La formation des scénographes en artistes de la scène.

Entretien
Théâtre

La formation des scénographes en artistes de la scène.

Entretien croisé d’enseignants de La Cambre à Bruxelles et du Pavillon Bosio à Monaco

Le 21 Oct 2019
Bleu, performance de Mathieu Locquet avec Eva Honings, Julien Josse, Milton Paulo, Thomas Regnier, Marie Viennot.
Bleu, performance de Mathieu Locquet avec Eva Honings, Julien Josse, Milton Paulo, Thomas Regnier, Marie Viennot. Collection ENSAV de La Cambre. Prix des Amis de La Cambre 2019. Kanal– Centre Pompidou, Bruxelles, juin 2019. Photo La Cambre.

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Bleu, performance de Mathieu Locquet avec Eva Honings, Julien Josse, Milton Paulo, Thomas Regnier, Marie Viennot.
Bleu, performance de Mathieu Locquet avec Eva Honings, Julien Josse, Milton Paulo, Thomas Regnier, Marie Viennot. Collection ENSAV de La Cambre. Prix des Amis de La Cambre 2019. Kanal– Centre Pompidou, Bruxelles, juin 2019. Photo La Cambre.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 138 - Arts de la scène et arts plastique
138

Au mois de juin 2019 Georges Banu et Bernard Debroux ont ani­mé une ren­con­tre entre Véronique Leyens, Simon Sieg­mann enseignants à La Cam­bre (Brux­elles), Ondine Bréaud-Hol­land et Lau­rent P. Berg­er enseignants au Pavil­lon Bosio (Mona­co).

Georges Banu — L’enseignement du théâtre fait s’affronter deux démarch­es : la pre­mière est une péd­a­gogie « proces­suelle », on part du plus sim­ple vers le plus com­plexe. L’autre, plus polémique, défendue par quelqu’un comme Vitez, con­fronte les élèves à l’énigme du théâtre, l’énigme du jeu. Adoptez-vous dans votre péd­a­gogie la démarche de l’évolution pro­gres­sive ou celle de l’immersion directe

Véronique Leyens - À La Cam­bre, lors des épreuves d’admission nous nous trou­vons de plus en plus face à des étu­di­ants « dému­nis ». Ils arrivent avec un désir abstrait de théâtre. Pour la plu­part, ils n’ont pour ain­si dire aucune référence dans ce domaine, très peu l’ont lu, l’ont côtoyé ou s’y sont intéressés de près. Ils sont dému­nis face à la ques­tion du théâtre, du plateau, de la représen­ta­tion. Notre ate­lier s’inscrivant dans une école d’arts visuels, il est donc dif­fi­cile, en début de for­ma­tion, d’être exclu­sive­ment dans une démarche d’immersion et nous nous inter­ro­geons par­ti­c­ulière­ment sur la meilleure manière d’articuler ces proces­sus de for­ma­tion qui nous sem­blent tous deux néces­saires. Sur les cinq années du cur­sus, nous priv­ilé­gions une « colonne vertébrale » dite théâ­trale. Chaque année, nous pro­posons à chaque classe un pro­jet de théâtre con­séquent – et ce dès la pre­mière année – avec une approche dra­maturgique et une recherche appro­fondie sur l’espace scénique. Nous abor­dons par ailleurs tous les autres champs de la scéno­gra­phie tout au long de leur for­ma­tion. Le pre­mier exer­ci­ce, à leur arrivée dans la sec­tion, con­siste à aller vis­iter un plateau de théâtre et d’en refaire la maque­tte.

Simon Sieg­mann
En effet, les étu­di­ants arrivent très jeunes, tout juste diplômés de leurs études sec­ondaires, sans avoir de solides « capac­ités de représen­ta­tion ». L’idée est donc de con­sacr­er les pre­mières années de bach­e­lor à leur don­ner une base méthodologique à par­tir de laque­lle ils pour­ront se con­fron­ter à la com­plex­ité d’une mise en espace. Cette méth­ode d’immersion dès le départ me paraît dif­fi­cile et un peu frus­trante, et pour eux et pour nous.

Jovita Negro dans Studio Espace construit 2, Pavillon Bosio, 2017. Photo Dominique Drillot.
Jovi­ta Negro dans Stu­dio Espace con­stru­it 2, Pavil­lon Bosio, 2017. Pho­to Dominique Drillot.

