Ce texte inédit est le fruit d’une intervention de Rodrigo García lors d’un colloque intitulé « Narrativité et intermédialité sur la scène contemporaine », co-organisé à Montpellier par l’Université Paul Valéry Montpellier 3 et l’Institut d’études théâtrales de Giessen du 6 au 8 octobre 2016. Il y était invité à donner sa vision du récit et de la narration en tant qu’éléments de son écriture.
Traduit de l’espagnol par Alice Fabbri et Benoît Hennaut.
Le fait de raconter
présuppose un héritage,
l’héritage d’un langage.
Nous héritons (c’est-à-dire que nous recevons sans l’avoir demandé) essentiellement de trois choses, toutes trois problématiques. Nous héritons de notre naissance, et nous héritons de la certitude de mourir. Entre les deux, nous héritons du langage, qui est le pire des héritages puisque c’est à cause de lui que nous prenons conscience que nous sommes nés, et que nous allons mourir.
Je peux parfaitement vivre sans avoir besoin de dire au voisin : « bonjour, quel beau temps aujourd’hui », mais il me serait difficile de vivre sans poésie. Je veux dire que le langage ne m’intéresse pas en tant qu’outil de communication, mais comme phénomène esthétique.
Nous entrons ainsi dans le champ de la rhétorique, et nous posons la question de savoir comment enrichir nos récits.
L’un des pouvoirs du langage est de poser des questions, trésors de la curiosité.
Ces questions sont tournées vers l’extérieur, nous les posons à nos amis, mais elles s’adressent également à notre for intérieur dès lors que l’on interroge le langage lui-même, que l’on est critique à l’égard de cet héritage, au point de le considérer, peut-être pas tout à fait comme étranger, mais du moins comme incomplet.
J’ai commencé par interroger mes amis Platon, Héraclite. J’ai continué avec Schopenhauer, j’ai questionné mon ami Robert Musil, puis je me suis tourné vers mon amie Emily Dickinson mais, comme dit Borges, pas vers Francisco de Quevedo, parce que : qui peut bien être l’ami de Quevedo ?
Tenant compagnie à notre curiosité, dans le même cortège, voyage d’ordinaire l’imagination.
L’imagination est la non-conformité au réel. C’est l’acte de rébellion par excellence.
En principe l’artiste doit arriver à la conclusion que les mots ou les couleurs lui manquent.