« J’essaie toujours de créer sur la scène des espaces et des images capables d’attirer l’attention du spectateur. Un espace pour transformer notre sensation de l’espace et du temps. Une « machine spatiale» qui guiderait la dramaturgie. Comme dans Women in Trouble où le décor tournait pendant toute la durée du spectacle et dont la vitesse rythmait la dramaturgie: combien de temps a duré la scène, qui a joué la scène, etc. J’aime beaucoup cela. J’ai souvent le sentiment que les gens n’utilisent pas toutes les possibilités offertes par le théâtre. Mais pour faire de la magie peut-être faut-il d’abord apprendre l’artisanat du métier ? »
“La metteuse en scène allemande Susanne Kennedy semble avoir trouvé le juste équilibre des pouvoirs entre le corps, l’objet et la machine et invente une esthétique au-delà de l’humain. Un théâtre où l’on reconnaitrait le théâtre en ayant la sensation de découvrir le théâtre. Un théâtre distendu, déformé, malaxé, à l’instar des acteurs porteurs de masques, des dialogues découpés, de la parole réorganisée créant une langue « siri », des doppelgängers et du bon usage du multimédia. De ce théâtre là émane une subjectivité post- humaniste. Susanne Kennedy a fait ses débuts sur la scène néerlandaise avec une série de mise en scènes de pièces d’Enda Walsh, Sarah Kane et Elfriede Jelinek, mais a aussi créée un feuilleton expérimental, Hideous (Wo)men. Dès ses premiers spectacles elle travaille sur la déformation, la création d’un autre monde qui serait un précipité des plus anciens. Ainsi dans Fegefeuer in Ingolstadt (Purgatoire à Ingoldstadt), la première pièce de la compagne de Bertolt Brecht Marieluise Fleisser, Susanne Kennedy déploie la vie de la petite ville de Fleisser dans une boîte, sur scène, dans laquelle les acteurs s’atrophient progressivement en sculptures derrière leurs masques, comme dans une installation, alors que les voies enregistrées sont déformées. Un procédé que Susanne Kennedy réutilisera ensuite dans Warumläuft Herr R. Amok ? (Pourquoi Monsieur R. est-il atteint de folie meurtrière ?), le premier de ses spectacles qui sera présenté en France, basé sur le film de Rainer Werner Maria Fassbinder et Michael Fengler.
Avec cette pièce au répertoire des Kammerspiele de Munich, Susanne Kennedy poursuit sa réflexion autour du masque et de l’acteur, en faisant du théâtre un rituel impi- toyable. Plus intéressée par des actions profanes que par le conflit dramatique, elle met en scène le quotidien bourgeois dans son souci névrotique du détail insignifiant et compose à partir d’actions théâtrales aussi simples que franchir le seuil d’une porte, boire une bière, s’asseoir à son bureau…
Les personnages apparaissent comme des spectres ou des mannequins postés dans les vitrines des magasins, si bien qu’un vide incommensurable s’installe entre les acteurs et les figures qu’ils représentent. Ces fantômes, dont les visages révèlent l’incapacité de faire face à la vie, se noient dans un flot de paroles hasardeuses, interprétées en playback. Susanne Kennedy approfondit ainsi ses recherches autour de la déconnexion entre la voix et le corps des acteurs, tout en explorant les limites entre théâtre et installation.