Pour raconter à mon père tout ce qu’il n’a pas connu

Entretien
Théâtre

Pour raconter à mon père tout ce qu’il n’a pas connu

Entretien avec Marie-Louise Bibish Mumbu

Le 12 Juil 2014
Annie Tshonga, Gisèle Kayembe et Claudine Lumbu dans Samantha à Kinshasa de Marie Louise Bibish Mumbu, mise en scène Papy Mbwiti, Les Béjarts, 2011. Photo D. R.
Annie Tshonga, Gisèle Kayembe et Claudine Lumbu dans Samantha à Kinshasa de Marie Louise Bibish Mumbu, mise en scène Papy Mbwiti, Les Béjarts, 2011. Photo D. R.

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Annie Tshonga, Gisèle Kayembe et Claudine Lumbu dans Samantha à Kinshasa de Marie Louise Bibish Mumbu, mise en scène Papy Mbwiti, Les Béjarts, 2011. Photo D. R.
Annie Tshonga, Gisèle Kayembe et Claudine Lumbu dans Samantha à Kinshasa de Marie Louise Bibish Mumbu, mise en scène Papy Mbwiti, Les Béjarts, 2011. Photo D. R.
Article publié pour le numéro
Couverture du 121-122-123 - Créer à Kinshasa
121 – 122-123

Lau­rence Van Goethem : Pou­vez-nous nous par­ler de vos orig­ines, de votre for­ma­tion et d’où vous est venue cette envie d’écrire ?

Marie-Louise Bibish Mum­bu : Je suis née à Bukavu dans l’Est du Zaïre en 1975, dernière d’une famille de six enfants. Mon père était fonc­tion­naire de l’État, dans ce qu’on appelait la ter­ri­to­ri­ale. Il était amené à se déplac­er sou­vent, c’est pourquoi j’aime dire que notre famille est un peu à l’image de la nation con­go­laise. Sur les six enfants de mon père, seuls les deux aînés ont vu le jour à Kin­shasa. Ma sœur (3e) est née à Mban­da­ka en Équa­teur, mon frère qui la suit est né à Kisan­gani dans la Province Ori­en­tale et l’avant-dernier est né à Katana dans le Sud Kivu, à l’Est du pays. Je me sou­viens d’avoir fêté mes cinq ans dans le Ban­dun­du, et à six ans je suis allée à Kin­shasa défini­tive­ment. Je n’ai plus jamais remis les pieds à Bukavu, mal­heureuse­ment.

Le goût d’écrire m’est venu par la lec­ture. Ma mère était insti­tutrice, mais elle a arrêté de tra­vailler à la nais­sance de son deux­ième enfant. Elle nous aidait pour nos devoirs, et nous lisait des his­toires. Très chré­ti­enne, elle nous offrait des ban­des dess­inées des édi­tions St Paul de Kin­shasa, la col­lec­tion biblique des livres his­toriques et prophé­tiques : David, Esther, Moïse, Sam­son… Il y avait aus­si des BD de con­tes con­go­lais comme Un Cro­co à Luwozi, Sha Mazu­lu, Nda­ta San­gu. Belle époque ! C’était les seules ban­des dess­inées con­go­lais­es. Les his­toires de princess­es blondes aux yeux bleus à cheval ne rete­naient pas autant mon atten­tion… Comme mon père était sou­vent retenu en « réu­nion » comme on dis­ait, je lui lais­sais des petits mots avec mon jour­nal de classe qu’il devait sign­er. Je lui racon­tais ma journée : j’avais tou­jours besoin de racon­ter et de pren­dre des notes. C’est quelque chose qui m’est resté.

L. V. G. : Prenez-vous encore des notes au quo­ti­di­en ?

M.-L. B. : Oui, au fil du temps je me suis ren­du compte que c’est ce que j’aime le plus. J’écris beau­coup, surtout depuis que je me suis éloignée de ma famille, en 2010. Mon père est décédé quand j’avais dix-huit ans, en 1994. La mort de mon père a été un choc, un repère qui s’est effon­dré. À sa mort je ne savais pas du tout ce que j’allais devenir. Pen­dant deux ans, je n’ai plus rien foutu. Je n’avais envie de rien. Un désert que j’ai tra­ver­sé en gran­dis­sant tout à coup très vite. Je crois que mon désir d’écrire est par­ti de là.

L. V. G. : Vous étiez à Kin­shasa à ce moment-là ?

M.-L. B. : Oui, avec ma mère dans la mai­son famil­iale. Mes deux frères aînés étaient déjà à l’étranger (l’un en Bel­gique et l’autre en Alle­magne). Aujourd’hui, j’ai deux frères qui sont à Kin­shasa avec notre maman, le reste de la famille est éparpil­lé de par le monde, et moi je réside au Cana­da. Ce goût du voy­age, le fait qu’on n’ait pas peur de l’ailleurs, nous vient sans doute de notre enfance voyageuse.

L. V. G. : Quel a été le déclic qui vous a aidé à sor­tir de cet état de choc suite à la mort de votre père ?

M.-L. B. : Le déclic s’est opéré quand j’ai regardé la cas­sette des obsèques de mon père.
J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. J’ai revécu toutes les douleurs liées à sa mort et ça m’a puri­fiée. J’ai com­pris que je devais vivre et que je devais réus­sir, pour mon père. Il avait fait en sorte de pay­er des études à tous ses enfants, aux filles comme aux garçons. Je me suis relevée pour qu’il soit fier de moi. J’ai décidé d’étudier le jour­nal­isme à l’Institut Supérieur des Tech­niques de l’Information à Kin­shasa — ISTI. Dès le départ, c’est la presse écrite et le secteur cul­turel qui m’attiraient. Assez vite, dans le cadre de mes études, il a fal­lu inter­view­er des gens. Je suis allée à l’écurie Mal­o­ba et j’y ai ren­con­tré Jean Sha­ka. L’écurie était à la recherche d’un attaché de presse. J’étais encore aux études, on m’a engagé comme sta­giaire pen­dant le Fes­ti­val Inter­na­tion­al de l’Acteur. C’est à l’écurie Mal­o­ba que j’ai lu pour la pre­mière fois le mag­a­zine Afri­cul­tures. Il y avait une annonce dans un numéro, ils recher­chaient des cor­re­spon­dants dans les pays d’Afrique. Je leur ai écrit, tout était man­u­scrit à l’époque, ça a mis du temps. Pen­dant ce temps ma meilleure amie m’annonçait qu’elle par­tait vivre aux États-Unis. C’était comme si j’étais orphe­line une deux­ième fois. Puis un jour où je ne m’y attendais plus, j’ai reçu une réponse d’Olivier Bar­let d’Afri­cul­tures qui me com­mandait un arti­cle. On venait de vivre sans eau ni élec­tric­ité pen­dant près d’un mois et une énième guerre civile fai­sait rage à Braz­zav­ille. Mon arti­cle par­lait de la par­tic­i­pa­tion des gens de Braz­zav­ille au Fes­ti­val. C’est comme cela que j’ai obtenu mon tout pre­mier salaire.

L. V. G. : Ce que vous racon­tez dans Saman­tha à Kin­shasa, c’est un peu votre his­toire ?

  1. Voir entre­tien avec Faustin Linyeku­la page XXX. ↩︎
  2. Voir entre­tien avec Papy Mbwiti page XXX. ↩︎

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Laurence Van Goethem
Laurence Van Goethem, romaniste et traductrice, a travaillé longtemps pour Alternatives théâtrales. Elle est cofondatrice...Plus d'info
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