Une expérience sur le rire ! Le spectacle Rire/Lachen (2008), dernier de la trilogie sur les émotions après Holding Hands (2001) et Un après-midi (2003), a de quoi surprendre. Comme pour ses précédentes études ou pour le spectacle Abecedarium Bestiarium, l’artiste queer a composé le spectacle à partir de partitions que lui ont remises ses proches. Ces partitions sont néanmoins dégagées de toute fiction, elles doivent uniquement permettre à la performeuse d’étudier les formes de rire. L’artiste s’est par ailleurs appuyée sur des lectures philosophiques et scientifiques, notamment sur la biologie behavioriste1, ainsi que sur le yoga du rire et des ateliers pratiques et collectifs. Sa recherche performative l’a conduite à approcher une expression pure du rire, inversant ainsi le processus de la comédie où les acteurs ne rient guère mais veulent faire rire : Baehr rit, sans raison autre que l’expérimentation scénique, et ne veut pas forcément faire rire.
Elle entre en scène vêtue d’un costume masculin sombre et strict, s’assied sur une chaise et dispose les partitions sur un pupitre. Les manières de rire qui s’enchaînent frappent par leur singularité : rire hilare et bruyant, rire haut perché, fou rire, rire toussotant ou syncopé… Tantôt l’artiste développe un rire perlé aux variations musicales, tantôt elle accompagne de son rire les balles qui roulent et rebondissent sur la scène, synchronisation qui fait ressortir la qualité chorégraphique de sa recherche. Certaines esclaffades s’accompagnent de mimiques, elle se tape sur les cuisses, accentue la corporalité du geste riant en usant d’un miroir grossissant. Ces rires sont de toute évidence les plus communicatifs, et aux éclats de la performeuse se mêlent ceux des spectateurs. S’il ne fallait souligner qu’un trait saillant du spectacle, ce serait assurément le plaisir pris par les spectateurs, qui ne cessent de rire avec Antonia Baehr. À certains moments particulièrement réussis, ils prennent même la liberté d’applaudir, comme ils le feraient d’un comique. La performance se distingue ainsi non seulement par le plaisir pris à la découverte de l’infinie pluralité des rires, mais par son intense interactivité : elle se prolonge dans le public où se multiplient les rires, les timbres et les énergies déployés par les spectateurs, si bien qu’à l’écoute de la scène s’ajoute celle de la salle.