Barba reste indissociablement lié à la relation d’amitié avec Jerzy Grotowski, relation qui reste exemplaire pour le théâtre moderne. Elle l’a formé et nourri tout au long de son parcours. À cela s’ajoutent les amitiés avec des universitaires qui ont constitué un noyau affectif et de travail : Ferdinando Taviani, Fabrizio Cruciani, Franco Ruffini, Nicola Savarese, Mirela Schino. Lui, il sait ce que le mot « amitié » veut dire.
Nous publions la lettre adressée à Georges Banu en guise de réponse à l’invitation de participer à notre dossier.
20 juillet 2015
Cher Georges
LE THÉÂTRE est un métier solitaire ancré dans une routine partagée. La double hélice de son ADN tresse deux forces incontournables. La première est le caractère éphémère des relations, pas seulement la rencontre avec les spectateurs mais aussi la collaboration entre les personnes qui ont décidé de monter un spectacle ensemble. C’est là l’origine de notre théâtre occidental : depuis les compagnies italiennes, françaises, espagnoles ou anglaises du seizième siècle jusqu’à nos jours, acteurs et alii sont soudés par un contrat limité dans le temps avec des clauses très précises quant à la répartition des gains.
Car le théâtre doit être rentable. Telle est la seconde des forces incontournables de son ADN. Le théâtre doit pouvoir nourrir son homme. Un spectacle doit avoir un rendement économique, billets vendus chaque soir et longtemps. À moins que l’équivalent de ce rendement ne soit une « qualité » artistique qui ouvre le coffre-fort des subventions publique et privées. Même la profession d’une idéologie peut être rentable quand un théâtre agit au sein d’une dictature ou parmi des mécènes et des prêtres qui le plient à leur vision du monde.
Le théâtre vole avec deux ailes. L’une est immense, puissante et pousse vers la terre. Ses battements ne font que répéter : fais-le ton beau spectacle, mérite-toi les éloges des gens, les applaudissements des critiques et des autorités et profite de l’argent et de l’auréole d’artiste qu’ils te procurent. L’autre est rachitique, difforme et pousse vers les nuages d’un ciel vide. Cette aile démoniaque, anarchisante et rebelle s’est développée au siècle dernier et brûle de changer le monde ou soi-même, d’entrer en contact avec l’authenticité de notre nature ou la limpidité spirituelle que chacun rêve de posséder.