Il était une femme qui rêvait d’être un homme…

Performance
Théâtre
Parole d’artiste

Il était une femme qui rêvait d’être un homme…

sur base d’un entretien avec Sâmân Arastou

Le 12 Juin 2017
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 132 - Lettres persanes et scènes d'Iran
132

Sâmân Aras­tou est acteur, auteur, met­teur en scène, enseignant de théâtre.
Il débute sa car­rière théâ­trale en 1985. En 2008, à l’âge de 41 ans, il subit une phal­lo­plas­tie.
Il est aujourd’hui un acteur trans­sex­uel recon­nu et accep­té dans le milieu théâ­tral.

Je n’étais pas celle que j’étais
Je suis né(e) en 1967, je m’appelle Sâmân Aras­tou.
Bien sûr que Sâmân n’est pas mon vrai nom puisque je suis un homme aujourd’hui et que j’étais une femme avant. Je m’appelais Farzaneh Aras­tou. J’ai su très vite, dès l’âge de cinq ans, que j’étais dif­férente. Je ne savais ni pourquoi ni com­ment, je savais juste que je n’étais pas celle que j’étais.
Pen­dant la puberté, j’avais honte de ma féminité, je ne me regar­dais jamais dans le miroir. Je ne me sen­tais pas opprimée en tant que femme, mon père était chirurgien, ma mère était une femme éduquée, et leur édu­ca­tion était la même pour leurs dix enfants, filles ou garçons. Je suis le dernier de la fratrie. Avant moi, il y a six filles et trois garçons.
J’étais étrange, dif­férente, mais je ne savais rien de la ques­tion du genre ou de la trans­sex­u­al­ité. Mon père affir­mait que j’étais dif­férente mais il ne dis­ait pas en quoi. Il le savait pour­tant mais il ne dis­ait rien. Il me dis­ait : « Tu aurais dû être un homme mais tu ne l’es pas. » Je regar­dais les garçons par­ler, marcher, par­ler aux filles, et je les imi­tais ! Surtout les intel­lectuels !
Ceux qui lisaient, allaient au ciné­ma, par­laient d’art et de poli­tique… Mon imag­i­naire était ouvert à la lit­téra­ture, aux mag­a­zines, aux jour­naux… Tous les mod­èles se prê­taient à mes rêves : je m’identifiais à James Dean, j’étais en ado­ra­tion devant Antho­ny Quinn, Zor­ba le Grec. On me reprochait dans la famille d’avoir trop lu, c’était mon imag­i­na­tion qui était respon­s­able de mes incer­ti­tudes !

Je me suis oblig­ée d’être une femme
Au lycée, il m’a fal­lu choisir : ou je me com­por­tais comme une femme ou je m’identifiais aux hommes. Je me suis con­va­in­cu que j’étais une femme. Mais c’était si dif­fi­cile que j’ai fait deux ten­ta­tives de sui­cide.
Ma famille exerçait une forte pres­sion famil­iale et tenait absol­u­ment à me mari­er. Mais j’étais amoureuse… d’une fille. Je m’en sou­viendrai tou­jours, c’était un dimanche d’octobre. Elle était avec moi, face à la famille qui ne com­pre­nait pas notre rela­tion. Il m’a été demandé de ne plus la voir mais j’ai refusé, je répé­tais à ma famille que je n’étais pas une femme, mais per­son­ne ne l’entendait de cette façon. Ils ont voulu frap­per mon amie qui a dû fuir. Je me suis blessée de colère (auto­mu­tilée), et j’ai été hos­pi­tal­isée.
J’ai alors vécu la péri­ode la plus dure de ma vie : j’ai été mar­iée de force. Le mariage a duré un jour exacte­ment. Quant à la procé­dure de divorce, elle a duré un an et demi.

Mes rôles de femme au théâtre et au ciné­ma
Dans ma famille, nous avons tous été ini­tiés au théâtre, au ciné­ma, à la danse. J’étais pour ma part un pas­sion­né de théâtre.
Dans les années 80, je suis venue à Téhéran me con­sacr­er au théâtre. Je créais des spec­ta­cles avec les enfants. En tant qu’actrice, je n’avais jamais un rôle de femme, et les met­teurs en scène ne savaient jamais quel type de femme je pou­vais incar­n­er. J’avais une voix grave alors ils fémin­i­saient les rôles mas­culins pour moi : une garde du corps, une cuisinière, ou la femme d’un assas­sin ! J’étais telle­ment hors du com­mun que mon désir de chang­er de sexe n’a pas sur­pris.
Les met­teurs en scène ont même approu­vé mon change­ment de sexe.

