Buenos Aires, un vaste laboratoire théâtral

Théâtre
Réflexion

Buenos Aires, un vaste laboratoire théâtral

Le 29 Avr 2019
Ensayo sobre el medio, de Federico Polleri. Photo DR.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 137 - Noticias argentinas - Perspectives sur la scène contemporaine argentine
137

Le théâtre s’avère un des événe­ments soci­aux, poli­tiques et cul­turels les plus per­ti­nents d’Argentine. C’est un des pat­ri­moines tan­gi­bles et intan­gi­bles, mobili­er et immo­bili­er, les plus évi­dents du pays. Buenos Aires est con­sid­érée comme une des grandes cap­i­tales théâ­trales du monde his­panique. On y crée chaque année en moyenne 2000 spec­ta­cles théâ­traux de divers types ; on y compte plus de 250 salles en fonc­tion dans les cir­cuits offi­ciel, indépen­dant et com­mer­cial, aux­quelles il faut ajouter env­i­ron 400 espaces moins con­ven­tion­nels où se don­nent des représen­ta­tions (cen­tres cul­turels, écoles, hôpi­taux, maisons de retraite, pris­ons, com­merces, rues et places publiques, bars, maisons par­ti­c­ulières, etc.).

Buenos Aires pos­sède une philoso­phie unique du théâtre, qui s’exprime le mieux à tra­vers la pro­duc­tion du « théâtre indépen­dant » (apparu en 1930), dont l’éthique le situe délibéré­ment à la marge de la pro­duc­tion nationale (c’est-à-dire réal­isée grâce à des sub­ven­tions d’État) ou de la pro­duc­tion com­mer­ciale (soutenue par les fonds privés des pro­duc­teurs). Buenos Aires révèle par ailleurs une activ­ité fournie sur le plan théâ­tral élar­gi : enseigne­ment, organ­i­sa­tions syn­di­cales, lég­is­la­tion et sou­tien offi­ciel, fes­ti­vals et tournées, pub­li­ca­tions, cri­tique, recherche et théorie, uni­ver­sités, cen­tres de doc­u­men­ta­tion, archives et musées, sans compter l’échange vers l’international ou l’accueil de grandes com­pag­nies étrangères… Buenos Aires est un gigan­tesque « lab­o­ra­toire théâ­tral ». S’il s’agit donc du prin­ci­pal cen­tre théâ­tral du pays, ce n’est pas pour autant le seul. Il n’existe pas « un » théâtre argentin mais bien des théâtres argentins, aux racines dif­férentes. Il suf­fit pour cela de se fig­ur­er la diver­sité des régions du pays du nord au sud et de l’est à l’ouest et des con­nex­ions trans­frontal­ières avec autant de pays lim­itro­phes. Une car­togra­phie mul­ti­po­laire, une poly­phonie théâ­trale.
Com­ment dès lors syn­thé­tis­er quelques ten­dances dom­i­nantes dans un con­texte aus­si com­plexe et mul­ti­ple ? Nous en détaillerons ici quelques-unes pro­pres au Buenos Aires con­tem­po­rain.

Restauration néolibérale et appauvrissement

La pre­mière décen­nie du XXIe siè­cle fut car­ac­térisée par la crise du néolibéral­isme. La péri­ode 2001 – 2015 fut ain­si qual­i­fiée de post-néolibérale. Cepen­dant, l’arrivée au pou­voir du prési­dent Mauri­cio Macri (décem­bre 2015) per­met de par­ler d’une restau­ra­tion néolibérale aux com­posantes idéologiques con­ser­va­tri­ces. Depuis 2016, les poli­tiques nationales se car­ac­térisent par la réduc­tion des inter­ven­tions de l’État, la mil­i­tari­sa­tion crois­sante, la con­cen­tra­tion accrue de la richesse et des moyens de com­mu­ni­ca­tion, l’inégalité de class­es, l’augmentation de l’économie stricte­ment finan­cière ayant comme con­séquence la fuite des cap­i­taux, l’augmentation de la dette extérieure et la soumis­sion au FMI, la chute du marché intérieur et de l’industrie nationale, l’augmentation des impor­ta­tions et des pri­vati­sa­tions, le démem­bre­ment des struc­tures nationales d’éducation, de san­té et de cul­ture, qui s’ajoute à l’inflation crois­sante, la réces­sion et l’augmentation astronomique des impôts.

