On interprétera l’oubli

Théâtre
Portrait

On interprétera l’oubli

Le 21 Mar 2018
Miguel Decleire, Peter Vandenbempt et Bernard Breuse dans Coalition de Tristero & Transquinquennal, 2009. Photo Herman Sorgeloos.
Miguel Decleire, Peter Vandenbempt et Bernard Breuse dans Coalition de Tristero & Transquinquennal, 2009. Photo Herman Sorgeloos.

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Miguel Decleire, Peter Vandenbempt et Bernard Breuse dans Coalition de Tristero & Transquinquennal, 2009. Photo Herman Sorgeloos.
Miguel Decleire, Peter Vandenbempt et Bernard Breuse dans Coalition de Tristero & Transquinquennal, 2009. Photo Herman Sorgeloos.
Article publié pour le numéro
Couverture deu numéro 134 - Institutions / insurrections
134

« Ensuite, nous serons spec­ta­teurs (enfin) du dénoue­ment – inscrit dans l’ironie même du théâtre – de notre longue presta­tion publique, et Tran­squin­quen­nal inter­prètera l’oubli. »

Tran­squin­quen­nal

Une fois n’est pas cou­tume, com­mençons par la fin, la fin de l’histoire. Dans le cas du groupe théâ­tral Tran­squin­quen­nal, on ne brise aucun sus­pens, puisqu’ils ont eux-mêmes annon­cé, au jour près, la dis­pari­tion de leur col­lec­tif. Le 1er jan­vi­er 2023, soit après 33 ans d’existence et 44 créa­tions au comp­teur actuel – les chiffres sont un art, décidé­ment– les mem­bres de l’association la met­tront en « liq­ui­da­tion » et renon­ceront à la pré­cieuse mémoire de leur réper­toire, des dizaines de spec­ta­cles qu’ils ont tou­jours tenu à jouer le plus longtemps pos­si­ble.
La déci­sion de Tran­squin­quen­nal est à l’évidence une euthanasie théâ­trale, comme il n’en existe pas beau­coup dans l’histoire du théâtre. Der­rière le mythe de l’artiste qui se retire au som­met de son art (avec en général un retour, pro­gram­mé ou non), rares sont ceux qui ont le courage du retrait. Le passé nous enseigne que des généra­tions entières n’ont pas voulu ou pas su « pass­er la main » – une expres­sion qui dit si juste­ment que dans les con­trées du ser­vice pub­lic, le théâtre appar­tient au pub­lic, et non à ceux qui l’habitent, de manière éphémère, et finis­sent dans la mémoire col­lec­tive.

Émilie Meinguet dans Quarante-et-un de Transquinquennal, 2014. - Photo Herman Sorgeloos.
Émi­lie Meinguet dans Quar­ante-et-un de Tran­squin­quen­nal, 2014. — Pho­to Her­man Sorgeloos.

La force de cette déci­sion est qu’elle n’est pas sim­ple­ment poli­tique, elle est essen­tielle­ment artis­tique, ou plus exacte­ment elle artic­ule avec beau­coup de finesse l’institution et la créa­tion. Le pro­jet de met­tre un terme au col­lec­tif s’est en effet pen­sé et déployé dans la demande offi­cielle d’un « con­trat pro­gramme 2018 – 2022 » auprès de la Fédéra­tion Wal­lonie-Brux­elles, la com­mu­nauté fran­coph­o­ne de Bel­gique, où ils annon­cent, dès les pre­mières lignes, que ce sera la dernière. Il faut pré­cis­er ici que par éthique publique, toutes les deman­des de sub­ven­tions et les pro­jets de la com­pag­nie sont pub­liées et en libre accès. Une pra­tique impens­able en France, où cette « trans­parence » serait vécue comme un crime de lèse-majesté répub­li­caine !
La pro­gram­ma­tion de l’arrêt de la vie, négo­cié avec la logique admin­is­tra­tive, n’en reste pas moins, d’abord, un geste artis­tique, ten­du sur cinq ans par un groupe de créa­teurs. Cha­cune des cinq années du plan, comme une tragédie clas­sique, est struc­turée et nour­rie par un thème por­teur. Chercheurs tout ter­rain, résol­u­ment trans­dis­ci­plinaires, les tran­squin­quen­naux se sont emparés des travaux de la psy­chi­a­tre Eliz­a­beth Kübler-Ross, pio­nnière dans le champ des soins pal­li­at­ifs, qui a déter­miné « cinq phas­es du deuil », à la suite de l’annonce d’une issue fatale : le déni, la colère, le marchandage, la dépres­sion, l’acceptation. Suiv­ant leurs principes de tra­vail, ils vont faire de ces mots – un par an – des leviers dra­maturgiques qui vont stim­uler un tra­vail de lab­o­ra­toire, un pro­gramme de médi­a­tion et une stratégie de créa­tions, comme autant de modal­ités du tra­vail de deuil, face à ce qui bien­tôt ne sera plus, sinon dans les sou­venirs de ceux qui ont fait œuvre, acteurs et spec­ta­teurs réu­nis dans cette tâche.
En déci­dant de liq­uider leur aven­ture, les mem­bres de Tran­squin­quen­nal font ce qu’ils ont finale­ment tou­jours fait : désobéir aux normes et déjouer les règles en vigueur dans le monde du théâtre. Cha­cun des fon­da­teurs aurait pu s’engager dans la voie dom­i­nante, et ras­sur­ante, tracé par la moder­nité théâ­trale, soit comme acteur, soit comme met­teur en scène, auteur ou encore tous les autres métiers d’un art fondé sur le geste d’obéissance d’un groupe à la fig­ure du met­teur en scène, celui auquel cha­cun de ceux qui le com­posent a remis son pou­voir artis­tique de déci­sion.

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Transquinquennal
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Écrit par Bruno Tackels
Bruno Tack­els est essay­iste et dra­maturge. Il est pro­duc­teur d’émissions théâ­trales à France-cul­ture, et rédac­teur pour la revue...Plus d'info
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