QUATRE ANS après que le cinéma fut entré dans l’âge du parlant et plus de trois décennies après que les images aient été publiquement mises en marche au Salon Indien du Grand Café, la projection d’une locomotive en pleine vitesse a déclenché la panique dans un village de l’autre côté de l’Europe. Aujourd’hui perdu dans les cartes de la Grande Roumanie, l’étrange nom de Georovesti a acquis du renom en animant les sections de divertissement dans la presse autour du monde. Il est devenu synonyme de public qui n’avait jamais vu une représentation de cinéma et il incarnait la réponse négative extrême du spectateur non-initié aux lois du grand écran.
Du point de vue chronologique, la projection de Georovesti semble être le dernier récit du mythe fondateur du cinéma, qui a trait à l’angoisse dominant le public des premières projections de films, analysée par Martin Loiperdinger1, et particulièrement à « l’effet du train »2, syntagme par lequel Yuri Tsivian définit la panique construite par le spectateur lui-même comme réaction aux véhicules projetés vers le premier plan. Le 23 janvier 1931, le New York Times rapporte douze paysans grièvement blessés et la dégradation des agencements de la salle, comme conséquences de l’arrivée des images en mouvement dans un village de Roumanie. Le lendemain, le grand journal de Catalogne La Vanguardia ajoute des détails comme l’isolation complète de ce village quelque part dans le centre du pays. Pendant toute l’année, l’événement serra reproduit dans des journaux comme Camperdown Chronicle d’Australie, Bradford County Telegraph des États-Unis et, bien sûr, de ce côté-ci de l’Europe, comme Nová Doba en Slovénie. Les grands journaux Time, Life et Motion Picture Herald s’étonnaient aussi qu’en 1931 il y eût toujours des gens qui ne savaient pas ce qu’était le cinéma.
Laboratoire de perception du cinéma muet
L’intentionnalité expérimentale cachée derrière la première projection cinématographique dans le village de Georovesti misait sur l’isolation totale de ses habitants, qui n’avaient rien à voir avec le développement du septième art mais aussi, on a toutes les raisons de le croire, avec celui du transport ferroviaire. Ce qui s’est passé à Georovesti – au cours d’un hiver dont la rigueur paralysait le pays – prouve la détermination des organisateurs de créer les conditions, d’observer et de populariser la confrontation unique des paysans avec la plus fascinante des inventions modernes.