Ces poli­tiques affaib­lis­sent sans aucun doute la pro­duc­tion théâ­trale, réduite en quan­tité et plus pau­vre encore en moyens. Sebastián Blu­tra­ch, l’actuel prési­dent de l’Association argen­tine des pro­duc­teurs de théâtre (Aso­ciación Argenti­na de Empre­sar­ios Teatrales – AADET), avançait le bilan suiv­ant de l’année 2018 lors d’un récent entre­tien :

« La forte chute se fait sen­tir à par­tir d’avril. En sep­tem­bre 2018, le vol­ume glob­al de spec­ta- teurs avait bais­sé de 25 % par rap­port au mois de sep­tem­bre 2017, et octo­bre 2018 enreg­istre un recul de 7 % par rap­port à octo­bre 2017. Ce qui nous préoc­cupe le plus est la chute des recettes de bil­let­terie, qui fut en sep­tem­bre 2018 de 32 % par rap­port à sep­tem­bre 2017, soit près de 70 % de perte réelle si on y fait porter la forte infla­tion annuelle. En octo­bre, nous sommes à 17 %, soit 30 % en réel [avec l’inflation].

Cette baisse de pub­lic a comme con­séquence une pro­gram­ma­tion plus con­ser­va­trice [du théâtre com­mer­cial], où domi­nent les comédies et les dis­tri­b­u­tions con­nues. Il nous est aujourd’ hui impens­able d’avoir trois Arthur Miller et un Ten­nessee Williams comme c’était le cas en 2011 à l’affiche du théâtre com­mer­cial. Cette baisse de fréquen­ta­tion entraîne égale­ment la coex­is­tence de dif­férentes pro­duc­tions dans la même salle, avec moins de représen­ta­tions par semaine pour cha­cune, et donc avec moins d’exigence en ter­mes de vol­ume de pub­lic. Les spec­ta­cles [du cir­cuit com­mer­cial] ont en ce moment une moyenne de survie qui approche les 800 spec­ta­teurs par semaine, tan­dis que la moyenne nor­male tour­nait plutôt autour de 1500 afin d’assurer la reprise. Les salles y parvi­en­nent en ouvrant deux propo­si­tions plutôt qu’une. »

  1. Terme employé en Argen­tine et dans quelques autres pays d’Amérique latine pour désign­er un type de man­i­fes­ta­tion publique dont l’objectif est de dénon­cer une per­son­ne ou une insti­tu­tion en lien avec des actions non traitées par la jus­tice. ↩︎
  2. Action politi­co-théâ­trale de rue qui a lieu devant les voitures à l’arrêt à un feu rouge (Ndt : qui se dit semá­foro), de durée brève (cor­re­spon­dant à la durée du feu com­man­dant l’arrêt). ↩︎
  3. Beck­ett, Samuel, 2014, Let­tres, 1929 – 1940, Paris, Gal­li­mard. ↩︎
  4. Cabanchik, Samuel, 2000, Intro­duc­ciones a la Filosofía, Barcelona, Gedisa y Uni­ver­si­dad de Buenos Aires. (notre tra­duc­tion) ↩︎
  5. Ndt : Site web de référence en Argen­tine et à Buenos Aires con­cer­nant l’actualité de la scène, reposant en par­tie sur une dimen­sion col­lab­o­ra­tive en ter­mes de pub­li­ca­tion de cal­en­dri­er, his­torique des spec­ta­cles et recen­sions cri­tiques. L’homonymie avec cette même revue étant un hasard heureux. ↩︎

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Jorge Dubatti
Jorge Dubatti (Buenos Aires, 1963) est Docteur de l’Université de Buenos Aires (Histoire et théorie...Plus d'info
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