SM‑L La France entretient des relations artistiques et culturelles (certes pas uniquement, économiques et politiques bien sûr) avec l’Iran depuis longtemps. Au cours de ces dernières années, des institutions culturelles françaises de premier plan ont organisé, avec votre soutien, des échanges assez extraordinaires dans le domaine des arts de la scène et des arts plastiques, comme la grande exposition d’artistes iraniens au Musée d’art Moderne de la Ville de Paris… Pouvez-vous évoquer certains de ces projets de coopération qui vous ont paru marquants ?
FS Depuis la découverte de la Perse en France, notamment à travers les récits de voyage de Jean Chardin, nos deux pays entretiennent des liens culturels très forts. Les échanges entre les artistes français et iraniens sont denses, riches et ne cessent de se renforcer. Au-delà des trésors patrimoniaux qu’abrite le territoire iranien, je ne cesse de découvrir, depuis mon arrivée à Téhéran, des artistes plus créatifs et talentueux les uns que les autres.
Le public français porte un grand intérêt pour la création contemporaine iranienne.
L’exposition Unedited History présentée au Musée d’art moderne de la ville de Paris en 2014 mais aussi la rétrospective des œuvres de Shadi Ghadirian à Lyon en 2015, la très forte présence du cinéma iranien au festival de Cannes en 2016 (avec les prix remportés par Asghar Farhâdi, l’acteur Shahâb Hosseini, avec la présence dans le jury de la distributrice et productrice Katayoun Shahabi) en témoignent. Dans le domaine du théâtre, la pièce Hearing du grand metteur en scène Amir Rezâ Koohestâni, présentée lors du festival d’Avignon l’été dernier, a rencontré un immense succès. La mise à l’honneur de l’Iran lors des grands rendez-vous culturels français reste d’actualité cet été avec une exposition consacrée à l’Iran, Iran année 38, lors des prochaines Rencontres d’Arles. Les commissaires d’exposition Anahita Ghabaian et Newsha Tavakolian présentent le travail de 64 photographes, parmi lesquels des figures confirmées mais aussi de plus jeunes talents.
En Iran, la culture française bénéficie également d’un accueil particulièrement favorable. Les artistes français sont de plus en plus présents lors du festival national Fadjr qui, chaque année, de janvier à avril, met à l’honneur la musique, les arts visuels, le cinéma, le théâtre naturellement et tant d’autres formes artistiques. Depuis deux ans, chaque printemps, la Cinémathèque du Musée d’art contemporain accueille une Semaine du cinéma français dont le commissariat est assuré par Jean-Michel Frodon, ancien directeur des Cahiers du cinéma. De nombreux artistes français viennent en résidence en Iran : récemment, l’artiste Neïl Beloufa a présenté des installations et des vidéos dans un très bel espace reconverti en centre culturel par la fondation Pejman au cœur de Téhéran, l’usine Argo, à la suite d’une résidence à Téhéran et Ispahan et d’un travail approfondi avec de jeunes artistes et étudiants en art iraniens. Par ailleurs, nous développons peu à peu une présence en province. C’est ainsi que le centre culturel du palais Ameriha à Kashan a reçu en février 2017 onze artistes français pour une Semaine culturelle française et que nous préparons une semaine du Cinéma français à Shiraz, et des rencontres sur les migrations à Ispahan.
Les attentes et l’attrait mutuels sont donc réels. Le défi pour nous a été d’y répondre, et notre dispositif culturel, réduit de 2011 à 2015, a vu de nouvelles créations de poste, notamment celui d’attachée culturelle. Suite à l’accord de Vienne1, nous sommes donc en pleine relance de notre coopération, dans tous les domaines, et la France retrouve sa place sur cette scène culturelle iranienne si dynamique. Beaucoup de chemin a été parcouru en peu de temps, mais nous avons pour ambition de poursuivre et d’intensifier ces efforts.
SM‑L Chaque année, vous organisez des projets de coopération dans le domaine des arts de la scène entre des équipes françaises et iraniennes. Quels sont vos critères pour choisir ces équipes ?
FS Nous prenons d’abord en compte les attentes de nos partenaires iraniens. Certains d’entre eux “ont des idées très précises sur les artistes qu’ils veulent faire venir en Iran, ce qui était le cas pour le centre des Arts dramatiques avec la dernière édition du festival de théâtre Fadjr. D’autres partenaires sollicitent davantage nos conseils pour la programmation mais in fine, le rôle du service culturel de l’Ambassade n’est pas de se substituer aux acteurs culturels, en leur donnant des projets clés en main, mais de les aider à structurer leurs idées, de faciliter leur réalisation et de les ouvrir à de nouvelles perspectives. Nous mettons les personnes et institutions en contact et facilitons, parfois en apportant un soutien financier, les opérations mais ne les finançons ni les organisons jamais en intégralité.
En outre, il existe des contraintes propres à l’Iran en termes de programmation culturelle qui influencent nécessairement nos choix et ceux de nos partenaires. Cependant, ce cadre, bien connu, n’empêche pas les artistes français de rentrer ravis de leur séjour et toujours très enthousiastes de la créativité des artistes iraniens, quel que soit le secteur concerné.
