Éclosion des théâtres privés à Téhéran aujourd’hui

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Réflexion

Éclosion des théâtres privés à Téhéran aujourd’hui

Le 17 Juin 2017

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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 132 - Lettres persanes et scènes d'Iran
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« Depuis le milieu des années 1990, quand la sta­bil­ité économique et poli­tique s’est de nou­veau établie en Iran, le gou­verne­ment a accordé une atten­tion par­ti­c­ulière au développe­ment des activ­ités cul­turelles et sociales au sein de la société. »

Téhéran, la cap­i­tale irani­enne, avec une pop­u­la­tion de près de neuf mil­lions de citoyens, est la ville la plus peu­plée d’Iran. C’est à la fois la cap­i­tale poli­tique, économique et artis­tique et elle réu­nit un étrange mélange de bâti­ments mod­ernes et de croy­ances tra­di­tion­nelles. Dans ses dif­férents quartiers et arrondisse­ments, on peut être en même temps témoin de man­i­fes­ta­tions religieuses d’une vie tra­di­tion­nelle patri­ar­cale et d’appartements de luxe, d’automobiles de haute gamme mis­es à la dis­po­si­tion de femmes céli­bataires. Téhéran, c’est la ville des con­tra­dic­tions fon­da­men­tales, une ville où l’art existe et n’existe pas, où l’ordre se trou­ve et ne se trou­ve pas. Elle est d’une part vivante et fer­vente, et d’autre part agres­sive, déprimée et blessée. Les lieux et objets de loisir y sont rel­a­tive­ment lim­ités par rap­port à la grandeur de la métro­pole. Les lois religieuses inter­dis­ent l’existence de lieux récréat­ifs comme les clubs de danse et boîtes de nuit, les bars et toute forme de rassem­ble­ment car­nava­lesque, sauf pour des évène­ments religieux. Ain­si, les habi­tants de la ville n’ont qu’un choix lim­ité pour se diver­tir hors de la mai­son et se rassem­bler : ils fréquentent de façon extrav­a­gante les cen­tres com­mer­ci­aux et vont sou­vent au ciné­ma, dans les parcs et jardins publics, dans les rares salles de con­cert, mais aus­si, ces dernières années, dans les nou­velles salles de spec­ta­cle privées.

Depuis longtemps, en Iran, le théâtre a une nature gou­verne­men­tale : il est entre les mains de l’État. La rédac­tion des pre­mières pièces de théâtre en per­san il y a cent soix­ante ans a pré­paré le ter­rain pour la créa­tion des pre­mières salles de théâtre mod­ernes. Ain­si, sous le règne du roi Reza Pahlavi (dès 1936) et plus tard sous le règne de son fils Moham­madreza Shah (décen­nies 1960 et 1970), les espaces de per­for­mance théâ­trale se sont dévelop­pés et les salles de spec­ta­cle se sont mul­ti­pliées. Ce proces­sus s’est ralen­ti et arrêté après la Révo­lu­tion islamique de 1979 et le début de la guerre Iran-Irak qui fut déclenchée par l’Irak, et la baisse rapi­de du PIB. Cepen­dant, depuis le milieu des années 1990, quand la sta­bil­ité économique et poli­tique s’est de nou­veau établie en Iran, le gou­verne­ment a accordé une atten­tion par­ti­c­ulière au développe­ment des activ­ités cul­turelles et sociales au sein de la société.
Ce qui est notable dans ce proces­sus, c’est la con­cen­tra­tion per­ma­nente des facil­ités et espaces dans la métro­pole de Téhéran. C’est-à-dire que quand on par­le de théâtre iranien, on sous- entend le théâtre de Téhéran et celui des artistes immi­grés dans la cap­i­tale. À cette époque, les salles de spec­ta­cle de Téhéran se répar­tis­saient entre le théâtre Vah­dat, qui était une salle de théâtre à l’italienne lux­ueuse ; le théâtre de la ville, avec une salle clas­sique et trois salles de style « boîte noire » (mod­u­la­bles) ; le théâtre Molavi, avec deux salles ; le théâtre San­ge­laj, avec une salle à l’italienne ; les salles Bous­tan et Golestân, sis­es au Parc Laleh, des­tinées aux spec­ta­cles pour la jeunesse ; le théâtre Honar, des­tiné aux spec­ta­cles pour enfants. Après une péri­ode de hauts et de bas dans les années 2000 et la lev­ée des sanc­tions inter­na­tionales imposées à l’Iran, ce fut l’époque des poli­tiques néolibérales des gou­verneurs. Le gou­verne­ment actuelle­ment au pou­voir, avec la réduc­tion de sa sou­veraineté, a essayé de dévelop­per la pri­vati­sa­tion et d’inciter les investis­seurs privés à inve­stir dans divers domaines, dont la créa­tion de salles de théâtre et la con­struc­tion d’infrastructures. Avant la créa­tion de la pre­mière salle de théâtre privée en 2012, qui fut bap­tisée « Mashayekhi », le gou­verne­ment avait essayé de con­tribuer à la créa­tion de nou­veaux espaces de théâtre, en appor­tant de l’aide à l’ouverture de nou­velles salles semi-gou­verne­men­tales, dont le théâtre Iran­shahr, avec un audi­to­ri­um mod­erne et une salle, ain­si que les théâtres Hafez et Fer­dowsi, soit deux salles, l’une générale et l’autre pro­pre au théâtre des mar­i­on­nettes. Ain­si, les jeunes diplômés des fac­ultés artis­tiques, qui étaient d’ailleurs très motivés, se sont brusque­ment trou­vés face à de grandes facil­ités de se pro­duire. D’autre part, d’autres artistes plus expéri­men­tés qui étaient habitués à ce statut pro­pre au per­son­nage kafkaïen « devant la loi », ren­dant impos­si­ble leur accès aux théâtres publics en rai­son d’insuffisance du bud­get et du nom­bre des salles, se sont vus devant une sorte de lib­erté démul­ti­pliée. Les espaces privés de per­for­mance ont émergé et poussé comme des champignons partout dans Téhéran, qui s’est trans­for­mé elle-même, en moins de cinq ans, en un grand audi­to­ri­um où près de 70 spec­ta­cles sont mon­tés chaque soir dans plus de trente salles publiques et privées. Ce qui veut dire que dans cer­taines salles, plus de deux spec­ta­cles sont au ren­dez-vous chaque soir. Un grand sen­ti­ment d’enthousiasme est alors créé autour du théâtre, avec un chiffre d’affaire con­sid­érable pour un art qui souf­frait depuis tou­jours de prob­lèmes financiers.

