Le Raoul Collectif : une trilogie

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Théâtre

Le Raoul Collectif : une trilogie

Le 29 Oct 2020
Une Ceremonie_Raoul Collectif ©Christophe Raynaud Delage 2020
Une Ceremonie_Raoul Collectif ©Christophe Raynaud Delage 2020
Une Ceremonie_Raoul Collectif ©Christophe Raynaud Delage 2020
Une Ceremonie_Raoul Collectif ©Christophe Raynaud Delage 2020
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 128 - There are aslternatives!
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 132 - Bruxelles, ce qui s'y trame
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            Au moment d’écrire ces lignes, le Covid vient de porter un sec­ond coup d’arrêt à la scène belge. Toute­fois, Le Raoul Col­lec­tif, mal­gré une annu­la­tion com­plète en avril dernier, puis par­tielle en octo­bre, a pu présen­ter sa troisième créa­tion au Théâtre Nation­al : Une céré­monie. Un spec­ta­cle d’autant plus atten­du qu’il por­tait la promesse d’un partage, de réflex­ions et de plaisirs.

            Dès les pre­mières min­utes, on retrou­ve la mar­que de fab­rique du col­lec­tif. Une bande de potes – qui com­prend cette fois une femme, Anne-Marie Loop – déboule sur la scène comme sur leur ter­rain de jeu, se rassem­ble, chante, frappe sur un piano, explore l’espace, se cherche, gueule, erre, s’assied, se tait puis… ne sait plus trop quoi dire. Alors ces garçons endi­manchés cherchent l’inspiration dans l’alcool, por­tent des toasts à leurs idéaux, pronon­cent des apho­rismes énig­ma­tiques, espérant provo­quer par­mi nous, par­mi eux, une réflex­ion qui serait le début d’une mise en mou­ve­ment.

            On recon­nait bien le Raoul dans ce ton dés­in­volte et orgueilleux, cette puis­sance de feu capa­ble de saisir à la sec­onde n’importe quel sujet pour le désoss­er, le porter aux nues, mais aus­si, finale­ment, le tourn­er en déri­sion et le bal­ancer dans les gradins comme une balle de foot. Si leur écri­t­ure, con­stru­ite à par­tir d’improvisations, s’adapte à l’ici et main­tenant de la représen­ta­tion, elle repose aus­si sur un pari : celui de la cohérence du pro­pos. Savaient-ils ce qu’ils avaient à nous dire, ces Raouls, quand le Théâtre Nation­al déci­da de les pro­gram­mer il y a un an et demi — une éter­nité, au temps de la pandémie ? Pour ce troisième spec­ta­cle, le col­lec­tif a pu certes se repos­er sur une « mar­que de fab­rique » : des col­lages de cita­tions, d’improvisations cor­porelles, des chants choraux, des décharges d’énergie brute, de la musique live (trois musi­ciens les accom­pa­g­nent, cette fois), des métaphores ani­mal­ières ou écologiques qui peu­plent une scéno­gra­phie (Juul Dekker) conçue comme un ter­rain vague ou une machine à jouer.

Une Ceremonie_Raoul Col­lec­tif ©Christophe Ray­naud Delage 2020

            Mais est-ce le moment qui nous fait lire toute représen­ta­tion à la lumière bla­farde du Covid ? Est-ce la ten­sion des annu­la­tions en cas­cade ? Ici et là, dans l’agitation erra­tique de cette Céré­monie, pointent chez les acteurs comme une las­si­tude des élans, une aigreur des esprits, une errance de la parole et de la volon­té. La façon qu’ont les Raouls d’évacuer leurs sujets par des pirou­ettes, de se réfugi­er dans l’alcool, la musique ou les bagar­res – les très longs silences aus­si — sem­blent témoign­er d’un regard dés­abusé sur le monde.

            Le Sig­nal du promeneur (2012 — 2019) incar­nait avec la fougue, la naïveté et l’idéalisme d’une pre­mière créa­tion, l’urgence de sor­tir de son isole­ment pour dénon­cer les absur­dités du monde (libéral), et le plaisir de créer des utopies col­lec­tives.

            A par­tir d’une émis­sion de radio des années ’70, Rumeurs et petits jours (2015 – 2019) mon­trait comme les idéaux social­isants se fis­surent sous la pres­sion de l’individualisme. Quand la poésie est écrasée par la novlangue du man­age­ment ou celle du Par­ti, par­ler de la beauté devient un acte de résis­tance. Toute­fois déjà, l’ironie pointait. Et le mot de « révo­lu­tion » son­nait par­fois comme un slo­gan facile.

            Une céré­monie ressem­ble à une fin de ban­quet après un enter­re­ment. Mais qu’enterre-t-on ? Les pris­es de paroles, par­fois ver­beuses, repren­nent des thèmes des spec­ta­cles précé­dents (la quête de l’idéal, la révo­lu­tion anar­cho-com­mu­niste, la néces­sité de penser le col­lec­tif) mais sans plus trop les renou­vel­er. Les cita­tions d’auteurs s’empilent comme des ver­res, puis sont bal­ayées au nom du rel­a­tivisme. Même le « cap­i­tal­isme » sem­ble être un épou­van­tail en car­ton. Jusqu’au con­cept de « légitime défense » dont on ne sait pas bien con­tre qui il est invo­qué. Cinq ans plus tard, on retrou­ve les per­son­nages de Rumeurs mais leur alcool a un gout amer qui rend leur pro­pos répéti­tif.

Une Ceremonie_Raoul Collectif ©Christophe Raynaud Delage 2020
Une Ceremonie_Raoul Col­lec­tif ©Christophe Ray­naud Delage 2020

            Pour­tant on sort de cette représen­ta­tion comme d’une soirée avec des amis qui, généreuse­ment, nous ont partagé leur foi et leurs doutes. Car ce spec­ta­cle « rhap­sodique » (au sens de Jean-Pierre Sar­razac mais aus­si de Fred­dy Mer­cury) agit finale­ment sur un mode plus organique que dis­cur­sif. Il touche nos sens. Et réac­tive notre imag­i­naire. Il nous donne l’exemple d’un col­lec­tif capa­ble mal­gré tout d’idéalisme, d’écoute mutuelle et de silences partagés. Cha­cun y défend, quoi qu’il lui en coute, la con­tri­bu­tion poé­tique de ses mem­bres. Un spec­ta­cle du Raoul, c’est un plaidoy­er pour la néces­sité, vitale, de l’expression – non-ver­bale, cor­porelle, plas­tique, musi­cale. C’est donc par sa pra­tique — sa con­nivence avec le spec­ta­teur, son dis­posi­tif scénique, sa force de jeu -, davan­tage que par son dis­cours, que le Raoul mon­tre sa cohérence. En ces temps de con­fine­ment mor­bide, c’est un apport ines­timable. Et comme nous le sug­gère Anne-Marie Loop : « Buvons au fait d’être ici rassem­blés. Si nom­breux ».

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Raoul collectif
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Cédric Juliens
Cédric Juliens est enseignant en dramaturgie à Arts2, en anthropologie du corps à la HE...Plus d'info
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