Gombrowicz, dans le miroir de l’autofiction ?

Théâtre
Portrait

Gombrowicz, dans le miroir de l’autofiction ?

Le 15 Avr 2013
Frédérique Fricker et Vincent Auber dans EN ATTENDANT LE NOBEL, écrit et mis en scène par Ewa Kraska à partir du témoignage de Rita Gombrowicz et des œuvres de Witold Gombrowicz.

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Frédérique Fricker et Vincent Auber dans EN ATTENDANT LE NOBEL, écrit et mis en scène par Ewa Kraska à partir du témoignage de Rita Gombrowicz et des œuvres de Witold Gombrowicz.
Article publié pour le numéro
116

ÉCRIVAIN REDOUTABLE à la plume red­outée, Witold Grom­brow­icz con­tin­ue d’interroger les publics sur sa forme. On le qual­i­fie de mar­gin­al, il se qual­i­fie d’incompris. Dif­fi­cile de le class­er dans un genre lit­téraire, de le ranger dans une classe sociale, poli­tique ou religieuse ; en marge, de la société.

Auteur de trois pièces de théâtre, cinq romans, un recueil de nou­velles, un jour­nal de trois tomes d’environ mille pages, et des chroniques, on ne sait où situer l’écrivain dans le champ lit­téraire, ni à quel genre le rat­tach­er ou dans quelle péri­ode l’intégrer. Son mode d’écriture reste le jeu, ses règles, c’est lui qui les pose mais elles se mod­i­fient à mesure qu’il y joue. Gom­brow­icz brouille les cartes, il trav­es­tit, farde, arrange et s’arrange.

Et parce que son écri­t­ure rejoint le plus sou­vent l’intime, on la rat­tache sou­vent à l’autobiographie. Le temps de son apogée est aus­si celui de la moder­nité, où le sujet laisse place à l’objet, où l’écriture n’est plus tournée vers Dieu mais vers l’homme, où la struc­ture devient insen­sée. C’est une nou­velle ère qui repose la ques­tion du genre auto­bi­ographique et la place du sujet dans la lit­téra­ture.

L’autobiographie prend alors des sig­ni­fi­ca­tions autres. Elle signe un pacte dif­férent de celui, clas­sique, que pro­po­sait Leje­une, un pacte qui repo­sait sur la con­fi­ance et n’accordait pas de place à la duplic­ité des actes ou des paroles. Mais les auto­bi­ographes se lais­sant séduire par la fic­tion et ce qu’elle autorise, per­me­t­tant une val­ori­sa­tion de soi, de racon­ter ce qu’est le per­son­nage sans être directe­ment ce « moi », une fic­tion à tra­vers laque­lle ils peu­vent se sur­pren­dre, se décou­vrir, se redé­cou­vrir, ils ont pro­gres­sive­ment brisé le pacte jusqu’à priv­ilégi­er une mise en jeu réelle du « moi ».

De l’autobiographie en découle un nou­veau terme, un terme con­tem­po­rain, le terme « d’autofiction » qui est rat­taché à « l’autobiographie mod­erne » ou encore à la « Nou­velle Auto­bi­ogra­phie », des ter­mes qui finis­sent par se per­dre dans un « espace auto­bi­ographique ».

Ce néol­o­gisme, inven­té par Serge Doubrovsky en 1977, est la réplique par­faite à l’autobiographie pour la sor­tir des impass­es dans lesquelles elle s’était engouf­frée. Dès lors, l’autofiction devient une mode, por­tant un regard à la fois sur l’être intime et sur l’universel. Elle devient un usage courant, un pré­texte pour mas­quer au mieux un « moi » qui ne saurait en dire trop à son sujet.

Avec l’autofiction, la part d’inventivité et de fic­tion dépasse l’entière vérité et l’authenticité de l’auteur que le lecteur est cen­sée lire à tra­vers la prose ; l’autobiographie évolue ain­si peu à peu vers l’autofiction jusqu’à se per­dre dans la con­fu­sion. L’autofiction devient ce mélange entre le « moi » et la fic­tion où l’écrivain se reflète néces­saire­ment dans le miroir de la fic­tion afin d’y inter­roger un autre vis­age que le sien. Un genre qui évolue sur le mode des sou­venirs d’enfance, des frag­ments de vie mis en action sous le joug de l’art, ses lib­ertés, ses lim­ites. Un « moi » tran­scendé par l’art, trans­for­mé par l’écriture, la créa­tion.

Dans ces années où le Nou­veau Roman est en pleine apogée et la lit­téra­ture une héroïne, où les nou­veaux romanciers tels que Sar­raute, Simon ou encore Robbe- Gril­let, écrivent pour la pas­sion d’écrire, Gom­brow­icz pour­suit sa quête exis­ten­tielle du « moi », ques­tion­né aux côtés du héros, le meilleur sou­tien d’autrefois. Usant des formes de l’intime, faisant de lui le sujet prin­ci­pal de son jour­nal ou encore de ses mémoires (SOUVENIRS DE POLOGNE) et de son tes­ta­ment, il reste un « moi » au-deçà, un « moi » qui n’est pas là pour se racon­ter mais pour com­bat­tre (l’autre et lui-même en même temps), son dou­ble, son dia­ble.

Gom­brow­icz est l’écrivain du « moi », du masque et de la « gueule », ques­tion­nant l’identité, la sienne comme celle d’autrui, et parce qu’il écrit à par­tir de lui comme source orig­inelle tout en restant en lien avec l’Histoire, il sem­ble être l’incarnation même de ce genre nou­veau et même plus.

Évolu­ant vers un mod­ernisme cer­tain, il con­tin­ue de met­tre l’individu sur les devants de la scène, et plus encore de plac­er l’auteur au cen­tre de la lit­téra­ture, faisant de son « moi » le prin­ci­pal enjeu. En trans­gres­sant le genre, il le dépasse, puisant dans les formes anci­ennes (style de la gawe­da, baroque sar­mate, influ­ence Shake­speari­enne) et les mod­ernisant, écrivant non pas pour le plaisir des mots, mais pour défi­er l’individu, tout comme il se défie.

En cela, il est le prati­cien d’une théorie annon­cée, le précurseur d’un genre dans ce qu’il a de plus nova­teur, de plus intéres­sant, dans cette manière d’engager le corps du sujet écrivant, dans l’inséparable duo du « vivre/écrire ».

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Witold Grombrowicz
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Ewa Kraska
Ewa Kraska, 26 ans, docteur en Arts à Paris 3, Sorbonne-Nouvelle, sujet: Le Moi autobiographique...Plus d'info
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