L’art performance : un acte de résistance dans lequel les frontières artistiques ne subsistent plus

Performance
Réflexion

L’art performance : un acte de résistance dans lequel les frontières artistiques ne subsistent plus

Le 27 Oct 2019
Coq/Cock, performance de Steven Cohen. Photo Quentin Evrard
Coq/Cock, performance de Steven Cohen. Photo Quentin Evrard

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Coq/Cock, performance de Steven Cohen. Photo Quentin Evrard
Coq/Cock, performance de Steven Cohen. Photo Quentin Evrard
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 138 - Arts de la scène et arts plastique
138

La per­for­mance appelle à se re-ques­tion­ner con­stam­ment sur sa déf­i­ni­tion, une déf­i­ni­tion évo­lu­tive, une déf­i­ni­tion de cir­con­stance, une déf­i­ni­tion de per­spec­tive, un domaine qui ne néces­sit­erait peut-être pas de définir ce dont elle est con­sti­tuée si l’on ne devait pas ten­ter de don­ner du sens à l’état actuel de son exis­tence.

Le mot « per­for­mance « ne nous sim­pli­fie pas la tâche. Emprun­té de l’anglais, la per­for­mance est util­isée dans le lan­gage courant autour de trois axes : les per­for­mance stud­ies, les per­for­mances scéniques et l’art per­for­mance. Dif­férenci­er cer­tains élé­ments con­sti­tu­tifs de la per­for­mance paraît essen­tiel pour ré-ouvrir ensuite la porte à l’histoire de l’art per­for­mance.

Les Performance studies

Suite à la créa­tion par Richard Schech­n­er, Michael Kir­by et Vic­tor Turn­er, entre autres, d’un nou­veau départe­ment pluridis­ci­plinaire de per­for­mance stud­ies, que l’on pour­rait traduire par théories de la per­for­mance ou « per­for­ma­tiv­ité », à la New York Uni­ver­si­ty en 1980, elles sont deve- nues un domaine d’étude et de recherche à part entière. Con­finé d’abord à son milieu uni­ver­si­taire, ce domaine s’est ensuite éten­du dans des pro­jets de recherch­es d’artistes, sou­vent soutenus par un cadre académique. Les per­for­mance stud­ies inclu­ent toute étude trans­dis­ci­plinaire fondée autour de l’observation de notre manière de per­formeur les choses de la vie au quo­ti­di­en ou de manière rit­uelle et col­lec­tive à par­tir de cer­tains modes opéra­toires issus par exem­ple de l’anthropologie, de l’ethno- logie, de la soci­olo­gie ou de la lin­guis­tique.

La Performance scénique

Assez proche de ce que les anglais appel­lent les per­form­ing arts qui seraient traduis­i­bles en français par spec­ta­cles ou arts de la scène, le deux­ième axe de la per­for­mance est ce que l’on peut appel­er la per­for­mance scénique. Elle est créée, répétée et pro­duite en vue d’aboutir à une représen­ta­tion publique pluridis­ci­plinaire et conçue pour être repro­ductible. Il existe dans ce type de per­for­mance une écri­t­ure ou struc­ture scénique ou dra­maturgique alors que son explo­ration créa­tive s’appuie sur plusieurs domaines artis­tiques.

La scène dans ce con­texte doit être enten­due au sens large, pas unique­ment dans un dis­posi­tif théâ­tral. Ain­si, l’espace scénique est vari­able et relève du choix de l’artiste en fonc­tion des modal­ités attribuées à un spec­ta­cle. Con­traire­ment à des formes théâ­trales plus tra­di­tion­nelles, le texte lit­téraire, la nar­ra­tion ou la présence d’un acteur ne sont plus néces­saire­ment des fac­teurs fon­da­men­taux à cette per­spec­tive de la per­for­mance. Peu­vent entr­er dans cette caté­gorie, la danse, le cirque, un spec­ta­cle de mar­i­on­nettes, un cer­tain type de théâtre con­tem­po­rain, comme le théâtre d’image ; dans toutes ces dis­ci­plines de nom­breuses pièces sont aujourd’hui dénom­mées des « per­for­mances » – d’où la con­fu­sion plus récente avec ce que l’on peut nom­mer les arts de la per­for­mance comme nous le ver­rons plus loin.

