« Je ne trouve rien de facile dans la collaboration mais j’y crois toujours… »*

Entretien
Théâtre

« Je ne trouve rien de facile dans la collaboration mais j’y crois toujours… »*

Questions au collectif Transquinquennal

Le 18 Nov 2019
Miguel Decleire et Bernard Breuse dans Calimero. Création de Transquinquennal, 2019. Photo Claudine Perron.
Miguel Decleire et Bernard Breuse dans Calimero. Création de Transquinquennal, 2019. Photo Claudine Perron.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 139 - Nos alternatives
139

Qu’est-ce que vous faites ensem­ble ?

Tout ce qui est impos­si­ble, intéres­sant ou que nous ne pou­vons faire que parce que nous sommes ensem­ble.

Com­ment vous êtes-vous trou­vés ?

Parce qu’on se cher­chait.

Que refusez-vous ?
Qu’affirmez-vous ?

Dans une société qui pose l’héroïsme, l’originalité, la créa­tiv­ité comme un des­tin indi­vidu­el, qui refuse de con­cevoir qu’une idée, une pen­sée, une parole naît du monde dans lequel nous baignons, et que c’est ce bain, et pas l’individu, qui la rend légitime, nous refu­sons de nous pli­er à cette norme sans nous débat­tre. Nous pour­rions affirmer que nous avons échoué, mais la réus­site, la com­péti­tion, sont des mots et des valeurs qui n’existent qu’en oppo­si­tion au bien com­mun. Mais nous pou­vons affirmer qu’en 30 ans rien n’a vrai­ment changé, sim­ple­ment le col­lec­tif n’est plus attaqué de front par le néolibéral­isme, il est instru­men­tal­isé et cor­rompu par lui. Aujourd’hui on peut se déclar­er col­lec­tif sans met­tre en cause l’autorité indi­vidu­elle, et c’est pour nous une per­ver­sion. Jacob Wren l’a bien expliqué : « Je ne trou­ve rien, mais vrai­ment rien de facile dans la col­lab­o­ra­tion, mais j’y crois tou­jours. C’est un truc poli­tique très sim­ple : si les gens n’arrivent pas à tra­vailler ensem­ble, alors we’re real­ly fucked, so there has to be a way. Mais je reste sur­pris qu’après trente ans à me con­sacr­er au tra­vail artis­tique col­lab­o­ratif, je n’en sais tou­jours pas plus. Je ne sais vrai­ment pas com­ment faire, com­ment y arriv­er, c’est assez fan­tas­tique. C’est pour la ques­tion poli­tique que j’insiste : ce n’est pas facile, presque impos­si­ble, mais il faut – il n’y a pas d’autres choix –, il faut essay­er, rées­say­er, ten­ter de trou­ver une manière, des manières. »

Quels sont vos objec­tifs ?

Faire des propo­si­tions spec­tac­u­laires qui n’existent que parce que les spec­ta­teurs y recon­nais­sent le reflet – sans aucun lus­tre – de l’idiotie du réel, de nos lim­ites, et de la com­plex­ité du monde. Des spec­ta­cles irré­ductibles à la forme du pro­duit, du pitch, du pro­pos, de la vérité, de la morale ou du point de vue.

Com­ment tra­vaillez-vous ?

Pour en avoir fait l’expérience de nom­breuses fois, partager l’expérience du tra­vail col­lec­tif n’est partage­able qu’avec ceux qui en ont la pra­tique. C’est le cas de beau­coup d’expériences sen­si­bles. Mais le lan­gage ne per­met pas de faire com­pren­dre réelle­ment cette expéri­ence, surtout quand ce lan­gage est, comme l’histoire, écrit par les gag­nants, les indi­vid­u­al­istes, les monothéistes.

Com­ment se prend une déci­sion ?

Dans un col­lec­tif non-autori­taire, une déci­sion n’est pas une place forte, elle ne se « prend » pas. Votre ques­tion utilise un vocab­u­laire indi­vid­u­al­iste et guer­ri­er. Elle ne se pose pas en ces ter­mes pour nous. Heureuse­ment que Vic­tor Klem­per­er a tenu un jour­nal.

Quelle est la vie organique
du groupe ? Qui entre, qui sort ?
(com­ment se vit la fidél­ité)

Qui veut. Comme il veut.

Quelle est la durée de vie
de cette asso­ci­a­tion ?

Un col­lec­tif ne meurt pas, parce qu’il se vit, mais ne vit pas, il ne fait que pass­er. Nous avons décidé qu’après plus de 30 ans de tra­vail, le 31 décem­bre 2022, serait un beau jour pour finir d’exister.

Quelle appellation/signature ?

Col­lec­tif, bande, groupe, troupe, ensem­ble…
 L’appellation ne nous définit pas, elle sert d’identification pour les modes de pen­sée dom­i­nants. Comme étranger, citoyen… ou tra­vailleur. Être un col­lec­tif n’est pas assumer une fonc­tion dans la société. C’est essay­er de créer une poche d’air ou de résis­tance, selon les jours.

Quelles sont vos influ­ences
(théâ­trales et non théâ­trales ?)

Maatschap­pij Dis­cor­dia, Mass Mov­ing, le Groupe Mu, Nico­las Bour­ba­ki, les Pro­vo…

Con­statez-vous un retour du leader ?

Miguel Decleire et Bernard Breuse dans Cal­imero. Créa­tion de Tran­squin­quen­nal, 2019. Pho­to Clau­dine Per­ron.

Nous ne savions pas qu’il était par­ti. On pense même qu’ils sont plusieurs. La dif­fi­culté est de les faire s’entretuer. 

Y a‑t-il une dimen­sion poli­tique
à votre démarche col­lec­tive,
un pro­jet poli­tique à affirmer
et défendre ?

Oui. 

Y a‑t-il une men­ace à tra­vailler ensem­ble ?

S’il n’y en avait aucune vous ne poseriez pas cette ques­tion. Mais en quoi vous men­ace-t-on ? Parce qu’à l’évidence si vous tenez à nous soumet­tre à la ques­tion, c’est que c’est vous qui vous sen­tez men­acé. Et nous sommes men­acés parce que vous vous sen­tez men­acé… et que vous avez le pou­voir.

*Jacob Wren

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