GEORGES BANU : Dans quel esprit avez-vous accepté l’invitation de Hortense Archambault et Vincent Baudriller d’être artiste associé pour l’édition 2005 du Festival d’Avignon ? Pour créer des spectacles ? Faire connaître le mouvement théâtral de votre pays ? Défendre une position esthétique ?
Jan Fabre : Pour répondre à cette invitation j’ai voulu créer des spectacles à présenter à Avignon comme dans un lieu de recherche, nullement conservatif ou passéiste. J’ai voulu créer des spectacles comme HISTOIRE DES LARMES autour du sang et des liquides du corps humain ordinaire. De même, j’ai créé des spectacles-manifestes qui portaient sur la situation de l’artiste aujourd’hui : L’EMPEREUR DE LA PERTE, s’inscrivait dans cette lignée. Et LE PLAGIAT s’attaquait à la question essentielle pour la modernité, la question du cerveau sur laquelle je travaille aujourd’hui encore. Mes textes n’avaient rien de classique, il s’agissait des textes d’un artiste qui voulait travailler avec les corps et les mots. J’ai essayé de me présenter comme un artiste à part entière.
Je n’ai pas cherché à œuvrer à la diffusion du théâtre de mon pays. À aucun moment cette préoccupation n’est entrée en ligne de compte.
J‘ai voulu que l’on invite des artistes qui ont une vision comme Romeo Castellucci, Marina Abramovic ́, des artistes qui ont une vision et non pas simplement des gens de théâtre.
G. B. : Qu ’avez-vous retenu de cette expérience ? De nouvelles découvertes ? De nouvelles alliances ?
J. F. : Mo i‑même j’ai élargi le champ de mes expériences et j’ai pu les présenter dans leur entière diversité.
Je ne sais pas si je peux parler de « nouvelles alliances », mais je peux dire que nous, Hortense Archambault, Vincent Baudriller et moi-même, avons accordé des opportunités à de nombreux artistes de se faire connaître et découvrir par un public qui, souvent, les ignorait. Je pense à Gisèle Vienne par exemple,
et bien d’autres.
G. B. : Que ls bénéfices en avez-vous retiré ? Quels obstacles avez-vous dû surmonter ?
J. F. : No us avons créé une rupture dans le champ des arts performatifs. Comme m’a dit Romeo Castellucci, j’ai œuvré à ouvrir beaucoup de portes et cela est essentiel à certains moments de l’histoire de l’art. Mais cette volonté d’élargir et de révéler des artistes a été la source d’une incroyable bataille. Elle ne m’a pas effrayé, je suis un guerrier et je sais combattre, mais je dois dire qu’elle a développé beaucoup d’énergie négative. Je ne regrette rien, sauf le comportement de certains critiques ou gens de théâtre qui ont cherché non pas à produire le scandale, si utile à l’art, mais le spectacle du scandale avec des visées subalternes comme, par exemple, vouloir éjecter les jeunes directeurs d’alors, écarter des artistes nouveaux auxquels on refusait le droit à l’expérience novatrice. Lutter fut excitant, mais pendant l’événement ce fut parfois pénible. Malgré les attaques et les rejets, l’édition 2005 du festival a représenté pour moi et les artistes proches une ouverture pour l’avenir.