Le monde comme zoo

Théâtre
Critique
Réflexion

Le monde comme zoo

À propos de MONEY mis en scène par Françoise Bloch

Le 6 Oct 2015
Benoît Piret, Jérôme de Falloise, Damien Trapletti et Aude Ruyter dans MoNEy ! Tout ce que vous ne saurez jamais sur l’argent parce que personne ne vous le dira et d’ailleurs mieux vaut ne pas le savoir, parce que si on savait ce serait pire, texte collectif, mise en scène Françoise Bloch, compagnie zoo Théâtre, Théâtre National de Bruxelles, 2013. Photo Antonio Gomez Garcia.
Benoît Piret, Jérôme de Falloise, Damien Trapletti et Aude Ruyter dans MoNEy ! Tout ce que vous ne saurez jamais sur l’argent parce que personne ne vous le dira et d’ailleurs mieux vaut ne pas le savoir, parce que si on savait ce serait pire, texte collectif, mise en scène Françoise Bloch, compagnie zoo Théâtre, Théâtre National de Bruxelles, 2013. Photo Antonio Gomez Garcia.

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Benoît Piret, Jérôme de Falloise, Damien Trapletti et Aude Ruyter dans MoNEy ! Tout ce que vous ne saurez jamais sur l’argent parce que personne ne vous le dira et d’ailleurs mieux vaut ne pas le savoir, parce que si on savait ce serait pire, texte collectif, mise en scène Françoise Bloch, compagnie zoo Théâtre, Théâtre National de Bruxelles, 2013. Photo Antonio Gomez Garcia.
Benoît Piret, Jérôme de Falloise, Damien Trapletti et Aude Ruyter dans MoNEy ! Tout ce que vous ne saurez jamais sur l’argent parce que personne ne vous le dira et d’ailleurs mieux vaut ne pas le savoir, parce que si on savait ce serait pire, texte collectif, mise en scène Françoise Bloch, compagnie zoo Théâtre, Théâtre National de Bruxelles, 2013. Photo Antonio Gomez Garcia.
Article publié pour le numéro
126 – 127

TOUT COMMENCE en 2007 avec la pro­gram­ma­tion à Brux­elles de la pièce en langue alle­mande UNTER EIS écrite et mise en scène par Falk Richter alors asso­cié comme auteur et met­teur en scène à la Schaubühne de Thomas Oster­meier. Trois con­sul­tants, deux jeunes et un plus vieux, y devi­saient sur leur méti­er, leur sur­me­nage, leur (absence de) vie quo­ti­di­enne, la mon­di­al­i­sa­tion des tech­nolo­gies de pointe. À côté de la belle leçon d’économie poli­tique réac­tivée de Brecht et de Vinaver, il y avait surtout une belle leçon de « théâtre au réel » (Bernard Dort) en ren­con­tre avec la vidéo et le son HF.1

Con­traire­ment à nom­bre de ses con­sœurs et con­frères qui pra­tiquent leur art en autistes et déclar­ent avec fierté ne jamais aller voir les travaux des autres, Françoise Bloch, avec humil­ité, s’est dite frap­pée d’émotion et d’admiration pour ce spec­ta­cle dont le titre rap­pelait métaphorique­ment celui de Mehmet Ulu­soy créé en 1976 dans la Cour d’honneur du Palais des Papes : DANS LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE, dont le titre était emprun­té à une phrase du MANIFESTE DU PARTI COMMUNISTE de 1847. Marx et Engels, Brecht, Maïakovs­ki, Mau­pas­sant, Jack Lon­don y avaient été sol­lic­ités pour le mon­tage des textes.

Passé le choc esthé­tique, Françoise Bloch décou­vre que Falk Richter s’est inspiré d’un film doc­u­men­taire de Marc Baud­er, GROW OR GO, qu’elle a immé­di­ate­ment cher­ché à se pro­cur­er et à vision­ner. Le film suit le quo­ti­di­en très stéréo­typé de qua­tre con­sul­tants en entre­prise dont la fonc­tion, au détri­ment de toute vie per­son­nelle, est d’optimiser les ren­de­ments et les profits, de don­ner des con­seils en restruc­tura­tions et licen­ciements, afin de faire croître les div­i­den­des du patronat et des action­naires.

