ANÍS déménage, avec une boîte et un trousseau de clefs qu’elle change en même temps que de maison.
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Maison 16. ANÍS
C’était ça notre plan, faire semblant d’être intéressés par une offre immobilière pour espionner ce qu’ils mangent, ceux qui dorment dans la même pièce ou alors l’endroit où les personnes rangent leurs bibelots. Ma mère avait coutume de m’emmener promener dans les maisons à louer. Elle marquait des cercles rouges dans le journal comme ceux qui cherchent du travail. Cette activité d’espionnage était mon passe-temps hebdomadaire : il faut observer les apparences sans rien détruire. Ça c’était avant, quand je n’avais pas plus de dix ou onze ans. Maintenant c’est différent, je garde des maisons où se répandent les affaires des autres sous forme de cascade et je me protège de la tête aux pieds. J’adopte rapidement les rituels qui se cachent sous les choses et je travestis ma personnalité en menant une vie d’emprunt. D’un certain point de vue la ville ressemble aux villages à l’heure de la sieste. Par exemple, dans cette maison ils dorment pendant la journée et je ne les vois presque pas. La dernière fois que nous avons déjeuné ensemble ça a été dans le noir et j’ai explosé. Je me suis fais une très mauvaise idée de ces gens, de leurs mots, de leurs voitures et de leurs sexes. Je leur ai dit qu’ils étaient des fils de putes affectueux et attachants. Ce sont des bestioles de la consommation, ils ont été contaminés par la peste et ils en sont contents. Ma mère ne s’approche pas parce qu’elle veut sentir qu’elle est différente. Moi je garde la maison, parce que c’est une maison de famille et parce qu’il pleut, ce qui est courant en automne. Je parle de la météo pour dire quelque chose. C’est toujours comme ça, le milieu qui t’entoure. La grand-mère Lía me traite devant les autres comme si j’étais quelqu’un de spécial. Que je suis la plus belle, la plus gentille, la plus intelligente. Ça me fait honte, elle dit ça en pensant qu’elle est objective. L’oncle Rito m’a traitée d’anarchiste. Tout ça parce que je ne crois pas en la propriété privée. Lui il est péroniste. Sur la table nous jetons notre furie. Il me traite de capricieuse, je lui crache dessus. Je demande pardon. Lui, que c’est pas grave. Nous terminons le repas par un café. Dans la maison de grand-mère Lía ils ont peur de moi, ils disent que je m’échappe comme le lapin blanc dans les contes. Rito et Lía n’aiment pas que j’habite chez des étrangers. Je m’en fiche, je ne pense pas que ce qui est commun soit forcément quelconque.