« Les espaces privés de per­for­mance ont émergé et poussé comme des champignons partout dans Téhéran, qui s’est trans­for­mée, en moins de cinq ans, en un grand audi­to­ri­um où près de 70 spec­ta­cles sont mon­tés chaque soir dans plus de 30 salles publiques et privées. »

La plu­part de ces théâtres privés sont des maisons par­ti­c­ulières vétustes ou des bâti­ments aban­don­nés, recon­ver­tis en petites salles, qui se trou­vent à côté de lieux de rassem­ble­ment et de diver­tisse­ment pour la jeunesse, où il est pos­si­ble de boire une tasse de thé ou de café et d’échanger des pro­pos amoureux ou cul­turels. En d’autres ter­mes, la plu­part de ces nou­veaux espaces de per­for­mance comptent un com­plé­ment et/ou une annexe dans les lieux de rassem­ble­ment des jeunes, là où ils peu­vent pass­er le temps et se réjouir des lib­ertés dont ils dis­posent.
Cepen­dant, comme la plu­part de ces espaces ont été recon­ver­tis et n’ont pas, sur le plan tech­nique, une sonorité ou un éclairage con­ven­able, beau­coup sont devenus des lieux d’expérience pour les com­pag­nies ama­teurs, les étu­di­ants ou pour les per­for­mances à site spé­ci­fique (site-spe­cif­ic per­for­mance), dont cer­tains n’ont même pas de bonnes places pour les spec­ta­teurs. Par­mi les exem­ples les plus célèbres de ces espaces, la salle de spec­ta­cle Da, qui est en fait un bain pub­lic de la péri­ode Qad­jar (env­i­ron 1850) recon­ver­ti en lieu de représen­ta­tions, mais qui ressem­ble plutôt à une cave médié­vale qu’à un espace de spec­ta­cle fam­i­li­er. Une autre par­tic­u­lar­ité de ces lieux est que la plu­part sont des loca­tions. Il est donc pos­si­ble qu’au bout d’un cer­tain temps leur pro­prié­taire décide de couper court aux activ­ités théâ­trales, ce qui sup­prime du jour au lende­main tout le tra­vail mené par les fon­da­teurs pour avoir un pub­lic réguli­er.
Il existe néan­moins des salles comme le théâtre Pal­iz ou le théâtre Mostaghel (indépen­dant), qui sont con­stru­its pour le théâtre ou qui ont été recon­ver­tis pour un usage à long terme. Ces salles sont dotées de bonnes nor­mal­i­sa­tions en matière d’éclairage, d’architecture scénique et de places de spec­ta­teurs.
Dans une telle sit­u­a­tion, tout sem­ble promet­teur et agréable au pre­mier regard, mais le prob­lème com­mence à par­tir du moment où l’on scrute de plus près ce phénomène.

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