Elle qui, en tant que péd­a­gogue, menait déjà une recherche avec ses jeunes élèves-acteurs du Con­ser­va­toire de Liège sur le renou­velle­ment des formes de représen­ta­tion du réel au théâtre ; elle qui, quelques années plus tôt, avait mis en scène LA DEMANDE D’EMPLOI et ren­con­tré l’écriture de Vinaver à tra­vers d’autres œuvres comme PAR DESSUS BORD, À LA RENVERSE, LES TRAVAUX ET LES JOURS ou L’ORDINAIRE, toutes con­cen­trées sur l’univers de ces multi­na­tionales que Vinaver avait pu observ­er de l’intérieur lorsqu’il était en poste chez Gillette : restruc­tura­tions, licen­ciements, chô­mage…; elle déci­da de s’immerger dans cette écri­t­ure ciné­matographique doc­u­men­taire et de la trans­pos­er à la scène, comme d’autres avant elle – Pas­cal Cro­chet, Fabi­enne Ver­straeten ou Zabou Bre­it­man – avaient pu le faire en par­tant de l’œuvre de Depar­don.

Trilogie

Ain­si naquit en 2009 GROW OR GO (« Prospère ou casse-toi »), objet scénique conçu et réal­isé d’après le film, pre­mier volet d’une trilo­gie non pré­conçue, mais à l’origine d’une gram­maire scénique et d’un vocab­u­laire que nous auri­ons le plaisir de voir se dévelop­per dans la per­ma­nence et la vari­a­tion avec le sec­ond volet : UNE SOCIÉTÉ DE SERVICES, œuvre con­sacrée à l’observation très cri­tique des call-cen­ters, ces cen­tres d’appels qui har­cè­lent le client anonyme en lui promet­tant la lune, selon des méth­odes très codées du télé­mar­ket­ing ; puis enfin le troisième, MONEY, pas plus prémédité que son prédécesseur, mais con­sacré quant à lui à l’argent-roi, la banque, l’économie spécu­la­tive et/ou fictive à laque­lle par­ticipe « à l’insu de son plein gré » – la cor­rup­tion sportive est donc ain­si dis­crète­ment citée dans le texte – tout petit épargnant déten­teur de SICAV.2

Je par­lais d’invention d’une gram­maire et d’un vocab­u­laire scéniques, et j’entends ou je lis déjà cer­tains pro­fes­sion­nels avisés par­ler de red­ite, d’appauvrissement, d’épuisement du filon. Com­ment expli­quer alors que MONEY, le troisième volet de la trilo­gie, ait été le plus récom­pen­sé, le plus difusé et qu’il soit encore aujourd’hui pro­gram­mé ? Je dis à ces cri­tiques fati­ga­bles et fatigués qu’ils ail­lent faire un tour du côté de la pein­ture et de ce qu’on y appelle les séries : Goya, Mon­et, Matisse, Picas­so, Pignon… pour ne citer que les plus figu­rat­ifs.

Le monde comme zoo

La gram­maire de la trilo­gie tient d’abord à son objet et à son proces­sus de créa­tion. Dans les trois cas, une leçon d’économie poli­tique et de soci­olo­gie du tra­vail : la con­sul­tance, le mar­ket­ing télé­phonique, la banque et la finance. Une obser­va­tion clin­ique et cri­tique du monde comme il évolue, à savoir pas for­cé­ment très bien.

  1. On lira avec intérêt l’entretien réal­isé par Bernard Debroux avec Françoise Bloch, Le réel comme péd­a­gogie du tra­vail d’acteur, dans Alter­na­tives théâ­trales no 101 (2009) ain­si que l’excellente chronique d’Agathe Char­net datée du 11 juil­let 2014 sur Avi­gnon festi.TV du off. ↩︎
  2. Voir L’entreprise comme per­son­nage, Alter­na­tives théâ­trales no 100, Poé­tique et poli­tique (2009). ↩︎
  3. Voir Anatomie d’un échouage, Ground­ings de Christoph Marthaler dans Alter­na­tives théâ­trales no 82, Théâtre à Berlin (2004). ↩︎

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Yannic Mancel
Après l’avoir été au Théâtre National de Strasbourg puis au Théâtre National de Belgique, Yannic...Plus d'info
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