Mbanza* te mais awa nde ! (ça sert à rien d’aller en Europe, c’est ici que ça se passe)

Entretien
Performance

Mbanza* te mais awa nde ! (ça sert à rien d’aller en Europe, c’est ici que ça se passe)

Entretien avec Mega Mingiedi

Le 6 Juil 2014
Carte imaginaire de Kin par Mega Mingiedi
Carte imaginaire de Kin par Mega Mingiedi
Carte imaginaire de Kin par Mega Mingiedi
Carte imaginaire de Kin par Mega Mingiedi
Article publié pour le numéro
Couverture du 121-122-123 - Créer à Kinshasa
121 – 122-123

C’est un plas­ti­cien incon­tourn­able dans la dynamique des col­lec­tifs kinois. Son tra­vail exprime une grande lib­erté imag­i­naire. Il n’attend pas de ses conci­toyens la recon­nais­sance qu’il a déjà acquise à l’extérieur. Ren­con­tre avec Mega Mingie­di.

Mar­tin van der Belen : Peux-tu retrac­er ton par­cours, ce qui t’a amené à devenir artiste à plein temps…?

Mega Mingie­di : Enfant, je dessi­nais tout le temps. Par terre, sur des car­nets, mes cahiers. On m’encourageait à le faire. Les profs à l’école fai­saient même appel à moi pour que je vienne dessin­er sur les tableaux des autres class­es. Logique­ment, j’ai été inscrit au lycée des Beaux- Arts, puis à l’Académie, juste à côté… J’ai choisi l’option sculp­ture. J’ai eu le goût de tra­vailler le bois à tra­vers un maître, Guy Lema. Aux Beaux-Arts, je pense avoir reçu une bonne for­ma­tion tech­nique. Par­mi les pro­fesseurs, l’un d’eux fai­sait vrai­ment preuve d’ouverture sur l’art de recherch­es qui évolu­ait alors à l’extérieur. Kaman­da Tum­ba, aujourd’hui par­ti tra­vailler à Braz­zav­ille, nous a fait décou­vrir cette lib­erté à tra­vers des livres, des revues, des vidéos. Et l’art du recy­clage, qu’on y voy­ait, m’a par­ti­c­ulière­ment ten­té. J’ai alors beau­coup tra­vail­lé des tech­niques à base de rebus, comme le papi­er mâché. D’année en année, j’ai com­pris ce qu’est le méti­er d’artiste, cela me stim­u­lait de plus en plus. En 2003, l’installation Wen­ze wen­ze a fait l’effet d’un déto­na­teur au sein des col­lec­tifs qui com­mençaient à s’activer. Ce qui était au départ une per­for­mance avec quelques car­cass­es de voitures dans les jardins des Beaux- Arts s’est trans­for­mé en une mon­tagne de ces épaves qui trainaient alors dans les rues de Kin. Et autour de ça s’est organ­isé spon­tané­ment un véri­ta­ble fes­ti­val. Comme si les étu­di­ants avaient déclenché un feu incon­trôlable, défi­ant l’académisme de l’enseignement artis­tique et le besoin d’espace et de lib­erté revendiqué par les jeunes. C’est devenu un moment fon­da­teur pour toute la généra­tion d’artistes qui était en train d’émerger. Eza Pos­si­bles1 est né dans ce tour­bil­lon. C’est un col­lec­tif kinois rassem­blant au départ cinq artistes plas­ti­ciens, sculp­teurs et pein­tres autour d’une cer­ti­tude : « C’est pos­si­ble de sec­ouer l’art con­tem­po­rain et de le faire descen­dre dans la rue, dans la vie, dans la réal­ité des Kinois ». Patou Nsim­ba, Eddy Ekete, Fred­dy Yombo Mutombo, Pathy Tshin­dele et moi-même avons mon­té ce col­lec­tif pour échang­er, inter­peller et inté­gr­er l’art con­tem­po­rain dans la vie des gens. L’art comme reflet du quo­ti­di­en, mais aus­si comme sup­port de réflex­ion… De 2006 à 2008, je suis allé étudi­er à l’École supérieure des Arts déco­rat­ifs de Stras­bourg. Comme neuf autres Con­go­lais de ma pro­mo­tion, on s’est retrou­vés en France, grâce à une bourse inscrite dans le cadre du parte­nar­i­at exis­tant entre ces deux étab­lisse­ments artis­tiques. C’est là où j’ai fini mes études…

M. v. d. B. : Cette fin de par­cours académique en France a été une expéri­ence impor­tante pour affirmer ton iden­tité d’artiste, non ?

