Créer au cœur de la cité

Entretien
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Créer au cœur de la cité

Entretien avec Yves Sambu

Le 1 Juil 2014
Yves Sambu (collectif SADI), SAPE, Kinshasa. Photo Martin van der Belen.
Yves Sambu (collectif SADI), SAPE, Kinshasa. Photo Martin van der Belen.
Yves Sambu (collectif SADI), SAPE, Kinshasa. Photo Martin van der Belen.
Yves Sambu (collectif SADI), SAPE, Kinshasa. Photo Martin van der Belen.
Article publié pour le numéro
Couverture du 121-122-123 - Créer à Kinshasa
121 – 122-123

Bernard Debroux : Com­ment êtes-vous venu au monde artis­tique et quel est le sens et la démarche de votre tra­vail de créa­tion ?

Yves Sam­bu : J’évolue dans le col­lec­tif SADI (Sol­i­dar­ité des artistes pour le développe­ment inté­gral), qui est un col­lec­tif de jeunes artistes à la recherche de nou­velles formes et expéri­men­ta­tions d’interventions artis­tiques. Chaque créa­tion artis­tique se con­stru­it en rap­port avec une sit­u­a­tion, ou une pop­u­la­tion don­née. Nous avons nom­mé notre démarche inter-influ­ence parce que nous esti­mons que l’œuvre d’art, dans notre con­texte social, a un rôle de vecteur de com­mu­ni­ca­tion. Grâce à l’art, cette com­mu­ni­ca­tion peut se faire en dehors de tout statut social, avec n’importe qui, même un min­istre.

On dit sou­vent que les artistes dit engagés sont dans la cri­tique et la con­damna­tion du sys­tème poli­tique et social (le gou­verne­ment, la société, etc.) et que s’ils étaient eux-mêmes au pou­voir ils feraient pire encore. Les don­neurs de leçons ne sont pas des exem­ples. Au lieu de don­ner des leçons, nous, nous voulons con­va­in­cre à tra­vers des dia­logues. L’inter-influence est basée sur le dia­logue. C’est la base de notre démarche. On doit trou­ver des out­ils com­muns. Un acte posé par l’artiste pour sus­citer des inter­ro­ga­tions.

Nous voulons dia­loguer avec la pop­u­la­tion pour qui les con­cepts d’art, d’exposition, sont très étrangers alors que c’est notre champ d’intervention. Quelqu’un de Kin­shasa qui fait des tableaux sur la guerre qui se déroule à l’Est alors qu’il ne l’a jamais vécue est sou­vent jugé très sévère­ment. Alors quand il va présen­ter son tra­vail en Europe…

Donc, pour nous, le pre­mier inter­locu­teur, c’est la pop­u­la­tion qui est avec nous, en face de nous. Notre tra­vail con­siste à aller vers cette pop­u­la­tion, en écoutant ce qu’elle dit, en essayant de vivre sa sit­u­a­tion pour en par­ler et la décrire du mieux pos­si­ble. Ça instau­re une sincérité chez l’artiste que la pop­u­la­tion ressent tout de suite. C’est un débat. Et la pop­u­la­tion y con­tribue. Du coup l’art lui par­le directe­ment. SADI est un groupe de huit per­son­nes. Trois d’entre elles ne sont plus avec nous en ce moment : deux sont en France et l’autre vient de par­tir en Chine pour y faire des études de céramique. Nous sommes donc cinq ici, en Afrique.