SM‑L Cette année par exemple, vous avez accompagné la venue de deux compagnies françaises qui ont été programmées dans le Festival International de théâtre Fadjr : la compagnie Pyramides (hip hop, danses urbaines) et la compagnie Litecox avec sa production franco-iranienne Au-delà des mots. Ces formes dansées, musicales et/ou visuelles correspondent- elles à une attente du public iranien ? Voyagent- elles mieux parce qu’elles dépassent les frontières de la langue ?
FS Ces formes plus visuelles, qui ont été mises à l’honneur lors de la dernière édition du festival de théâtre Fadjr, permettent effectivement de dépasser la barrière de la langue. Elles sont également moins connues ici mais suscitent beaucoup d’intérêt du public iranien.
J’ai assisté à la première du spectacle Index de la compagnie Pyramides qui était déjà venue en Iran il y a quelques années et est particulièrement dynamique. Le Centre des arts dramatiques a également souhaité insérer dans la programmation du théâtre de rue, qui est une discipline dans laquelle les compagnies françaises excellent.
À cet égard, le spectacle Take-Off de la compagnie Tacotac, qui exécute des acrobaties spectaculaires sur des échasses pneumatiques, présenté sur le parvis du Théâtre de la ville de Téhéran, a rencontré un beau succès ! Le spectacle Au-delà des mots revêtait une dimension particulière étant donné qu’il était le fruit d’un travail en commun, sur plusieurs mois, entre la compagnie française Litecox et la compagnie iranienne Zendeghi. Cette œuvre jouait justement avec la barrière de la langue que vous évoquez, avec succès. En 2016, le festival Fadjr avait opté pour un spectacle de théâtre d’objet, Mooooooooonstres, de la compagnie Label Brut qui avait eu beaucoup de succès auprès des enfants mais aussi des plus grands. Au-delà de ces formes musicales et visuelles, l’Ambassade a apporté son soutien à la jeune metteuse en scène francophone Sétâreh Aminian dont la pièce Le Locataire, pour laquelle elle a travaillé avec la compagnie française Réformances, a reçu le Prix spécial du festival.
Parallèlement à ces spectacles, le dramaturge Christian Siméon, récipiendaire du Molière du meilleur auteur, a donné une conférence sur l’écriture dramatique dans le cadre du festival, en coopération avec l’université Azad.
« Depuis la découverte de la Perse en France, notamment à travers les récits de voyage de Jean Chardin, nos deux pays entretiennent des liens culturels très forts. […] Je suis surpris de voir le nombre de pièces présentées quotidiennement, ne serait-ce qu’à Téhéran (qui serait de l’ordre de trente par jour) mais aussi par la créativité des metteurs en scène. De nouvelles salles de spectacles ouvrent très régulièrement. »
SM‑L Pouvez-vous nous parler des grands projets à venir ? Le chorégraphe Christian Rizzo sera programmé en Iran en 2017, un projet de coopération est prévu entre l’Iran et le Théâtre de la Ville de Paris… ?
FS Tout à fait, un projet de coopération très ambitieux est sur le point de voir le jour entre le Théâtre de la Ville de Paris et celui de la Ville de Téhéran. Sur une période de trois ans, les institutions échangeront non seulement des spectacles mais aussi de l’expertise, ce qui est naturellement très important sur le long terme. Elles mèneront également un travail important dans le domaine de la traduction pour une meilleure connaissance réciproque des œuvres dans les deux pays.
Le Théâtre de la Ville de Téhéran est une institution particulièrement dynamique qui joue un rôle de plus en plus important non seulement dans la présentation des pièces mais aussi dans le domaine de la production et de la formation. L’institution présente aussi bien des grands classiques, comme des pièces de Molière mais aussi des spectacles d’auteurs plus contemporains. En février et mars 2017, elle a accueilli le cycle de conférences Un mois avec les auteurs dramatiques contemporains français lors de laquelle le public iranien a pu découvrir les œuvres de Michel Deutsch, Michel Vinaver, Bernard-Marie Koltès, Xavier Durringer et Enzo Cormann, autour de lectures, conférences et échanges avec des acteurs et metteurs en scène iraniens.
La France et l’Iran partagent une passion pour le théâtre qui, dans ces deux pays, est très riche, dynamique et foisonnant. Je suis surpris de voir le nombre de pièces présentées quotidiennement, ne serait-ce qu’à Téhéran (qui serait de l’ordre de trente par jour) mais aussi par la créativité des metteurs en scène. De nouvelles salles de spectacles ouvrent très régulièrement.
C’est donc très naturellement que les femmes et hommes de théâtre français et iraniens travaillent ensemble et nombreux sont les passeurs de culture entre nos deux pays qui font vivre notre relation au quotidien comme Maryam Karroubi, directrice d’Artistan, Azar Kazemi, Ramona Shah et tous nos interlocuteurs du Centre des arts dramatiques, notamment MM. Shafiee et Rayani-Makhsous, et du Théâtre de la Ville de Téhéran, M. Shariati.
- L’accord de Vienne : au terme de plusieurs prolongations, l’Iran et les pays du « P 5+1 » (États- Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) sont parvenus à un compromis sur le nucléaire iranien le 14 juillet 2015 à Vienne. Six mois après, l’Agence internationale de l’énergie atomique a donné son feu vert à la levée des sanctions contre Téhéran. ↩︎