DANS NOTRE ATELIER, nous vivons comme une richesse d’aborder les questions du théâtre par une pluridisciplinarité d’outils de recherche. Le chemin que nous propose Martine Venturelli, qui dirige cet atelier, est pour chacun d’entre nous une aventure singulière, un chemin qui petit à petit nous fait apprécier et partager des « soucis » communs.
En ce qui concerne la voix, par l’approche proposée de travailler dans un premier temps le signifiant de la langue d’un auteur, nous avons découvert combien pouvaient être nuancées les résonances induites par la structure du texte, sa ponctuation, ses allitérations. Cela constituant les prémisses de l’essence d’un rapport musical, pour des auteurs comme Tchekhov, Beckett1.
L’écoute d’abord. Par le corps. L’écoute des voix intérieures, des voix des autres, du dessin et de la matière de la musique. L’écoute ne se réduit pas à l’oreille, ni la voix aux cordes vocales. Le travail de l’acteur nous semble toujours en résonance avec l’auditeur que l’on est, le spectateur que l’on est. Comment soupçonner ce dont on n’est pas encore capable ?
Un travail au pied du texte : « le texte est d’abord dans les pieds » (MV), pour dire que c’est par la danse que le signifiant de la langue est travaillé, donné à entendre et à voir, pour dire que c’est par la chorégraphie que la structure musicale du texte sera rendue sensible, pour nous acteurs, et pour les spectateurs. Nous ne dansons pas sur la musique, c’est dans la musique que notre corps, par ses gestes, ses mouvements et ses déplacements dans l’espace, mémorise et restitue la musique du texte.
Avec ce type d’implication et de mémoire, chacun peut développer et dessiner des danses personnelles, qui nous permettent d’investir autrement la musique du texte ; une autre sorte de partition arrive, qui se décolle du texte proposé. En effet celui-ci se dessine, vit et s’inscrit dans nos corps et sur la scène, de manière personnelle et collective. Commence l’accord et la corps-et-graphie.
Dans la dernière mise en scène où nous sommes rythmiquement plongés dans la nuit2, pour travailler ces voix chacun apprend à cultiver des perceptions corporelles subtiles pour se retrouver dans l’espace acousmatique. Chacun fait le voyage de la genèse de sa voix, jusqu’à ce que la scène devienne un grand corps, dont le souffle et les respirations, avant même le sens, envahissent l’oreille du spectateur.
Chercher aussi plusieurs types de voix en soi (voix de l’enfance, voix féminines, masculines, voix stéréotypées…)3 – ces voix, nous les avons comme retrouvées, à partir d’un travail corporel et non dans une image à atteindre. Le souci est qu’elles sonnent juste, pas seulement au sens musical, mais juste d’une harmonie entre corps, voix et nature de texte.
Un dialogue se tisse, à la fois sonore et silencieux, un accord vibrant progressif sur ce que l’on joue, sur ce qui se joue entre ce que le metteur en scène et les acteurs ne retiennent pas, effacent, aidant à articuler autrement la partition : partition sonore tissée dans son fondement avec la partition chorégraphique et la partition des lumières.
Ce travail sur l’invisible est en lien avec les propositions des voix polysémiques du metteur en scène, qui forment presque un chant, et dont nous avons appris à écouter les silences.
- Ou Shakespeare, Gabily, Joyce, Rabelais… Ou des textes poétiques proposés (Tsvetaieva, Ritsos, Michaux, Dickinson, Tardieu, Verheggen…), comme autant de sous textes. MV a aussi mis en scène PAUL LES OISEAUX, du poète contemporain Erwann Rougé, nous permettant de vivre la poésie autrement que par la lecture solitaire et silencieuse. ↩︎
- CELUI QUI NE CONNAÎT PAS L’OISEAU LE MANGE, texte-partition et mise en scène Martine Venturelli, avec six comédiens et une chanteuse lyrique. Étapes de la recherche présentées à Berlin (Acud Théâtre — Lycée Français — Institut Français), Sibiu (Festival International), Matera-Pisticci (Lucania Film Festival). ↩︎
- Première formalisation de ces questions dans ALICE (Lewis Caroll-Dario Fo), solo polyphonique. Performance proposée par Martine Venturelli pour une actrice Riwana Mer. Anniversaire Lewis Caroll, Palais-Royal, Paris. ↩︎