Quand on parle d’argent au théâtre

Théâtre
Réflexion

Quand on parle d’argent au théâtre

Le 11 Oct 2015
élisabeth Doll et Frédéric Leidgens dans 15 %, texte et mise en scène Bruno Meyssat, Festival d'Avignon, 2012. Photo Michel Cavalca.
élisabeth Doll et Frédéric Leidgens dans 15 %, texte et mise en scène Bruno Meyssat, Festival d'Avignon, 2012. Photo Michel Cavalca.

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élisabeth Doll et Frédéric Leidgens dans 15 %, texte et mise en scène Bruno Meyssat, Festival d'Avignon, 2012. Photo Michel Cavalca.
élisabeth Doll et Frédéric Leidgens dans 15 %, texte et mise en scène Bruno Meyssat, Festival d'Avignon, 2012. Photo Michel Cavalca.
Article publié pour le numéro
126 – 127

LE THÉÂTRE de langue française pub­lié ou représen­té depuis une quin­zaine d’années, mais égale­ment les man­u­scrits reçus par comités de lec­ture et maisons d’édition per­me­t­tent d’inventorier un cor­pus ayant une rela­tion priv­ilégiée − bien que sou­vent indi­recte ou médi­ane − avec la crise économique. Ce vaste réper­toire offre une lec­ture du sur­saut néolibéral de nos sociétés post­mod­ernes, tout en por­tant à nou­v­el exa­m­en le redé­ploiement d’un théâtre poli­tique qui s’avoue rarement en tant que tel et revendique un art du détour, révo­quant la posi­tion de spec­ta­teur : il illus­tre la ten­dance sig­nifica­tive d’un cer­tain type de théâtre con­tem­po­rain cher­chant à tra­vers la médi­a­tion artis­tique à con­vo­quer sur scène activ­ité et pen­sée économiques con­sid­érées comme rel­e­vant d’une authen­tique pro­duc­tion fiction­nelle, même si la struc­ture socio-économique et le dis­cours politi­co-médi­a­tique qui s’en font l’écho ten­tent, avec un cer­tain suc­cès, d’en essen­tialis­er le sys­tème de créance.

Matrice dramaturgique

La crise économique endémique que tra­versent nos sociétés ali­mente une véri­ta­ble obses­sion théâ­trale. Elle peut même à bon droit être con­sid­érée comme la matrice d’une part prépondérante du théâtre con­tem­po­rain, comme si la dra­maturgie de l’argent avait sup­plan­té la dra­maturgie de la guerre pour exprimer la cat­a­stro­phe qui vient, focal­isant l’attention con­sacrée au conflit et à la vio­lence du monde dont nous sommes ren­dus témoins : « Si l’argent et ses flux géné­tisent le monde où nous vivons, on doit pou­voir, en par­tant de lui et de ses phénomènes, bénéfici­er d’un point de vue cru et con­cen­tré sur l’humaine con­di­tion. La finance est pour nous tous ce que la guerre et ses com­bines ont été pour Shake­speare », déclare Bruno Meyssat à l’occasion de la créa­tion au fes­ti­val d’Avignon en 2012 de 15 %, dont le titre évoque le seuil de rentabil­ité exigé (return on equi­ty) par les action­naires. Autrement dit, les cours de la Bourse « sont les génériques de toute infor­ma­tion, l’éphéméride prin­ci­pale qui encadre tous les pro­pos1 », « la fable de toutes les fables »2.

Si la crise trans­forme pro­fondé­ment l’économie du spec­ta­cle vivant3, elle exerce égale­ment une influence déci­sive sur la créa­tion théâ­trale, inspi­rant de nom­breuses fictions et boulever­sant les cadres dra­maturgiques : comme si inter­roger la crise indui­sait une mise en crise des modal­ités de fonc­tion­nement du théâtre, ren­dant la fron­tière floue entre fable et représen­ta­tion. La créa­tion théâ­trale en régime cap­i­tal­isme s’avère sus­cep­ti­ble d’interroger les modes d’appropriation de la valeur marchande. Mar­tin Schick, avec NOT MY PIECE − sur­mon­té d’un s encer­clé comme « shared », inverse du © de copy­right − sous-titrée post cap­i­tal­ism for begin­ners, présente au Bel­lu­ard fes­ti­val de Fri­bourg en juil­let 2012 un dis­posi­tif sus­cep­ti­ble de sub­ver­tir la pro­priété fon­cière. En achetant une par­celle agri­cole aux dimen­sions exactes du plateau du Bel­lu­ard (88 mètres car­rés), il pro­pose un théâtre de négo­ci­a­tions fondé sur un dou­ble trans­fert à front ren­ver­sé : 

Pen­dant le spec­ta­cle, je trans­pose cette par­celle sur la scène et je regarde avec le pub­lic ce que l’on peut inven­ter pour que la vie y soit pos­si­ble. Le ter­rain doit pou­voir combler mes besoins vitaux. Nous devons trou­ver ensem­ble des solu­tions qui soient sim­ples pour ma survie. Ensuite, j’applique sur la par­celle ce qui s’est élaboré sur le plateau.4
Dès lors, la con­fu­sion entre fiction (économique), proces­sus d’appropriation marchande et dis­posi­tif théâ­tral est totale – et entretenue.

Homologie structurelle

  1. Mou­ve­ment no 64, juil­let-août 2012, p. 50 – 51. ↩︎
  2. Pro­gramme du Fes­ti­val d’Avignon, édi­tion 2012, p. 31. ↩︎
  3. Voir mon arti­cle Quand le théâtre par­le d’argent dans le présent vol­ume. ↩︎
  4. Mou­ve­ment no 64, juil­let-août 2012, p. 38. ↩︎
  5. Mar­tial Poir­son, SPECTACLE ET ÉCONOMIE À L’ÂGE CLASSIQUE, Paris, Clas­siques Gar­nier, 2011. ↩︎
  6. « En équili­bre insta­ble », note d’intention du spec­ta­cle. ↩︎
  7. David Lescot, « La Finance sur les planch­es », Esprit no 385, juin 2012, p. 74. ↩︎
  8. Michel Vinaver, BETTANCOURT BOULEVARD OU UNE HISTOIRE DE FRANCE, Paris, L’Arche, 2014, Avant-pro­pos. ↩︎

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Martial Poirson
Martial Poirson est professeur des universités à l'Université Paris 8, où il enseigne l’histoire culturelle,...Plus d'info
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