Ondine Bréaud-Hol­land — Au Pavil­lon Bosio les étu­di­ants s’initient à la scéno­gra­phie très tôt à tra­vers des exer­ci­ces de mise en scène en pho­togra­phie et de la pein­ture grand for­mat qui se déroulent au théâtre Princesse Grace et aux stu­dios de la Vic­torine à Nice. Les stu­dios « espaces/construits » et « construction/maquette » et les cours de dessin con­vo­quent la représen­ta­tion de l’espace scénique alors que des temps sont dédiés à la per­for­mance. En pre­mière et deux­ième année, les étu­di­ants ont égale­ment des cours théoriques de scéno­gra­phie et de scénolo­gie. En troisième année, ils présen­tent des instal­la­tions et des per­for­mances face à un pub­lic. Ce qu’ils pro­duisent dans le vaste espace d’une salle poly­va­lente tient de la représen­ta­tion théâ­trale et de la déam­bu­la­tion muséale. Là, l’ensemble de leurs com­pé­tences en arts plas­tiques est sol­lic­ité. Enfin, ils décor­tiquent un spec­ta­cle dans un cours que je mène depuis plusieurs années avec Frédéric Mau­rin qui enseigne à Paris 3. C’est en 4e et 5e année qu’ils peu­vent réfléchir à leur pro­pre pra­tique de plas­ti­ciens en col­lab­o­ra­tion avec des choré­graphes des Bal­lets de Monte-Car­lo. Un tra­vail plus ancré dans la réal­ité de la pro­fes­sion qu’en troisième année où ils sont seuls plas­ti­ciens à inve­stir le plateau. Comme il nous man­quait la dimen­sion de la dra­maturgie, nous allons prochaine­ment col­la­bor­er avec l’école de la Man­u­fac­ture de Lau­sanne. La présence du texte et son analyse seront ain­si ren­for­cées. En pre­mière année, la vis­ite se porte sur le plateau de l’opéra Gar­nier à Mona­co. Nous avons aus­si organ­isé un voy­age autour des théâtres his­toriques de la région de Parme, l’idée étant de tra­vers­er les siè­cles, du xvi­ie au xxe. Départ de Sabionet­ta, puis théâtre Farnèse et théâtre anatomique à Man­toue, retour à Parme avec Ver­di et le théâtre Regio et pour finir le Teatro Due ! Je défends intime­ment cette posi­tion que la scéno­gra­phie com­mence avec l’histoire du théâtre.

Lau­rent P. Berg­er - La car­ac­téris­tique du Pavil­lon Bosio est de for­mer des artistes avant tout. C’est au sein même de leurs pra­tiques (dis­posi­tifs, instal­la­tion, vidéo, images, sculp­ture, per­for­mance, etc.) qu’ils se ques­tion­nent par rap­port à l’espace. Mon­tr­er une oeu­vre par­ticipe de la fab­ri­ca­tion de l’oeuvre. C’est petit à petit qu’ils ont ren­dez-vous avec la ques­tion du théâtre et de la représen­ta­tion spec­tac­u­laire. Cela peut se faire par une approche expéri­men­tale, dans un rap­port à la danse et en par­ti­c­uli­er avec la Man­u­fac­ture nous inve­stirons une dimen­sion pro­pre­ment théâ­trale que nous n’avions peu jusqu’à présent. Nous nous con­sid­érons comme une école des Beaux-Arts qui ouvre à la pos­si­bil­ité de devenir artistes avec une dimen­sion scéno­graphique. Pour le théâtre mais aus­si par exem­ple pour la scéno­gra­phie d’expositions.

OB‑H À La Cam­bre, les étu­di­ants dans leurs études ne se pro­jet­tent pas en tant que plas­ti­cien ?

VL Si, bien sûr. Au fil de leur cur­sus, ils dévelop­pent de plus en plus une approche théâ­trale per­son­nelle sur un ensem­ble d’exercices jusqu’à la cinquième année (M2), où le tra­vail de fin d’études est exclu­sive­ment con­sacré à leur recherche en dehors de toute « demande » extérieure. Il est impor­tant qu’ils se posi­tion­nent peu à peu de façon sin­gulière sur leur rap­port à la scéno­gra­phie. Ce tra­vail est un exer­ci­ce libre où ils sont à la fois ini­ti­a­teurs et por­teurs de leur pro­jet qui prend divers­es formes : instal­la­tion, per­for­mance, représen­ta­tion, expo­si­tion. Nous les accom­pa­gnons dans leur démarche per­son­nelle pour les aider à appro­fondir leurs pro­pres ques­tion­nements liés à la scéno­gra­phie.

Bernard Debroux
Quelles sont les résis­tances que les étu­di­ants opposent aux propo­si­tions que vous faites ?

LPB - Il y a plutôt un appétit ! Notre école est iden­ti­fiée comme for­ma­tion cen­trée sur la scéno­gra­phie. Ils ont des ate­liers et des exer­ci­ces dans les cadres du théâtre et de l’exposition et sont vrai­ment deman­deurs.

SS — Les étu­di­ants se sen­tent un peu mal­menés par nos exi­gences de con­science tech­nique. La scéno­gra­phie est un méti­er de design­er !

VL — Nous sommes sou­vent con­fron­tés à une dou­ble demande assez para­doxale où la résis­tance aux con­traintes tech­niques et leur désir de théâtre entrent en con­flit. Lorsqu’ils sont sur un plateau de théâtre avec un met­teur en scène, ils sont par­fois assez frus­trés quant à leur pro­pre imag­i­naire. Lors des exer­ci­ces d’atelier où ils sont dans la con­cep­tion pure, ils sont très frus­trés de ne pas être con­fron­tés à la réal­ité du plateau. Tout l’enjeu de la for­ma­tion est dans cet équili­bre frag­ile, ce mou­ve­ment qui va de l’un vers l’autre. C’est dans cet entre-deux, ce va et vient qu’ils trou­vent finale­ment leur épanouisse­ment. Cela prend du temps.

Stu­dio parte­naire Toneela­cad­e­mie, Pavil­lon Bosio, Autres lieux, autres espaces, places cachées de Mona­co, 2019, Pho­to Lau­rent P. Berg­er

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Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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