Un partenariat entre les Théâtres de la Ville de Téhéran et de Paris est à l’étude pour les trois saisons à venir. La première partie du programme sera consacré à un cycle de lectures d’auteurs contemporains (Iraniens en France et Français en Iran), la deuxième à un programme de formes légères choisies en France et présentées dans chaque ville, la troisième à la présentation conjointe d’une grande création. La découverte de ces cinq dramaturges iraniens, de générations différentes, inaugure ce projet de coopération franco-iranien : Bahrâm Béyzâei, Alirézâ Nadéri, Mohammad Yaghoubi, Naghmeh Samini, Nadér Borhâni Marande…
Bahrâm Béyzâei est né le 26 décembre 1938 à Téhéran, à l’époque où le nom d’« Iran » fut choisi pour désigner un pays qui portait autrefois le nom de « Perse » ou « Pars ». À vingt ans à peine, il écrit la pièce Arash, qu’il a qualifiée lui-même de « Barkhani » (terme inventé par l’auteur qui signifie lecture à voix haute, mise en voix). Arash est un héros mythique iranien, dont l’histoire remonte à un légendaire conflit frontalier entre l’Iran et le Touran [Turkestan], initié par un tir lancé par le protagoniste. Selon la légende, ce tir a traversé des territoires pendant des jours et des nuits. Béyzâei, dans sa pièce Barkhani Arash, fait déjà ce qu’on retrouvera dans ses œuvres ultérieures. Il met en doute la sainteté qui se dégage des personnages des versions mythiques et s’interroge sur la signification dominante enracinée dans cette culture archaïque. Il va en quête des contradictions et des failles qui émaillent ces légendes inébranlables, à la recherche de la voix silencieuse et sourde des déshérités, des opprimés, des femmes et des intellectuels, tous ces sans-voix de notre Histoire despotique, patriarcale et monocorde.
Dans Arash, le personnage éponyme n’est pas un héros légendaire mais un homme ordinaire, un dresseur de cheval de l’armée royale, qui procède à un acte de bravoure dans des circonstances fortuites où il se trouve. Ainsi, à la fin de la pièce, le protagoniste est démythifié. Ce nouvel Arash n’est qu’un homme normal qui s’est illustré et est resté dans l’Histoire, au cœur d’une réalité qui, loin d’être prédéterminée et statique, est créative et dynamique. Béyzâei impose à l’Histoire, d’une manière puissante, cette réalité qu’il crée lui-même, en construisant un langage qui se perpétue dans les ruines de la langue persane.
Alirézâ Nadéri, né le 21 avril 1961, à Téhéran, a fait ses études au département des arts dramatiques et de musique de la Faculté des Beaux-Arts de l’Université de Téhéran. Il est sans aucun doute parmi les trois premiers grands dramaturges iraniens contemporains. Il fut un excellent professeur, dans diverses universités et établissements académiques, qui a toujours exercé une grande influence sur ses étudiants, devenus aujourd’hui, pour la plupart, des dramaturges. Il est, encore aujourd’hui, en quête de nouvelles méthodes d’enseignement et d’approches théoriques. Ces dernières années, il a écrit des pièces de théâtre, scénarios de films et séries télévisées. Chacune de ces œuvres récentes présente un style original. Ces thématiques principales sont : la guerre, la pauvreté et un travail singulier sur la langue.
Nadéri fut soldat pendant la guerre de huit ans imposée par Saddam Hussein à l’Iran (guerre Iran-Irak de 1980 à 1988). Il s’inspire de cette expérience pour écrire mais sa vision pacifique et la polyphonie de son œuvre, qui révèle une satire parfois trop franche, n’ont jamais concordé avec la représentation officielle de cette guerre.
Son livre le plus important sur la guerre est Les Murmures derrière la ligne du front, mais il y en a d’autres, comme Quatre récits adoptés des histoires de Rahman et du mur. Le souvenir de l’assaut des extrémistes et des milices fondamentalistes à la salle Molavi, alors que se produisait ses Murmures… reste encore ancré dans la mémoire des amateurs de théâtre en Iran. Même sans avoir lu le texte, son titre en dit long sur la problématique dont traite l’auteur.
Quatre récits… est beaucoup plus expérimental par rapport à Murmures…, plus audacieux du point de vue de la forme. Après une période consacrée à la pièce Le Bonheur ébranlable des gens misérables, Nadéri s’occupe de la matière brute de l’écriture, c’est-à-dire la langue. Quelque soit la forme du texte (pièce, scénario ou série télévisée), elle offre à l’écrivain l’opportunité de développer une intrigue simple avec peu de personnages, qui lui permettent de faire des jeux de mots, de langage, tels que des rimes, des calembours et des Saj’s (rimes pour la prose, comme dans les textes de Sa’di).
Nadéri, qui porte toujours sur les évènements un regard pacifique, développant une satire délicate et caustique, dans une narration honnête et empathique vis-à-vis de la vie difficile des personnes issues des couches urbaines inférieures, a marqué, par son écriture singulière, la dramaturgie contemporaine iranienne.
Mohammad Yaghoubi est de six ans le cadet d’Alirézâ Nadéri. Né dans une ville du Nord de l’Iran, son optimisme, son amour de la réussite et son sourire ne l’ont pas empêché de créer une œuvre importante, qui est même devenue un courant à part. Au milieu des années 1990, avec ses pièces dont les histoires se déroulent dans la chambre à coucher ou la salle de séjour des familles appartenant aux couches moyennes de la société, il a ouvert au théâtre de nouvelles perspectives. Les critiques et les journalistes l’ont défini « le dramaturge de la classe moyenne », une appellation qui ne vaut que dans le milieu culturel iranien, car elle cache une tension idéologique qui n’est pas encore résolue près de quarante ans après la révolution iranienne de 1979. Il existe, en effet, une guerre masquée entre le gouvernement et la classe moyenne pour le choix du mode de vie. C’est pourquoi, écrire sur la classe moyenne et représenter la vie de ces couches sociales peut révéler des tensions idéologiques graves. En témoignent les nombreuses censures exercées sur les œuvres littéraires, la déprogrammation de certains films et pièces de théâtres qui traitent de cela. Au milieu des années 1990, quand Yaghoubi a osé écrire le premier sur la vie de cette classe moyenne, les tensions étaient beaucoup plus lourdes qu’aujourd’hui. Il a posé un acte littéraire et culturel, mais aussi politique, qui eut de grandes répercussions. Quelques mois après l’élection de Mohammad Khatami à la tête du gouvernement iranien, sa pièce Hiver 1988 fut montée, et elle connut un énorme succès.
Hiver 1988 est une sorte de méta-drame basé sur les envois de missile sur Téhéran par les forces baasistes de l’armée de Saddam Hussein pendant l’hiver 1988.