« Le désir est un territoire peut-être plus obscur qu’on voudrait nous le faire croire, plus complexe qu’on nous le dit »

Entretien
Théâtre

« Le désir est un territoire peut-être plus obscur qu’on voudrait nous le faire croire, plus complexe qu’on nous le dit »

Conversation entre Christine Letailleur, Estelle Doudet et Martial Poirson

Le 22 Juil 2016
Dominique Blanc (de la Comédie-Française) et Vincent Perez dans Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, mise en scène Christine Letailleur, Théâtre de la Ville, Paris, 2016. Photo Brigitte Enguérand.
Dominique Blanc (de la Comédie-Française) et Vincent Perez dans Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, mise en scène Christine Letailleur, Théâtre de la Ville, Paris, 2016. Photo Brigitte Enguérand.

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Dominique Blanc (de la Comédie-Française) et Vincent Perez dans Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, mise en scène Christine Letailleur, Théâtre de la Ville, Paris, 2016. Photo Brigitte Enguérand.
Dominique Blanc (de la Comédie-Française) et Vincent Perez dans Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, mise en scène Christine Letailleur, Théâtre de la Ville, Paris, 2016. Photo Brigitte Enguérand.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 129 - Scènes de femmes
129

L’articulation entre tex­tu­al­ité et sex­u­al­ité à tra­vers les âges est au cœur du tra­vail dra­maturgique et scénique de Chris­tine Letailleur, qu’il s’agisse de mon­ter La Philoso­phie dans le Boudoir ou Les Insti­tu­teurs immoraux du mar­quis de Sade (2007), expéri­men­ta­tion des mécan­ismes com­plex­es du désir et de la dialec­tique de la pos­ses­sion ; Vénus à la four­rure ou les con­fes­sions d’un supra-sen­suel de Sach­er Masoch (2009), explo­ration autour des zones obscures du désir de soumis­sion ; Le Château de Wet­ter­stein de Frank Wedekind (2010), par­cours du désir sen­suel illim­ité d’une jeune femme sans tabous ; Hiroshi­ma mon amour, d’après le film d’Alain Resnais (2012), vari­a­tion autour des ver­tiges de l’adultère ; Le Ban­quet ou l’éloge de l’amour de Pla­ton (2014), inter­ro­ga­tion sur la ques­tion de la trans­mis­sion et de l’homosexualité mas­cu­line ; Hinke­mann d’Ernst Toller (2015), expo­si­tion du trau­ma­tisme de l’émasculation d’un sol­dat rescapé, mais à quel prix, de la Grande Guerre ; ou plus récem­ment Les Liaisons dan­gereuses de Choder­los de Lac­los, créé au Théâtre nation­al de Stras­bourg en jan­vi­er 2016, pous­sant jusque dans ses dernières extrémités l’arithmétique de la séduc­tion et de la manip­u­la­tion…

Femmes, hommes, corps et lan­gage

ED + MP « Machine de guerre », « com­bat », « corps à corps » : la presse a retenu de votre mise en scène des Liaisons dan­gereuses l’idée de la com­péti­tion mortelle entre Mer­teuil et Val­mont. L’œuvre mon­tr­erait le com­bat du féminin et du mas­culin, com­bat d’esprit, de sexe, de pou­voir. Est-ce ce qui se joue pour vous dans ce spec­ta­cle ?

CL Lac­los a mon­tré dans son œuvre l’histoire d’un com­bat, celui d’une femme et d’un homme, qui, après avoir été amants, puis amis, devi­en­nent enne­mis ; cette volon­té de puis­sance qui les ani­me tous deux fini­ra par les sépar­er et les bris­er, ils s’affronteront et s’entre-déchireront jusqu’à la mort. C’est un cou­ple d’une nature par­ti­c­ulière qui fonc­tionne en miroir, nar­cis­sique et indi­vid­u­al­iste. Mer­teuil et Val­mont par­lent le même lan­gage, ont une haute estime d’eux-mêmes. Ils agis­sent pareille­ment dans l’art de la séduc­tion : ils prémédi­tent, cal­cu­lent et agis­sent sur les autres pour arriv­er à leurs pro­pres fins. Ils veu­lent tout maîtris­er, tout régen­ter et notam­ment les lois du cœur. Ils sont pris dans les mailles d’un sys­tème qui a ses pro­pres codes et règles. C’est pour cela que Mer­teuil reproche à son ancien amant de déroger à ses principes en s’attaquant à Mme de Tourvel qui est dévote et de met­tre sa répu­ta­tion en péril en n’allant pas assez vite pour con­clure cette his­toire ; et, plus tard, d’en tomber amoureux bien que Val­mont s’en défende et crie haut et fort que « l’amour abru­tit l’esprit ! ». Le com­bat de la mar­quise et du vicomte relève de la jalousie et de l’orgueil : Mer­teuil veut rester la favorite, elle ne peut sup­port­er de voir Val­mont lui échap­per. Elle ne peut pas non plus admet­tre l’arrogance et le ton mar­i­tal avec lesquels Val­mont lui réclame sa nuit d’amour, faisant preuve d’une autorité machiste et remet­tant ain­si en ques­tion son com­bat de femme, celui de toute une vie pour l’émancipation et la lib­erté. Elle préfère donc choisir la guerre. 

Je n’ai pas cher­ché à mon­tr­er un com­bat uni­versel entre le mas­culin et le féminin, sim­ple­ment un type de rap­port entre une femme et un homme que je voy­ais inscrit au cœur de l’œuvre de Lac­los. Certes, ce com­bat incar­ne une époque, mais il la dépasse aus­si. Ce genre de rap­ports existe encore dans le cou­ple et hors du cou­ple, et pas seule­ment entre hommes et femmes. Je pense qu’aujourd’hui ce com­bat du mas­culin et du féminin n’a plus rai­son d’être et que les hommes et les femmes peu­vent œuvr­er ensem­ble, main dans la main, au sein d’une rela­tion amoureuse, ami­cale ou autre, pour accéder à plus d’égalité entre les sex­es. 

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Théâtre
Christine Letailleur
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Martial Poirson
Martial Poirson est professeur des universités à l'Université Paris 8, où il enseigne l’histoire culturelle,...Plus d'info
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