Les êtres qui peuplent le théâtre d’Anne-Cécile Vandalem ne tournent pas rond. Fragiles, maladroits, lâches ou cruels. Souvent bêtes, parfois méchants. Touchants. Dans la société éprise de réussite qui est la nôtre, cela porte un nom : ce sont « les perdants ». Ceux qui courent à leur propre perte et n’hésitent pas, au passage, à entraîner ceux qu’ils croisent dans leur dégringolade. Ceux qui frisent la laideur et étincellent de médiocrité.
Anne-Cécile Vandalem ne redoute pas la part d’ombre de ses personnages, au contraire elle s’amuse à l’exacerber. Elle dresse pour eux des terrains minés, les y fait trébucher, et chaque fois qu’ils se relèvent, c’est pour mieux tomber l’instant d’après et s’enfoncer encore un peu plus dans le sol. Chaque tentative de s’en sortir est couronnée par un échec retentissant. Chaque action de survie se solde par un joli plantage, voire un plongeon. Que ce soit le délire schizophrène de (Self) Service, la paranoïa d’Hansel et Gretel ou la contamination d’Habit(u)ation, elle pousse systématiquement ses personnages dans leurs retranchements. Elle les coince dans le dernier round de leur existence et les met à l’agonie, c’est à dire dans l’instant exact où l’on se débat avec la mort sur le trajet qu’il reste à faire jusqu’à elle.
Désespérant ? Ce n’est pas vraiment l’état qui nous gagne, quand nous, spectateurs, assistons à cette débâcle. Au contraire, on en sort plutôt galvanisés. C’est que le parcours de ces perdants ne s’apparente pas à une longue descente morose, c’est plutôt un fiasco explosif, qui ouvre le champ du rire et d’un fatalisme joyeux.
Quand on l’interroge au sujet de son goût du jeu avec la noirceur, la metteuse en scène laisse paraître sa lucidité : si elle montre des êtres humains engagés sur la voie du désastre, ce n’est pas par défaitisme, mais justement par souci de transformation du pessimisme en énergie créatrice. « Nous passons notre temps à nous casser la figure et à essayer de nous relever. On s’obstine à vouloir gagner, alors que dans la réalité, la plupart du temps, on perd. Nos schémas de vie sont plus souvent associés à la perte qu’au gain. Une fois que tu acceptes ça, alors tu peux commencer à t’en sortir. Pour moi, regarder la perte en face et la sublimer, c’est se redonner de la puissance. » Apprendre à perdre pour gagner en puissance. Mettre en scène des personnages qui échouent pour provoquer de la mise à distance et de l’autodérision. S’autoriser à rire de sa propre condition, pour l’accepter bien en face et surtout mieux la dépasser.