M. M. : Oui, effec­tive­ment, ça a été un pas­sage impor­tant. Bien que désta­bil­isante au début, l’expérience m’a appris à devenir pro­fes­sion­nel… Les trois pre­miers mois à Stras­bourg ont été assez dif­fi­ciles. Il m’a fal­lu du temps pour com­pren­dre com­ment ça fonc­tionne, trou­ver mes repères. On nous demandait de la réflex­ion et de la rapid­ité d’exécution, un nou­veau défi pour nous. Mais en con­tre par­tie, on nous demandait de pro­pos­er des choses. C’est une péd­a­gogie de lib­erté partagée entre pro­fesseurs et élèves. On n’y était pas habitué. Et comme en plus, on nous demandait de respecter les délais, ce n’était vrai­ment pas évi­dent. Une fois cette étape dépassée, je me suis ren­du compte que nous les Con­go­lais on avait un avan­tage sur les autres élèves : on pos­sé­dait déjà beau­coup de pra­tique et cela com­pen­sait que nous ne soyons pas des lit­téraires… Avec Eddy Ekete, qui vit aujourd’hui en Europe, nous étions dans l’option « objets trans­ver­saux ». On vous y apprend à crois­er les dis­ci­plines. Ma pre­mière instal­la­tion, par exem­ple, représen­tait une pirogue, en alliant le design, l’objet et la pho­to. Tan­dis qu’au final de cette année-là, j’ai présen­té un mémoire et une instal­la­tion. J’avais déjà acquis un jar­gon artis­tique et une approche plus con­ceptuelle. On nous a appris à appro­fondir
un sujet, mon­ter et fig­nol­er un pro­jet. Cela a beau­coup com­plété ma for­ma­tion ini­tiale par de bonnes bases. J’en retiens que l’artiste ne doit pas unique­ment rester dans son ate­lier, qu’il doit rester ouvert et être engagé dans la société. J’ai gardé le con­tact avec cer­tains profs et des anciens étu­di­ants de l’époque. Non seule­ment parce que l’école de Stras­bourg organ­ise un suivi pour les artistes qui en sor­tent, mais aus­si parce que ces per­son­nes représen­tent des références dans ma car­rière, et je n’hésite pas à les con­sul­ter dans les grandes étapes de mon tra­vail…

De retour à Kin, on a pu partager ici ce qu’on avait appris là-bas, avec les futurs bour­siers en par­tance pour Stras­bourg. On nous avait promis un statut d’assistant, mais mal­heureuse­ment, rien n’a suivi. Il sem­ble que c’est ver­rouil­lé du côté des oppor­tu­nités académiques. Pour­tant, on pour­rait bien y con­tribuer en tant qu’intervenants tem­po­raires. On a beau­coup de choses
à dire. Ce que nous avons ramené comme bagages, c’est du savoir et ça vaut bien plus que du matériel… Cer­taines per­son­nes n’ont pas vrai­ment com­pris pourquoi je suis ren­tré, surtout que je n’ai jamais acheté de voiture, ni de mai­son. Elles me voient comme un fou, déjà un peu mundele. Et le fait que je roule à vélo con­firme cette folie, car Kin­shasa est dev­enue très hos­tile à ce moyen de trans­port, oubliant qu’il était celui de la majorité des Con­go­lais dans les années soix­ante…

  1. Eza Pos­si­bles : col­lec­tif, plate­forme qui réflé­chit sur les ques­tions d’art con­tem­po­rain. ↩︎
Entretien
Performance
Mega Mingiedi
Partager
Martin van der Belen
Journaliste de formation spécialisé dans le domaine socioculturel, Martin van der Belen s’intéresse depuis toujours...Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous avez aimé cet article?

Aidez-nous a en concocter d'autres

Avec votre soutien, nous pourrons continuer à produire d'autres articles de qualité accessibles à tous.
Faites un don pour soutenir notre travail
Soutenez-nous
Chaque contribution, même petite, fait une grande différence. Merci pour votre générosité !
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements