C’est un plasticien incontournable dans la dynamique des collectifs kinois. Son travail exprime une grande liberté imaginaire. Il n’attend pas de ses concitoyens la reconnaissance qu’il a déjà acquise à l’extérieur. Rencontre avec Mega Mingiedi.
Martin van der Belen : Peux-tu retracer ton parcours, ce qui t’a amené à devenir artiste à plein temps…?
Mega Mingiedi : Enfant, je dessinais tout le temps. Par terre, sur des carnets, mes cahiers. On m’encourageait à le faire. Les profs à l’école faisaient même appel à moi pour que je vienne dessiner sur les tableaux des autres classes. Logiquement, j’ai été inscrit au lycée des Beaux- Arts, puis à l’Académie, juste à côté… J’ai choisi l’option sculpture. J’ai eu le goût de travailler le bois à travers un maître, Guy Lema. Aux Beaux-Arts, je pense avoir reçu une bonne formation technique. Parmi les professeurs, l’un d’eux faisait vraiment preuve d’ouverture sur l’art de recherches qui évoluait alors à l’extérieur. Kamanda Tumba, aujourd’hui parti travailler à Brazzaville, nous a fait découvrir cette liberté à travers des livres, des revues, des vidéos. Et l’art du recyclage, qu’on y voyait, m’a particulièrement tenté. J’ai alors beaucoup travaillé des techniques à base de rebus, comme le papier mâché. D’année en année, j’ai compris ce qu’est le métier d’artiste, cela me stimulait de plus en plus. En 2003, l’installation Wenze wenze a fait l’effet d’un détonateur au sein des collectifs qui commençaient à s’activer. Ce qui était au départ une performance avec quelques carcasses de voitures dans les jardins des Beaux- Arts s’est transformé en une montagne de ces épaves qui trainaient alors dans les rues de Kin. Et autour de ça s’est organisé spontanément un véritable festival. Comme si les étudiants avaient déclenché un feu incontrôlable, défiant l’académisme de l’enseignement artistique et le besoin d’espace et de liberté revendiqué par les jeunes. C’est devenu un moment fondateur pour toute la génération d’artistes qui était en train d’émerger. Eza Possibles1 est né dans ce tourbillon. C’est un collectif kinois rassemblant au départ cinq artistes plasticiens, sculpteurs et peintres autour d’une certitude : « C’est possible de secouer l’art contemporain et de le faire descendre dans la rue, dans la vie, dans la réalité des Kinois ». Patou Nsimba, Eddy Ekete, Freddy Yombo Mutombo, Pathy Tshindele et moi-même avons monté ce collectif pour échanger, interpeller et intégrer l’art contemporain dans la vie des gens. L’art comme reflet du quotidien, mais aussi comme support de réflexion… De 2006 à 2008, je suis allé étudier à l’École supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg. Comme neuf autres Congolais de ma promotion, on s’est retrouvés en France, grâce à une bourse inscrite dans le cadre du partenariat existant entre ces deux établissements artistiques. C’est là où j’ai fini mes études…
M. v. d. B. : Cette fin de parcours académique en France a été une expérience importante pour affirmer ton identité d’artiste, non ?
M. M. : Oui, effectivement, ça a été un passage important. Bien que déstabilisante au début, l’expérience m’a appris à devenir professionnel… Les trois premiers mois à Strasbourg ont été assez difficiles. Il m’a fallu du temps pour comprendre comment ça fonctionne, trouver mes repères. On nous demandait de la réflexion et de la rapidité d’exécution, un nouveau défi pour nous. Mais en contre partie, on nous demandait de proposer des choses. C’est une pédagogie de liberté partagée entre professeurs et élèves. On n’y était pas habitué. Et comme en plus, on nous demandait de respecter les délais, ce n’était vraiment pas évident. Une fois cette étape dépassée, je me suis rendu compte que nous les Congolais on avait un avantage sur les autres élèves : on possédait déjà beaucoup de pratique et cela compensait que nous ne soyons pas des littéraires… Avec Eddy Ekete, qui vit aujourd’hui en Europe, nous étions dans l’option « objets transversaux ». On vous y apprend à croiser les disciplines. Ma première installation, par exemple, représentait une pirogue, en alliant le design, l’objet et la photo. Tandis qu’au final de cette année-là, j’ai présenté un mémoire et une installation. J’avais déjà acquis un jargon artistique et une approche plus conceptuelle. On nous a appris à approfondir
un sujet, monter et fignoler un projet. Cela a beaucoup complété ma formation initiale par de bonnes bases. J’en retiens que l’artiste ne doit pas uniquement rester dans son atelier, qu’il doit rester ouvert et être engagé dans la société. J’ai gardé le contact avec certains profs et des anciens étudiants de l’époque. Non seulement parce que l’école de Strasbourg organise un suivi pour les artistes qui en sortent, mais aussi parce que ces personnes représentent des références dans ma carrière, et je n’hésite pas à les consulter dans les grandes étapes de mon travail…
De retour à Kin, on a pu partager ici ce qu’on avait appris là-bas, avec les futurs boursiers en partance pour Strasbourg. On nous avait promis un statut d’assistant, mais malheureusement, rien n’a suivi. Il semble que c’est verrouillé du côté des opportunités académiques. Pourtant, on pourrait bien y contribuer en tant qu’intervenants temporaires. On a beaucoup de choses
à dire. Ce que nous avons ramené comme bagages, c’est du savoir et ça vaut bien plus que du matériel… Certaines personnes n’ont pas vraiment compris pourquoi je suis rentré, surtout que je n’ai jamais acheté de voiture, ni de maison. Elles me voient comme un fou, déjà un peu mundele. Et le fait que je roule à vélo confirme cette folie, car Kinshasa est devenue très hostile à ce moyen de transport, oubliant qu’il était celui de la majorité des Congolais dans les années soixante…
- Eza Possibles : collectif, plateforme qui réfléchit sur les questions d’art contemporain. ↩︎