Du néobaroque à l’éviscération de l’institution théâtrale : Vegard Vinge, Ida Müller et DAS 12-SPARTENHAUS.

Performance
Théâtre
Portrait

Du néobaroque à l’éviscération de l’institution théâtrale : Vegard Vinge, Ida Müller et DAS 12-SPARTENHAUS.

Le 20 Nov 2013
12-Spartenhaus (Maison des 12 disciplines artistiques) d’après UN ENNEMI DU PEUPLE de Henrik Ibsen, mise en scène Vegard Vinge, Ida Müller et Trond Reinholdtsen, Prater, lieu expérimental de la Volksbühne, 2013. Photo William Minke.
12-Spartenhaus (Maison des 12 disciplines artistiques) d’après UN ENNEMI DU PEUPLE de Henrik Ibsen, mise en scène Vegard Vinge, Ida Müller et Trond Reinholdtsen, Prater, lieu expérimental de la Volksbühne, 2013. Photo William Minke.

A

rticle réservé aux abonné.es
12-Spartenhaus (Maison des 12 disciplines artistiques) d’après UN ENNEMI DU PEUPLE de Henrik Ibsen, mise en scène Vegard Vinge, Ida Müller et Trond Reinholdtsen, Prater, lieu expérimental de la Volksbühne, 2013. Photo William Minke.
12-Spartenhaus (Maison des 12 disciplines artistiques) d’après UN ENNEMI DU PEUPLE de Henrik Ibsen, mise en scène Vegard Vinge, Ida Müller et Trond Reinholdtsen, Prater, lieu expérimental de la Volksbühne, 2013. Photo William Minke.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 119 - Le grand format
119

IL EST DES EXPÉRIENCES théâ­trales qui ne peu­vent pas être cernées par une cri­tique qui érige les œuvres en fétich­es, même si elles se présen­tent comme telles. Les per­for­mances démesurées du met­teur en scène et per­formeur norvégien Veg­ard Vinge et de la scéno­graphe et per­formeuse alle­mande Ida Müller, dont l’esthétique relève du gore et des jeux vidéo d’horreur (du type Splat­ter­house), sont des fétich­es de la post­moder­nité aux allures néo­baro­ques. L’excès, l’autoréférentialité et le recy­clage sont les signes dis­tinc­tifs de ce nou­veau théâtre, à peine émergé et déjà inté­gré dans l’institution théâ­trale dont il abuse des moyens de pro­duc­tion en exac­er­bant son fonc­tion­nement. Le théâtre de Vinge/ Müller est tout sauf com­men­su­rable, tout sauf sai­siss­able, tout sauf descriptible. Il est, tour à tour et en même temps, incon­tourn­able, para­dox­al, total­i­taire, néolibéral, ter­ri­ble­ment agaçant et indé­ni­able­ment génial.

Après des études de théâtre, de lit­téra­ture et de musique et quelques engage­ments comme assis­tant à l’opéra, Veg­ard Vinge ren­con­tre, à la Hochschule der Kün­ste de Berlin, Ida Müller, scéno­graphe et cos­tu­mière avec laque­lle il col­la­bore dès 2004 au Max­im Gor­ki The­ater et au Hebbel The­ater. En 2006, ils met­tent en scène MAISON DE POUPÉE d’Ibsen dans le cadre d’un fes­ti­val auto­proclamé, le Off-Off-Off Ibsen Fes­ti­val qui se tient en marge du Ibsen Stage Fes­ti­val d’Oslo où est célébré le cen­te­naire de la mort du dra­maturge norvégien : une per­for­mance « free style » entre body art, action paint­ing, jeu masqué et esthé­tique gore qui s’achève au bout de douze heures par la destruc­tion inté­grale du décor à la tronçon­neuse. Ce pro­jet inau­gure la SAGA IBSEN et il est suivi en 2007 par LES REVENANTS pour lequel ils obti­en­nent le prix de la cri­tique norvégi­en­ne en 2008. En 2009, ils met­tent en scène LE CANARD SAUVAGE. En 2010,le Con­seil des arts de Norvège leur attribue une sub­ven­tion de douze mil­lions de couronnes (1,5 mil­lion d’euros) pour les qua­tre années suiv­antes. La Volks­bühne leur accorde une rési­dence illim­itée. Avec le sou­tien du Black Box Teater Oslo et du Fes­ti­val de Bergen, le trio com­posé de Vinge, Müller et du com­pos­i­teur Trond Rein­holdt­sen présen­tent LE CANARD SAUVAGE en 2010 à la Volks­bühne, puis JOHN GABRIEL BORKMAN en 20111. Pro­gram­mée l’année suiv­ante au Berlin­er The­atertr­e­f­fen 2012, cette per­for­mance compte une soix­an­taine de par­tic­i­pants aux­quels s’ajoutent des dizaines de sta­giaires des ate­liers de la Volks­bühne.