Je suis un homme qui racon­te sa vie de femme
Lors de ma pre­mière ten­ta­tive de sui­cide, j’ai été envoyée dans un hôpi­tal psy­chi­a­trique. Pour la pre­mière fois, j’ai enten­du le mot « trans­sex­uel » et qu’une opéra­tion chirur­gi­cale était envis­age­able. Il est pos­si­ble de le faire en Iran mais il faut l’autorisation famil­iale – celle des par­ents ou de la fratrie en cas de décès des géni­teurs – quel que soit l’âge du patient. La famille est venue. Une com­mis­sion a débat­tu mon cas à l’hôpital, qui a été refusé. Mes sœurs m’ont retiré le pan­talon, imposé la jupe, puis j’ai été mar­ié de force. Après des années, ma famille a cédé. Je me suis fait opér­er en 2008.
Après l’opération, face à la caméra, rien n’avait changé. Farzaneh ou Sâmân jouaient de la même façon. Je n’avais pas opéré mon cerveau, ou mon tal­ent, j’avais juste opéré ce qui ne m’appartenait pas. Per­son­ne ne dis­ait rien sur mon inter­ven­tion mais j’avais moins de propo­si­tion de rôles. J’ai donc décidé de racon­ter ma vie !
La pièce You all know me1 a été créée en 2015. Écrite pour six comé­di­ens, elle est fondée sur cinq tableaux : l’amour d’un trans­sex­uel F to M (Female to Male) pour une jeune fille ; la médecine d’état et l’autorisation famil­iale ; au guichet de banque avec le trans­sex­uel, con­traint de met­tre des vête­ments de femme puisque son état civ­il est encore au féminin ; un film pour la télévi­sion publique où des trans­sex­uels avouent leur « mal­adie » ; et un face-à-face dia­logué avec les spec­ta­teurs.
Be the one you’re not2 est une per­for­mance pour sept comé­di­ens. Sans dia­logues, je remonte la scène for­cée de mon mariage. Il n’y a pas de mur de sépa­ra­tion entre le pub­lic et la scène, les spec­ta­teurs sont libres d’intervenir pen­dant le spec­ta­cle. Mon con­cept théâ­tral était le suiv­ant : je voulais men­er le spec­ta­teur à un tel point de rup­ture qu’il soit obligé de réa­gir à la vio­lence qu’il subis­sait. Le soir de la pre­mière, un intel­lectuel français recon­nu est inter­venu pour empêch­er le mariage ! Un autre soir, un spec­ta­teur a brisé le bras du maquilleur !
J’anime aus­si des work­shops. Je mène mes étu­di­ants à un état de lib­erté total, je leur apprends à ébran­ler le spec­ta­teur. En tant qu’acteur, je ne veux plus porter de masque, je veux partager mon expéri­ence, avec la société et les trans­sex­uels : nous avons tous la même his­toire. Une femme de 46 ans n’a pas obtenu l’autorisation famil­iale. Ses par­ents décédés, sa sœur refuse encore de la lui accorder : elle hurle de douleur dans mon ate­lier.

  1. You all know me (Vous me con­nais­sez tous), auteur et met­teur en scène Sâmân Aras­tou ; Téhéran, créé dans un petit théâtre privé, il est repris au Théâtre de la Ville, 2015. ↩︎
  2. Be the one who you’re not (Sois celui que tu n’es pas), auteur et met­teur en scène Sâmân Aras­tou ; Téhéran, Fes­ti­val uni­ver­si­taire de la Per­for­mance, Théâtre uni­ver­si­taire de Téhéran, 2016. ↩︎
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Sâmân Arastou
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Leyli Daryoush
Leyli Daryoush
Leyli Daryoush est musicologue de formation et docteure en études théâtrales. Dramaturge, chercheuse, spécialiste de l’opéra,...Plus d'info
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