Cha­cun a son médi­um, sa dis­ci­pline. Ce qui est inté- ressant, c’est de tra­vailler ensem­ble à tra­vers une démarche com­mune. Moi, j’interviens par la pho­to et la vidéo. Didi­er Besongo pra­tique le théâtre : aujourd’hui il émerge via les stand-up et présente ses spec­ta­cles à Braz­zav­ille. Fran­cis Ten­da tra­vaille la trans­for­ma­tion d’objets quo­ti­di­ens. Mais en même temps, on n’est pas unique­ment l’artiste d’une dis­ci­pline. Nous nous con­sid­érons comme des artistes « hors forme », parce qu’à par­tir d’une idée, nous réfléchissons au medi­um qui pour­rait le mieux en ren­dre compte, que ce soit un tableau, une pho­to ou une vidéo… Cette nature de touche-à-tout, on l’a appelée « hors-for­mat ». Nous nous focal­isons prin­ci­pale­ment sur la vie de la société. Pour l’un de nos pro­jets, nous sommes par­tis en rési­dence dans une cité qui subis­sait beau­coup d’érosion, dont les bâti­ments et les maisons s’étaient effon­drés, et dont on a com­mencé à repein­dre les murs. L’idée était pour nous de pein­dre l’angoisse de cette pop­u­la­tion, celle de la cité uni­ver­si­taire de Kindele. On voulait au départ immor­talis­er en images et en vidéos ce qui restait de cette cité, mais finale­ment on a repeint les maisons avec ce qu’on retrou­vait du con­texte his­torique dans ces habi­ta­tions : des papiers, des notes, aban­don­nés. On a ten­té de restituer l’Histoire sur les murs. La pop­u­la­tion était intriguée et des dis­cus­sions se sont engagées. Les enfants sont venus écrire eux-mêmes sur les murs. Les gens du quarti­er se demandaient si notre démarche était spon­tanée ou si nous étions poussés par d’autres, s’il y avait de l’argent d’organismes inter­na­tionaux, par exem­ple. Ils ne savaient pas
com­ment nous situer. C’est quand on leur a expliqué qu’ils ont adhéré à notre démarche et sont venus tra­vailler avec nous.

On a ensuite créé un comité qui a pris en charge les prob­lèmes locaux. Un dia­logue s’est instau­ré avec la pop­u­la­tion, les autorités cou­tu­mières, le gou­verneur… Aupar­a­vant, les jour­nal­istes pas­saient avec leur caméra et envoy­aient des mes­sages dés­espérés à la télé. Il n’y avait plus d’espoir dans ces espaces-là. L’érosion était partout, comme sur la route nationale !
Nous sommes allés voir les autorités, et, à notre grande sur­prise, ils ont admis qu’ils avaient une part de respon­s­abil­ité dans la sit­u­a­tion actuelle, parce qu’ils avaient ven­du des ter­res sans se préoc­cu­per du cadas­tre, et que ça avait créé des prob­lèmes. Il y a eu une prise de con­science dans le pub­lic avec lequel nous dis­cu­tions, et cha­cun sem­blait prêt à pren­dre ses respon­s­abil­ités.

Nous avons approché le gou­verneur, je lui ai expliqué notre idée et il l’a com­prise. Je lui ai dit qu’il n’était pas respon­s­able des cat­a­stro­phes naturelles, que tout ça avait com­mencé avant qu’il soit gou­verneur. La pop­u­la­tion aus­si avait con­science de sa part de respon­s­abil­ité. Mais au final, la grande route a été recon­stru­ite en par­tie. Là aus­si, l’idée de l’interaction a fonc­tion­né.

C’est ce genre d’expérimentation que nous menons : notre inter­ven­tion est éphémère, mais elle laisse aus­si des traces.

B. D. : Com­ment en êtes-vous arrivés à avoir votre pro­pre espace, ici, au Mont des Arts ?

Y. S. : Nous louons cet espace et notre con­trat de bail s’achève à la fin de cette année. Grâce à la bourse attribuée par la Coopéra­tion Belge du développe­ment il y a cinq ans, nous avons pu con­stru­ire ce petit hangar mul­ti fonc­tion­nel de 12 m² et un bureau, qui nous sert non seule­ment d’atelier pour nos expéri­men­ta­tions et créa­tions con­tem­po­raines, mais aus­si de lieu
de ren­con­tre d’hommes et de femmes intéressés par la cul­ture.

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Yves Sambu
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Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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