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Scène 6 — Manifestation
PEDRO 2016, Brésil. Je vais à la mani- festation contre le coup d’état, Temer vient de prendre de manière indi- recte le pouvoir. J’ai un T‑shirt rouge, quelques personnes dans la rue me regardent avec mépris. On dit que Lula va parler, juste en le nommant l’at- mosphère change. Le pays est divisé. Là-haut j’écoute le son des hélicop- tères. Il y a eu des grandes manifes- tations de la droite sur cette avenue. J’arrive plus près de l’avenue Paulista et je commence à écouter les gens.
JORGE 2001, j’ai 20 ans, je suis avec mon frère chez moi. On est tous les deux défoncés. À cette époque-là mon frère était dealer de shit et dans le frigo il y avait un demi-kilo de shit dans un sac. Ma maman est venue nous voir pour tout ce qui se passait dans le pays. Mon frère était un peu parano à cause du shit. La télé était allumée. De la Rua allait parler, la situation était hors de contrôle.
LUCIA 2011, j’ai 28 ans, je viens de rentrer en Espagne après avoir étudié à l’étranger. Je ne reconnais pas l’Espagne et je ne me reconnais pas en Espagne. Mon père a dû renvoyer ses employés et fermer son studio d’architecture qu’il a ouvert il y a 28 ans. Je ne reconnais pas mon père. Je ne me reconnais pas en mon père.
PEDRO Donc j’arrive, il y a beaucoup de gens. Je vois le bataillon antiémeute. Ça fait froid dans le dos. 15 ans avant sur cette même avenue, ce bataillon me frappait à la tête lors d’une manifestation, sans raison. Je me suis retrouvé couvert de sang, la sensation que j’allais mourir. Toujours beaucoup de tension entre la police et les manifestants de gauche. Aujourd’hui encore plus.
JORGE La chaine nationale de télévision. Le discours est court, pratique et définitif. Il inaugure l’état de siège. On commence à écouter les bruits de casseroles et les coups contre les balcons. On sort sur le balcon de l’avenue Rivadavia et on voit les gens qui commencent à sortir dans la rue et marcher vers le centre.
LUCIA Mon amie Eva, photographe, cherche des beaux murs où faire des shootings pour la pièce que je vais présenter. On rit, « tu dois avoir l’air d’une metteuse en scène moderne » dit Eva. WhatsApp n’arrête pas de sonner.