En mai 2013, Vinge, Müller et Rein­holdt­sen créent, d’après UN ENNEMI DU PEUPLE du même Ibsen, 12-SPARTENHAUS (ce qui sig­ni­fie « Mai­son des douze dis­ci­plines artis­tiques ») au Prater, lieu expéri­men­tal de la Volks­bühne (Pollesch, She She Pop, Gob Squad y sont passés), fondé en 1992 dans une anci­enne brasserie située sur la Kas­tanien­allee dans le quarti­er du Pren­zlauer Berg. Le 4 mai, soir de la pre­mière, les portes restent pour­tant clos­es. Qua­tre heures durant, les spec­ta­teurs atten­dent dans le foy­er l’ouverture du 12-SPARTENHAUS, hyper­bole de l’institution alle­mande avec ses douze dis­ci­plines de l’art vivant. Habitués aux per­for­mances de longue durée, ils espèrent vivre une expéri­ence inédite, voire psy­chédélique, une nuit pleine de bruit et de fureur, sig­nifi­ant tout ou rien. L’événement a été ardem­ment anticipé, longue­ment pro­gram­mé, savam­ment orchestré. Et puis, rien – ou presque.

En entrant dans le théâtre, on perçoit la trans­for­ma­tion com­plète de l’espace : le som­bre foy­er du 12-SPARTENHAUS ressem­ble à une mai­son han­tée, à une boîte de nuit goth­ique aux allures de chapelle néo­baroque en faux mar­bre, entière­ment repeinte en noir et hachurée de nervures blanch­es. Une musique assour­dis­sante agresse le spec­ta­teur dans ce pre­mier cer­cle de l’enfer. Trois employés de la Volks­bühne s’entassent dans la bil­let­terie du Prater pour assur­er la vente des bil­lets. Au-dessus d’eux, dans une cab­ine vit­rée, une fig­ure masquée en blanc avec à ses côtés une poupée éven­trée assise sur une chaise. Il s’agit vis­i­ble­ment du directeur du 12-SPARTENHAUS qui répète en boucle : « Das Pub­likum ! Das Pub­likum ! » La voix est enreg­istrée, défor­mée, ampli­fiée, et les mou­ve­ments sac­cadés, robo­t­isés. Nous voici en présence d’avatars tout juste sor­tis de jeux vidéo : une sorte de Sec­ond Life de l’institution théâ­trale nous attend.

En face de l’entrée (réelle) du théâtre, des portes vit­rées fer­mées don­nent sur un escalier menant au 12-SPARTENHAUS. En haut de l’escalier se tient, immo­bile, une fig­ure en cos­tume-cra­vate arbo­rant un masque de gorille et por­tant des gants en latex pourvus de longues griffes. En con­tour­nant la bil­let­terie, on longe un comp­toir offrant des tartines beur­rées et de l’eau sous un écriteau indi­quant But­ter­brote und Tee­wass­er. À l’arrière, on perçoit une sorte de chem­inée vit­rée dans un mur sur lequel est inscrit Die ide­ol­o­gis­che Wand (« Le mur idéologique »). Dans le mur attenant, une fenêtre per­met d’observer une salle d’opération dans laque­lle une fig­ure masquée, en blouse blanche, les mains plongées dans un cadavre, pra­tique une autop­sie dont les bruits sont ampli­fiés comme dans un jeu vidéo gore. Le médecin (le doc­teur Stock­mann ?) procède à une échogra­phie des organes et vis­cères avant de les remet­tre dans l’ouverture béante du torse. À côté de lui, sur un lit d’hôpital, est allongé Volk­er Spen­gler, acteur con­nu de toutes les expéri­men­ta­tions de la Volks­bühne, prob­a­ble­ment en attente de sa pro­pre autop­sie.

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Performance
Théâtre
Portrait
Vegard Vinge
Ida Müller
5
Partager
Angela Konrad
Angela Konrad est docteure en arts du spectacle ( elle a rédigé sa thèse sur...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements