Les Béjarts. Rassembler des énergies, travailler ensemble

Entretien
Théâtre

Les Béjarts. Rassembler des énergies, travailler ensemble

Entretien avec Papy Maurice Mbwiti

Le 21 Juil 2014
Papy Mbwiti dans Et si on te disait indépendant de Marie-Louise Bibish Mumbu et Papy Mbwiti, Lubumbashi, 2010. Photo D. R.
Papy Mbwiti dans Et si on te disait indépendant de Marie-Louise Bibish Mumbu et Papy Mbwiti, Lubumbashi, 2010. Photo D. R.
Papy Mbwiti dans Et si on te disait indépendant de Marie-Louise Bibish Mumbu et Papy Mbwiti, Lubumbashi, 2010. Photo D. R.
Papy Mbwiti dans Et si on te disait indépendant de Marie-Louise Bibish Mumbu et Papy Mbwiti, Lubumbashi, 2010. Photo D. R.
Article publié pour le numéro
Couverture du 121-122-123 - Créer à Kinshasa
121 – 122-123

Bernard Debroux : Com­ment êtes-vous venu au théâtre ? Quelles for­ma­tions avez-vous suiv­ies ?

Papy Mau­rice Mbwiti : J’ai com­mencé le théâtre très tôt. À l’école mater­nelle, comme tous les enfants, j’ai débuté par la poésie, puis, à l’école pri­maire, je suis devenu acteur. Je m’inscris dans la lignée du pal­abre, de l’oralité, de la parole. Mon grand père s’appelait Ngo­ma, qui veut dire « tam-tam » et était un Mpovi, celui qui mod­ère les pal­abres. J’ai été élevé entouré de paroles, de proverbes, de beau­coup de poésie et de beau­coup d’humour. Mon père est un grand ora­teur. Tout cet envi­ron­nement m’a fait naturelle­ment entr­er dans la vie théâ­trale. Dès l’école pri­maire, puis à l’école sec­ondaire, j’ai inté­gré une com­pag­nie de théâtre. Je n’ai plus cessé depuis de jouer.

J’ai pour­suivi des études générales et obtenu mon bac, puis un diplôme de péd­a­gogie. J’ai étudié les Sci­ences Poli­tiques et Admin­is­tra­tives à l’université de Kin­shasa où j’ai obtenu une licence en rela­tions inter­na­tionales en 2004. Durant tout ce temps, je con­tin­u­ais à faire du théâtre. Aujourd’hui je suis coor­di­na­teur et directeur artis­tique de la com­pag­nie des Béjarts.
For­mé au con­tact de nom­breux met­teurs en scène de Kin­shasa, notam­ment Nono Bak­wa et Jean Sha­ka de l’écurie Mal­o­ba, qui sont des fig­ures impor­tantes du théâtre de notre pays, j’ai été invité dans cette com­pag­nie pen­dant un an, tout en con­tin­u­ant à faire par­tie des Béjarts. J’y ai tra­vail­lé aux côtés de la jeune met­teure en scène Astrid Ami­na. Au théâtre Nation­al, j’ai joué sous la direc­tion de Jean-Pierre Mukoko et à l’Institut Nation­al des Arts de Kin­shasa, j’ai tra­vail­lé avec le pro­fesseur Ndun­du. Au théâtre des Intri­g­ants, j’ai par­ticipé à La Dérive, mis en scène par l’honorable Miten­do Mwa­di. J’ai aus­si été l’assistant du met­teur en scène Nzey Van Musala. Ma ren­con­tre avec Faustin Linyeku­la, choré­graphe et met­teur en scène de théâtre visuel a été déter­mi­nante. J’étais à un moment de mon par­cours où je voulais remet­tre en ques­tion les vieilles méth­odes de créa­tion : faire du théâtre en prenant une pièce déjà écrite, se réu­nir pour en dis­cuter – et sou­vent ces dis­cus­sions n’étaient pas très pro­fondes ni per­ti­nentes – repar­tir pour appren­dre le texte et ne revenir que pour jouer… Pour Les Béjarts, je fai­sais et con­tin­ue encore aujourd’hui à faire ce qu’on appelle du théâtre d’intervention sociale et d’éducation civique. C’est le pro­jet de la com­pag­nie : nous traitons de thèmes d’actualité qui touchent directe­ment la société et la pop­u­la­tion. Faustin Linyeku­la m’a per­mis de faire le lien entre mes ques­tion­nements per­son­nels, en tant qu’homme, citoyen et artiste, et une autre manière de créer sur un plateau de théâtre. Avec Faustin, on a beau­coup tra­vail­lé les ques­tions du corps, de l’espace, des adress­es au pub­lic, de la dra­maturgie. J’ai eu la chance d’être assis­tant met­teur en scène de Faustin à la Comédie Française pour Bérénice, de Racine. Nous avons tra­vail­lé ensem­ble pen­dant qua­tre mois avant que le spec­ta­cle ne parte en tournée. J’ai beau­coup tra­vail­lé avec le KVS dès son arrivée à Kin­shasa en par­tic­i­pant à des dis­cus­sions, des échanges, des ate­liers, notam­ment autour du spec­ta­cle Mar­ti­no. Ce qu’il y avait d’intéressant dans cette ren­con­tre avec le KVS, c’est que les rap­ports avaient tout à fait changé : ce n’était plus un rap­port nord-sud, un rap­port ver­ti­cal, mais un rap­port hor­i­zon­tal. C’était une ren­con­tre entre des artistes, des per­son­nal­ités inno­vantes. On avait déjà eu affaire à des struc­tures insti­tu­tion­nelles comme le Cen­tre Cul­turel Français ou le Cen­tre Wal­lonie-Brux­elles de Kin­shasa, qui sont des sou­tiens impor­tants aux artistes mais là, la démarche m’a sem­blé dif­férente. Dans le spec­ta­cle Mar­ti­no mis en scène par Raven Ruëll, il y avait des Belges d’origine con­go­laise, comme Mwan­za et la mag­nifique comé­di­enne Car­ole Kare­mera, d’origine rwandaise. C’était un moment très fort parce qu’à l’époque, il y avait des ten­sions entre nos deux pays. Pour moi les ten­sions étaient dépassées grâce à cette comé­di­enne épatante, telle­ment belle et jouant mer­veilleuse­ment bien ! C’était une ren­con­tre au-delà des clichés, au-delà des infor­ma­tions, au-delà des images toutes faites : je redé­cou­vrais le Rwan­da autrement.

