BERNARD DEBROUX : Pourquoi as-tu accepté de devenir artiste associé du Festival d’Avignon ? Est-ce le fait de pouvoir créer dans de bonnes conditions ? Est-ce pour défendre une position esthétique par rapport au Festival, en étant associé à sa programmation ?
Stanislas Nordey : Quand ils me l’ont proposé, je ne m’y attendais pas du tout. Ils sont venus à deux, comme à un rendez-vous amoureux. C’était assez joli la manière dont ils me l’ont proposé. Donc déjà le geste m’a poussé à accepter. Quelqu’un qui vient à toi pour te dire :
«j’ai envie que tu m’accompagnes un certain temps », c’est toujours touchant, surtout venant de quelqu’un dont on estime le chemin. Il y a donc cela, tout simplement, qui a motivé mon choix.
Et l’autre raison, peut-être plus importante, c’était le fait qu’on soit deux, Dieudonné et moi. Je ne dis pas que j’aurais refusé si on me l’avait proposé à moi seul, mais cela n’aurait pas été pareil. J’aurais peut-être plus hésité. Tandis que là, l’idée d’être à quatre à inventer un mouvement, le fait de ne pas être seul, mais à plusieurs, m’intéressait. C’est une problématique dans laquelle je suis depuis plusieurs années, le fait de travailler à plusieurs. En témoignent ma collaboration avec Falk Richter, le fait qu’on ait cosigné MY SECRET GARDEN, qu’on continue pour le moment ; mes échanges avec Wajdi Mouawad, avec Pascal Rambert. C’est ce que j’aime à l’opéra aussi, le fait de partager la responsabilité avec le chef d’orchestre. Je suis fatigué d’être tout seul en tant que metteur en scène, position qui est très solitaire, finalement. Il y avait donc quelque chose qui me convenait bien, dans cette proposition.
Il y a aussi le fait qu’on a une histoire très longue, avec Hortense Archambault et Vincent Baudriller, puisqu’on s’est rencontrés au moment où j’ai fait VOLE MON DRAGON à Avignon, quand Vincent Baudriller était attaché de production et Hortense Archambault stagiaire. C’était une aventure importante pour le Festival, pour moi et pour eux. Et puis plus tard, on a eu toute une histoire assez compliquée avec la crise de 2003, des intermittents, puisque j’étais du côté de ceux qui disaient qu’il était important de ne pas laisser passer cette chose- là. J’étais un peu en ligne de front, dans la lumière, parce qu’il fallait bien qu’il y en ait un ou deux qui se sacrifient et prennent cette position-là. Ils n’avaient pas forcément compris ma position, ni moi la leur. C’était donc l’année juste avant qu’ils reprennent la direction du Festival. Ce qui fait qu’après on a été un peu éloignés les uns des autres. J’étais très sceptique, au début, sur la question de l’artiste associé. Et puis, je dois avouer que, petit à petit, j’ai vu qu’il y avait quelque chose qui se creusait. Il y avait une vraie démarche, un vrai sens. Le fait qu’ils invitent à chaque fois des artistes avec des esthétiques vraiment différentes, qu’il y ait comme cela un mouvement très ouvert, me plaisait. Puis, un jour, on s’est reparlés, on a décidé de retravailler ensemble, on a fait DAS SYSTEM de Falk Richter, là-bas, à Avignon. Et là, on a renoué quelque chose de très fort. Ils ont formidablement défendu ce travail, qui n’était pas totalement fini, abouti. Ensuite, un peu par hasard, je suis venu trois ans de suite à Avignon, en tant qu’acteur et metteur en scène. On a renoué un lien sans doute plus fort encore que celui qu’on avait au départ, justement parce qu’on avait traversé ces tempêtes.