus­si parce que l’élève est celui-là qui opère les syn­thès­es et invente son pro­pre devenir en héri­ti­er rebelle. Com­ment entre- tenir un rap­port de lib­erté avec le théâtre : c’était aus­si une des fonc­tions de l’École pour Antoine Vitez. C’était aus­si pour lui le com­bustible secret de son pro­pre tra­vail.
Moi qui l’assistais à la scène, je mesurais à quel point en effet l’École était pour lui le plus beau théâtre du monde, et l’espace de la répéti­tion un endroit qu’il quit­tait bien sou­vent les larmes aux yeux : cet espace par­fois mis­érable où s’élaboraient nos plus beaux rêves col­lec­tifs lui était essen­tiel. L’inextricable de la vie, de sa vie, trou­vait là à se dénouer. Ceux d’entre nous qui ont eu la chance de vivre ces moments-là savent à quel point son théâtre doit tout à cet espace de l’invention native, à ce tra­vail en pure perte hors de toute représen­ta­tion d’une fin. Final­ité sans fin de la recherche comme de la répéti­tion. Patient tra­vail sur l’imaginaire des corps et des voix, sur l’éternel con­tes­ta­tion des représen­ta­tions dom­i­nantes du monde. Le lieu d’un déplace­ment de nos attentes. Le lieu et le cadre même ou faire naître, accueil­lir et recueil­lir l’inattendu. Et peut-être que son théâtre, les traces qu’on en garde aujourd’hui, ne sont que le pâle reflet de cette lib­erté sou­veraine qui s’exerçait à la marge.
L’École s’est donc inscrite dans les marges du théâtre. Au départ, pas même un lieu dédié. Plus tard la « régie haute » et son pla­fond bas, froide et si peu gemütlich comme il dis­ait, lieu sans grâce aux­quels sem­blent con­damnés sou­vent les ouvri­ers du rêve théâ­tral. Effer­ves­cence, répéti­tion sauvage des élèves dans les recoins du théâtre. Poil à grat­ter dans la grosse machine à fab­ri­quer du spec­ta­cle. Source de con­flits mul­ti­ples comme peut l’être une man­i­fes­ta­tion de vie dans une insti­tu­tion dont la pente fatale est tou­jours de se scléros­er. Vital­ité viv­i­fi­ante. On lui don­na d’abord le nom d’Ouvroir sur une sug­ges­tion de Georges Gou­bert en écho à l’OuLiPo. Un ouvroir de théâtre poten­tiel jouant et se jouant d’un cer­tains nom­bres de con­traintes. Puis la pro­mo­tion suiv­ante, le mot École s’est imposé (sans doute le sou­venir de Copeau y est pour beau­coup), Antoine la dota d’une assis­tante – Nathalie Chemel­ny4 – pour coor­don­ner l’ensemble et recou­vr­er les men­su­al­ités (cinq cents francs par mois dans mon sou­venir) mod­estes mais néan­moins cap­i­tales pour l’équilibre budgé­taire de l’entreprise.
D’autres col­lab­o­ra­teurs de pas­sage dans la pro­gram­ma­tion du théâtre appor­taient leur con­tri­bu­tion à la vie de l’École. Il y avait donc une cir­cu­la­tion, une porosité totale entre les lieux de pro­duc­tions du théâtre, la salle de répéti­tion et l’École. Chaque instance dévelop­pait sa ligne pro­pre, mais toutes se nour­ris­saient de cha­cune. C’était le bour­don­nement d’une ruche où cha­cun fai­sait son miel de l’autre. Cette école de l’acteur repo­sait sur ce cli­mat créa­teur, cette aven­ture théâ­trale qui, elle-même, réin­vestis­sait un lieu et une his­toire, celle de Jean Vilar et du TNP.
Deux élèves met­teurs en scène se joignirent à la sec­onde pro­mo­tion, ce qui était assez nou­veau pour l’époque. La mar­i­on­nette fut égale­ment présente par­mi les nom­breuses formes explorées dans l’École. Il fal­lut vague­ment instituer une espèce de con­cours. Le bruit s’était répan­du comme une traînée de poudre que c’était là que ça se pas­sait pour les acteurs de demain. Une trentaine d’élèves furent retenus pour la sec­onde pro­mo­tion.
Une école adossée à un théâtre, ayant à sa tête un créa­teur, dis­sémine une cer­taine idée du théâtre. Antoine Vitez ne pré­tendait pas tenir le dernier mot sur la for­ma­tion de l’acteur. Sim­ple­ment la cause de son théâtre impli­quait qu’il trans­mette aux jeunes gens rassem­blés là l’idée qu’il se fai­sait de leurs rôles. Il les reli­ait non seule­ment à son his­toire per­son­nelle mais à celle d’un théâtre et aus­si à la grande His­toire des formes. Il fondait son enseigne­ment sur la mémoire de l’imaginaire, la trans­mis­sion de cette mémoire. Chaque élève se voy­ait, d’une cer­taine manière, élevé à la hau­teur d’enjeux qui dépas­saient, et de loin, son sim­ple pro­jet per­son­nel de devenir acteur. C’est toute une éthique, une pos­ture dans l’échange et le tra­vail col­lec­tif, le partage des idées, la manière de porter la con­tra­dic­tion au cœur de nos cer­ti­tudes. Une école de l’acteur n’avait de sens que si elle s’interrogeait sur le pourquoi de ce qu’elle fai­sait. C’est dans cette capac­ité à désta­bilis­er ses pro­pres con­vic­tions par la jeunesse qu’il côtoy­ait qu’Antoine Vitez gran­dis­sait dans son art.

  1. Antoine Vitez, ÉCRITS SUR LE THÉÂTRE 1, édi­tion établie par Nathalie Léger, P.O.L, Paris, 1994, p. 210. ↩︎
  2. Op. cit., p. 216. ↩︎
  3. Georges Banu, EXERCICES D’ACCOMPAGNEMENTS, L’Entretemps édi­tions, 2002. ↩︎
  4. Après Lil­iane Iri­arte, elle prit le relais.
    On peut lire son très pré­cieux témoignage dans le no 854 – 855 de la revue Europe con­sacré à Antoine Vitez, juin-juil­let 2000. ↩︎
  5. Le Théâtre aux Mains Nues à Paris. ↩︎

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Théâtre
Portrait
Antoine Vitez
2
Partager
Éloi Recoing
Éloi Recoing, écrivain, traducteur, metteur en scène, maître de conférences en Études Théâtrales à Paris...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements