La tendresse du mouchoir

Théâtre
Critique

La tendresse du mouchoir

Le 18 Nov 2012
Patrick Descamps et Yvette Poirier dans LA THÉORIE DU MOUCHOIR, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Archives et musée de la littérature.
Patrick Descamps et Yvette Poirier dans LA THÉORIE DU MOUCHOIR, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Archives et musée de la littérature.

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Patrick Descamps et Yvette Poirier dans LA THÉORIE DU MOUCHOIR, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Archives et musée de la littérature.
Patrick Descamps et Yvette Poirier dans LA THÉORIE DU MOUCHOIR, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Archives et musée de la littérature.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 115 - Martine Wijckaert - La Balse
115

ÉTRANGE PROJET que d’écrire sur un spec­ta­cle vingt cinq ans après sa créa­tion ! Pourquoi avoir choisi celui-là par­mi la ving­taine de spec­ta­cles réal­isés par Mar­tine Wijck­aert au cours de son énergique par­cours artis­tique ? Sans doute parce que « ce qui touche le cœur reste gravé dans la mémoire » 1. Sans doute aus­si parce qu’à cette époque j’ai invité le spec­ta­cle à Namur dans la salle des Bate­liers que j’avais trans­for­mée en petit théâtre…

Depuis une dizaine d’années, les met­teurs en scènes pra­tiquent ce qu’on appelle com­muné­ment l’écriture de plateau. Un univers visuel métaphorique dou­ble l’écriture textuelle, la com­mente, la per­turbe, par­fois même s’en affran­chit.

Il y a longtemps (au moins depuis LA PILULE VERTE – 1981 –) que Mar­tine Wijck­aert, comme Mon­sieur Jour­dain, fait de l’écriture de plateau sans le savoir ou plutôt en le sachant très bien…

Après avoir mon­té ROMÉO ET JULIETTE, ou plutôt vingt-cinq vers de Shake­speare, Roméo, Juli­ette et un sax­o­phon­iste 2, pré­texte à abor­der la « sidéra­tion » de la ren­con­tre amoureuse, LA THÉORIE DU MOUCHOIR se voulait une approche du cou­ple dans son quo­ti­di­en, mêlant ful­gu­rances et ennui, force dés­espérée et fragilité sol­idaire. La met­teure en scène revendique une démarche roman­tique, épique, lyrique. 3

3 Pas d’approche psy­chologique pour autant. Une propo­si­tion ouverte où le spec­ta­teur peut à cer­tains moments pro­jeter ses pro­pres fan­tasmes ou con­fron­ter la vie de la scène à sa vie intérieure.

Comme tou­jours, il y a dans les spec­ta­cles de Mar­tine une folie créa­trice dont le spec­ta­teur ignore qu’elle a été passée au moule d’une approche rigoureuse, une exi­gence de tous les instants. Quelques phras­es seule­ment émail­lent le spec­ta­cle dont le déroule­ment suit un canevas strict élaboré avec le regard cri­tique de toute une équipe, acteurs com­pris.

Il ne sert à rien de faire le réc­it du spec­ta­cle, ren­du depuis un quart de siè­cle à l’éphémère de son iden­tité théâ­trale.

On peut cepen­dant rap­pel­er des sit­u­a­tions et des images qui ont au cours du temps con­sti­tué la mar­que de l’entreprise Mar­tine Wijck­aert : le choc d’une tra­di­tion artis­tique anci­enne que l’on sent assumée et admirée avec une démarche totale­ment con­tem­po­raine.

Ici, elle n’a pas peur d’ouvrir et de fer­mer le spec­ta­cle par un stan­dard de la musique uni­verselle, le REQUIEM de Mozart, alors que les deux pro­tag­o­nistes descen­dent des cin­tres à l’aide d’une échelle de corde, engoncés dans des armures lour­des de métal, heaume com­pris. Nous ne serons pas pour autant con­viés à un tournoi moyenâgeux. Après une ten­ta­tive infructueuse mais simulée d’acte sex­uel au son du cli­quetis des cuirass­es, l’homme et la femme vont se débar­rass­er pro­gres­sive­ment de leur blindage et se retrou­ver, face à face, pareils à nous, con­fron­tés à leur dou­ble iden­tité : ani­male et sociale.

Le boire et le manger sont sou­vent présents aus­si dans les créa­tions de Mar­tine Wijck­aert ; un spec­ta­cle entier, LA GUENON CAPTIVE (1994), sera même con­sacré à une « buveuse en expéri­men­ta­tion ».

Le repas de LA THÉORIE DU MOUCHOIR est un arché­type du genre. Pour cuisin­er, on fait un trou dans le plateau pour y allumer un feu ; les morceaux de viande sont d’abord étalés sur le bras de l’homme avant d’être dis­posé sur le grill (grille d’un égout par où la femme a ten­té vaine­ment de s’échapper). Alors que nous sommes enfer­més dans un théâtre, tout se passe comme si nous étions emmenés en pleine nature, et pour­tant la femme est en chaus­sure à talons…

Com­ment le cou­ple peut-il résis­ter à l’usure alors que tout se déglingue autour de lui ? Les cloches qui son­nent à toute volée, et le ciel qui tombe lit­térale­ment sur la tête en tas de gra­vats et de sable noy­ant les acteurs sous un amas de débris auront-ils rai­son de leur attache­ment ? Voici qu’Elle se tient en face de Lui et à l’aide d’un mou­choir s’emploie avec la plus grande ten­dresse à essuy­er son vis­age de la pous­sière qui l’a envahi. On les sent très proches l’un de l’autre lorsqu’ils se retour­nent, et dos au pub­lic regar­dent les traces de leur ter­ri­toire dévasté. Noir.

  1. Voltaire. ↩︎
  2. L’heure du spec­ta­cle vari­ait insen­si­ble­ment chaque jour pour se ter­min­er avec le lever du soleil. C’était vingt-cinq ans avant le Cese­na d’Anne Tere­sa de Keers­maek­er, créé à Avi­gnon et à Villers-la-Ville (2011 – 2012) pour le lever du jour. La choré­graphe avait assisté à La Bal­samine en 1987 à la créa­tion de Roméo et Juli­ette↩︎
  3. Voir dans ce numéro mon entre­tien avec Mar­tine Wijck­aert pages 68. ↩︎

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Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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