Au regard de la nature des spec­ta­cles pro- posés sur la scène con­tem­po­raine, de nom­breux met­teurs en scène et choré­graphes, comme Angéli­ca Lid­dell, Josef Nadj ou Philippe Quesne, sont sou­vent iden­ti­fiés comme des artistes « faisant plus de la per­for­mance » que du théâtre ou de la danse. Le car­ac­tère repro­ductible de la per­for­mance con­duit néces­saire­ment la pièce à exis­ter comme une représen­ta­tion qui inclut un dis­posi­tif scénique (même si la présence d’un per- formeur sur la scène n’est plus vrai­ment un critère pour se rac­corder à ce type de per­for­mance), et qui abolit cer­taines fron­tières entre les domaines artis­tiques. Dans Uncan­ny Val­ley (2019) du col- lec­tif théâ­tral alle­mand Rim­i­ni Pro­tokoll (Ste­fan Kae­gi et Thomas Melle), un robot et une voix humaine préen­reg­istrée pren­nent la place d’un acteur. L’opéra Orphée et Eury­dice (2014) mis en scène par Roméo Castel­luc­ci est essen­tielle­ment con­stru­it autour de la pro­jec­tion sur grand écran et en direct de la cham­bre d’Els, une patiente atteinte du syn­drome d’enfermement, un état où la per­son­ne est con­sciente bien que totale­ment paralysée et ne pou­vant par­ler, et à qui le rôle d’Eurydice a été attribué. Tout cela con­duit à une plus grande porosité entre les domaines des arts scéniques, visuels et plas­tiques. Toutes ces pièces sont sou­vent assim­ilées à de la per­for­mance par le dis­posi­tif, la pluridis­ci­pli­nar­ité et la repro­duc- tibil­ité qu’elles enga­gent. Pour Con­flu­ence n°1 (2018) créé en col­lab­o­ra­tion avec Gaëlle Bourges et Stéphane Mon­teiro, l’artiste plas­ti­ci­enne belge Gwen­do­line Robin choisit un dis­posi­tif scénique élaboré de manière repro­ductible bien que les inter­ac­tions avec les matéri­aux dis­posés sur le sol et en l’air soient décidées le plus sou­vent de manière aléa­toire. Les per­spec­tives vari­ent selon les pièces pro­posées par un même artiste. Dans Sous les lunes de Jupiter (2018), Gwen­do­line Robin fait ain­si vivre les inter­ac­tions avec les mêmes matéri­aux que dans Con­flu­ence n°1, cette fois-ci dénuées de tout élé­ment scénique. Pour pren­dre un dernier exem­ple, Steven Cohen crée tout autant des per­for­mances scéniques, comme The Crad­dle of Humankind (2011) et tant d’autres pro­duites pour les scènes inter­na­tionales, que des actions per­for­ma­tives dans l’espace pub­lic, comme Chan­de­lier (2001) ou Coq/Cock (2013), se rap­prochant alors plus de la per­for­mance telle qu’expliquée ensuite.

L’Art Performance

L’art per­for­mance (per­for­mance art ou live art) est sou­vent con­tex­tu­al­isé à tra­vers la présence du corps, ce qui ne le dis­tingue pas vrai­ment, à tra­vers cette per­spec­tive, des arts scéniques. Or, au-delà de la présence même d’un corps, l’art per­for­mance est avant tout une action qui, même pro­jetée men­tale­ment et pré­parée tech­nique­ment par l’artiste, ne peut être répétée. Elle est pro­duite pour exis­ter comme une présen­ta­tion, une expéri­ence ou un dis­posi­tif totale­ment unique, éphémère et le plus sou­vent non-repro­ductible. L’art per­for­mance se dis­tingue donc de la per­for­mance scénique de plusieurs manières.

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Christophe Alix
Christophe Alix est un artiste, chercheur, enseignant en art performance et directeur de l’Ecole supérieure...Plus d'info
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