IL Y A DES ARTISTES qui émeuvent par tout ce qu’ils font, comme Pina Bausch, Francis Bacon, Louise Bourgeois, Alain Platel. Patrice Chéreau, mort à 68 ans, fait bien sûr partie de ces géants. Avec une créativité sans cesse renouvelée jusqu’au bout, il a su, en parlant parfois de ses névroses les plus intimes, en touchant tant de formes artistiques différentes, atteindre un universel et nous émouvoir. Rarement un artiste procurait tant d’émotions et tant de joies. Le rencontrer nous rendait à la fois plus intelligent, plus ouvert sur le monde et plus humble à l’écoute du bruissement des hommes.
On se souvient de ses lectures, seul en scène, de la légende du grand Inquisiteur de Dostoïevski, disant à Jésus, en prison : « L’homme est faible et lâche. Les hommes se sont réjouis d’être de nouveau conduits comme un troupeau. Sous notre houlette (l’Église), les hommes seront heureux et renonceront à se révolter. » On l’a vu aux Tanneurs à Bruxelles en 2011, et l’an dernier au festival d’Avignon, lire COMA, un texte bouleversant de Guyotat, sur « un mal que je sais depuis l’enfance être celui de tous les humains, à savoir de n’être que cela, humain, dans un monde minéral, végétal, animal, divin ». Patrice Chéreau vivait, incarnait, souffrait ce texte. Il tremblait sur ses jambes et, après le salut final, il était même tombé sur scène, pris par un texte qui nous touche tous, et plus encore les artistes si souvent saisis par le doute, qui frôlent l’angoisse d’où peut surgir une étoile.