Je décou­vrais aus­si des artistes d’origine con­go­laise qui jouaient en Europe, alors qu’on m’avait tou­jours dit que par­tir en Europe met­tait fin à la car­rière. Après une intense série d’échanges et d’ateliers, avec Raven Ruëll puis Johan Dehol­lan­der, nous avons mis en place le pro­jet À L’attente du livre d’or. Pour le réalis­er, nous avons tra­vail­lé à Kin­shasa, lors de plusieurs ses­sions avec de nom­breux artistes, met­teurs en scène, dra­maturges, puis nous sommes allés tra­vailler en Bel­gique, au KVS à Brux­elles, puis au théâtre Cam­po à Gand. Deux actri­ces jumelles Bar­bara et Ste­fanie Claes ont inté­gré le pro­jet, ain­si que Nico Boun. C’était une très belle équipe, une belle ren­con­tre qui a don­né nais­sance à un spec­ta­cle épous­tou­flant, primé comme l’une des meilleures créa­tions néer­lan­do­phones de 2010, ce qui a per­mis au spec­ta­cle de tourn­er en Bel­gique et aux Pays-Bas. En tant qu’auteur, j’écris des textes imprégnés de philoso­phie et de poli­tique. Ce que j’écris est incisif, ce sont des paroles pour la scène, il faut les amen­er sur un plateau, leur don­ner forme à tra­vers des corps, à tra­vers des artistes, des inter­prètes, des comé­di­ens et des musi­ciens. Nous avons mis en place en 2009 un pro­jet d’écriture à trois : Marie-Louise Bibish Mum­bu, auteure et amie, un com­plice de tra­vail, Jonathan Kombe et moi. On se retrou­vait chaque same­di pour écrire ensem­ble autour du thème de l’indépendance. Les textes ont été achevés pour le 30 juin, jour de la célébra­tion de l’indépendance du Con­go, à une année du cinquan­te­naire de l’indépendance.

  1. Il y a deux ver­sions pos­si­bles des ini­tiales du nom de la com­pag­nie : Béjarts peut-être l’acronyme de Bons
    Élé­gants Jeunes ARtisteS ou Beaux Élé­gants Jeunes ARtisteS. ↩︎
  2. Voir entre­tien avec Marie-Louise Bibish Mum­bu, ↩︎
  3. Dambi­asa Moyo, Aide fatale, Les rav­ages d’une aide inutile et de nou­velles solu­tions pour l’Afrique, Édi­tions J.-C. Lat­tès, 2009. ↩︎
Entretien
Théâtre
Papy Maurice Mbwiti
Partager
Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous avez aimé cet article?

Aidez-nous a en concocter d'autres

Avec votre soutien, nous pourrons continuer à produire d'autres articles de qualité accessibles à tous.
Faites un don pour soutenir notre travail
Soutenez-nous
Chaque contribution, même petite, fait une grande différence. Merci pour votre générosité !
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements