L’installation sans fin : CREMASTER CYCLE de Matthew Barney

Performance
Critique

L’installation sans fin : CREMASTER CYCLE de Matthew Barney

Le 14 Nov 2013
Marti Domination dans THE CREMASTER CYCLE (CREMASTER 1) de Matthew Barney, 2003. Photo Michael James O’Brien.
Marti Domination dans THE CREMASTER CYCLE (CREMASTER 1) de Matthew Barney, 2003. Photo Michael James O’Brien.

A

rticle réservé aux abonné.es
Marti Domination dans THE CREMASTER CYCLE (CREMASTER 1) de Matthew Barney, 2003. Photo Michael James O’Brien.
Marti Domination dans THE CREMASTER CYCLE (CREMASTER 1) de Matthew Barney, 2003. Photo Michael James O’Brien.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 119 - Le grand format
119

L’œu­vre CREMASTER CYCLE rejoue la genèse de l’homme, en se situ­ant dans un micro­cosme organique. L’univers sug­géré par Matthew Bar­ney est local­isé dans un mus­cle cen­tral de l’appareil repro­duc­teur mas­culin (plus spé­ci­fique­ment dans les tes­tic­ules) auquel le titre de l’œuvre réfère directe­ment. Lieu d’indifférenciation des gen­res, lieu d’indifférenciation de l’homme et de la matière, CREMASTER ques­tionne les sources de la vie et les fron­tières entre les sex­es en faisant émerg­er de ce micro­cosme un macro­cosme : « body becomes land­scape, and land­scape becomes a body1 ». L’œuvre se pro­pose comme « self-enclosed aes­thet­ic sys­tem2 » nous indique Nan­cy Spec­tor : un monde bref. Bien plus qu’un sim­ple film de longue durée, c’est bien par l’interrelation de médi­ums, de matéri­aux et un tra­vail de mise en scène présen­tant cha­cun des cinq films qui se con­cré­tise par l’aména- gement du musée par des sculp­tures, des pho­togra­phies, des dessins et des instal­la­tions que prend forme CREMASTER CYCLE. Œuvre insé­para­ble de son con­texte de présen­ta­tion, tout comme de son con­texte de pro­duc­tion qui se car­ac­térise aus­si par l’implication de l’artiste Matthew Bar­ney se livrant à des per­for­mances physiques s’inscrivant dans le sil­lon du body art. À ce titre, le pro­jet est qual­i­fié de « body-cen­tric projects ». Gigan­tesque mise à l’épreuve du corps par le biais de la fic­tion, CREMASTER CYCLE utilise les corps dans leur réal­ité et leurs muta­tions pos­si­bles pour rejouer une his­toire qui ne cesse de renou­vel­er les ambiguïtés de la vie organique et de l’artificiel. L’ensemble du con­texte de pro­duc­tion et d’exposition donne à voir la mise en scène d’un univers com­plexe se déploy­ant dans l’espace et le temps, une instal­la­tion sans fin.

Les modes de pro­duc­tion de CREMASTER CYCLE tien­nent de la surenchère, de la démesure : le tra­vail menant à l’œuvre com­plète est étalé sur plus de huit ans et par­ticipe au gigan­tisme de l’œuvre.Le tour­nage des films s’apparente aux mégapro­duc­tions ciné­matographiques améri­caines : équipe de pro­duc­tion, usage de tech­nolo­gies et d’effets spé­ci­aux, déplace­ment sur des sites spé­ci­fiques, pris­es de vues com­plex­es et bud­gets exor­bi­tants encou­rus. D’ailleurs, l’œuvre est jalon­née de références à l’âge d’or du ciné­ma améri­cain. La mégapro­duc­tion ciné­matographique devient ici une métaphore pour don­ner l’ampleur et l’exubérance au monde de Bar­ney. Les méth­odes de pro­duc­tion sont à la mesure du pro­jet démi­urgique de Bar­ney qui se rap­porte à la pro­duc­tion de la vie et à la maîtrise de l’énergie chao­tique du désir. Pour ren­dre compte de cette énergie, il emprunte à un imag­i­naire qui se rap­porte à la pro­duc­tion indus­trielle, ain­si, il illus­tre la dépense à tra­vers une cer­taine mise en scène du cap­i­tal­isme et de ses rit­uels en met­tant l’emphase sur leur aspect spec­tac­u­laire. On pense notam­ment aux man­i­fes­ta­tions sportives (foot­ball, voiture de course) ou au show rock, roy­aumes rit­u­al­isés : de la com­péti­tion, de l’exhibitionnisme et de l’idolâtrie. L’œuvre fait aus­si allu­sion plus large­ment à la péri­ode indus­trielle : bal­lons dirige­ables Goodyear, auto­mo­biles, con­struc­tion du Chrysler Buld­ing. Les logos et les mar­ques loin d’être évincés y pren­nent place avec clarté, tout autant que le CREMASTER CYCLE développe son pro­pre design et ses logos pour cha­cun des films, tra­vail­lant à inté­gr­er cette cul­ture de masse à son pro­pre tra­vail. Toute­fois, l’univers de Bar­ney est inquié­tant et révèle les zones trou­bles de l’énergie libid­i­nale, mêlant tous les gen­res du gore au music hall, de l’opéra au heavy met­al. Ain­si, une dimen­sion brute, vio­lente s’amalgame à une imagerie fan­tai­siste, mais trou­ble. Bar­ney mélange adroite­ment des références à l’imaginaire et à l’histoire pop­u­laire améri­caine avec des réc­its mythiques réin­ven­tés dans lesquels des créa­tures inquié­tantes et grotesques, mi-homme, mi-bête, expri­ment les ten­sions du désir à la source de la vie. Il met en scène une icono­gra­phie qui traduit les ten­sions à l’origine de la vie, cela, en évo­quant l’imaginaire et la cul­ture nord-améri­caine : du Bron­co Sta­di­um au Chrysler Buld­ing, du rodéo à la voiture de course, d’Ursula Andress à Gary Gilmore. Matthew Bar­ney dresse une généalo­gie qui emprunte au réel et à l’imaginaire, un por­trait pos­si­ble et impos­si­ble de l’Amérique, hor­ri­ble et fab­uleux. Les modes de pro­duc­tion eux-mêmes tien­nent de la dépense et par­ticipent à cette épopée métaphorique, mais aus­si lit­térale dans les proces­sus qu’elle met en place.

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Performance
Critique
Matthew Barney
2
Partager
Véronique Hudon
Véronique Hudon, est doctorante au programme d’études et pratiques des arts à l’Université de Québec...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements