La démocratie en marche

Entretien
Théâtre

La démocratie en marche

Entretien avec Jolente De Keersmaeker et Frank Vercruyssen (collectif tg STAN)

Le 22 Nov 2019
Jolente De Keersmaeker et Pedro Gil dans The Way she dies. Texte Tiago Rodrigues librement inspiré d’Anna Karénine de Léon Tolstoï. Création Isabel Abreu, Pedro Gil, Jolente De Keersmaeker, Tiago Rodrigues et Frank Vercruyssen, sous le titre Como ella morre, mars 2017. Production tg STAN - Teatro Nacional D. Maria II (Lisbonne). Photo Filipe Ferreira.

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Jolente De Keersmaeker et Pedro Gil dans The Way she dies. Texte Tiago Rodrigues librement inspiré d’Anna Karénine de Léon Tolstoï. Création Isabel Abreu, Pedro Gil, Jolente De Keersmaeker, Tiago Rodrigues et Frank Vercruyssen, sous le titre Como ella morre, mars 2017. Production tg STAN - Teatro Nacional D. Maria II (Lisbonne). Photo Filipe Ferreira.
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SML
La com­pag­nie de théâtre tg stan, acronyme de Stop Think­ing About Names, est un col­lec­tif de théâtre fondé autour de Jolente De Keers­maek­er, Dami­aan De Schri­jver et Frank Ver­cruyssen. 

FV Nous étions qua­tre au début, les trois per­son­nes que vous venez de citer et Waas Gramser. Nous avons col­laboré pen­dant qua­tre ans, puis elle a fondé sa pro­pre com­pag­nie. Sara De Roo nous a rejoints entretemps pour Ivanov. On a donc ani­mé le col­lec­tif à qua­tre pen­dant 25 ans, jusqu’au départ de Sara en 2017. Main­tenant on est trois en effet, à suiv­re des voies com­munes et indi­vidu­elles. Pen­dant que Dami­aan De Schri­jver est en train de jouer en Bel­gique, nous jouons The Way she dies avec Yolente, ici, au Théâtre de la Bastille.

SML
Vous vous êtes ren­con­trés à la fin des années 1980 au Con­ser­va­toire à Anvers. Qu’est-ce qui vous a don­né envie de tra­vailler ensem­ble ?

FV Nous avions des pas­sions et des valeurs com­munes, notam­ment l’envie de s’occuper de tous les aspects de la créa­tion. Nous étions mal­heureux à l’idée de sim­ple­ment con­cré­tis­er le rêve d’un met­teur en scène ; nous souhaitions aus­si bris­er le qua­trième mur, chang­er le rap­port à l’illusion, au per­son­nage… À l’école, nous avons été par­ti­c­ulière­ment influ­encés par l’enseignement de Matthias de Kon­ing et sa com­pag­nie Maatschap­pij Dis­cor­dia. Pour lui, le comé­di­en n’est pas seule­ment au plateau pour endoss­er un per­son­nage, mais aus­si en tant qu’individu au présent. 

SML
Le fait de ren­dre le théâtre vivant hic et nunc est un aspect essen­tiel de votre approche théâ­trale.
Avez-vous défi­ni ces objec­tifs dans une sorte de charte ?

JDK Non, pas de dogme ! Matthias de Kon­ing nous a fait décou­vrir l’indépendance de l’acteur. Il ne nous demandait pas d’exécuter, mais de faire des propo­si­tions. Avec lui, nous avons com­mencé à com­pren­dre qu’il fal­lait pren­dre ses respon­s­abil­ités sur scène, en tant qu’être humain et en tant qu’artiste. 

FV Le comé­di­en doit être dou­ble­ment présent sur scène : pas seule­ment Ham­let mais aus­si celui qui joue Ham­let. Matthias nous a appris à chercher la vérité dans le jeu à cet endroit-là, en allant au-delà de Stanislavs­ki, en tra­vail­lant avec l’illusion de la fic­tion et la réal­ité du spec­ta­cle. Il nous dis­ait « Si un avion passe, vous pou­vez l’entendre ». C’était un grand soulage­ment de s’autoriser à le percevoir sur scène. Tout à coup, tout était admis dans l’espace du comé­di­en, – y com­pris regarder les per­son­nes ron­fler au pre­mier rang –, accepter cette réal­ité et tra­vailler avec elle. C’est ce qui per­met aux gens dans la salle d’avoir le sen­ti­ment que la soirée est à eux et pas aux gens d’hier ou de demain.

SML
Con­crète­ment, pou­vez-vous nous par­ler des proces­sus de créa­tion de quelques spec­ta­cles, par exem­ple : Après la répéti­tion, de et avec Geor­gia Scal­li­et et Frank Ver­cruyssen, inspiré du texte d’Ingmar Bergman ; The Way she dies, le spec­ta­cle que vous jouez tous les deux en ce moment avec Isabel Abreu, Pedro Gil, à par­tir d’un texte de Tia­go Rodrigues.

FV On a tou­jours con­sid­éré notre col­lec­tif comme un véhicule pour con­cré­tis­er les rêves des indi­vidus. Quand Jolente a envie de tra­vailler avec sa sœur Anne Tere­sa De Keers­maek­er, elle crée la per­for­mance Som­nia avec 44 danseurs en parte­nar­i­at avec parts. Si j’ai envie de tra­vailler avec Geor­gia de la Comédie française, on va créer Après la répéti­tion. Si Jolente nous pro­pose La Ceri­saie, avec Damien nous fer­ons en sorte que cela soit pos­si­ble. 

JDK Au début de chaque pro­jet, nous devons avoir un moteur com­mun. C’est très impor­tant ! Cela sup­pose de longues dis­cus­sions. Quand Frank a pro­posé L’Ennemi du peu­ple d’Ibsen, nous n’avons pas adhéré immé­di­ate­ment. Ce n’est que deux ans plus tard, quand la sit­u­a­tion en Bel­gique est dev­enue telle­ment dan­gereuse que nous avons sen­ti la néces­sité de le mon­ter. Pour La Ceri­saie, Frank et moi avions une grande envie de créer une pièce de réper­toire avec un grand nom­bre d’acteurs et notam­ment des jeunes ! Rien n’est acquis au début, pas même la dis­tri­b­u­tion des rôles. Cha­cun doit d’abord exprimer sa moti­va­tion pour être sur scène.

SML
Vous com­mencez donc les répéti­tions avec un groupe sans avoir dis­tribué les rôles ?

JDK Rarement ! Il arrive que les rôles ne soient dis­tribués qu’après deux ou trois semaines. Pour La Ceri­saie, je me suis battue dès le début pour jouer le per­son­nage de Lioubov Andreev­na. Pour L’Avare de Molière, deux comé­di­ens voulaient jouer ce per­son­nage et ont dû con­va­in­cre le groupe.

SML
Vous dédou­blez par­fois le rôle ?

FV Tout est pos­si­ble. Par­fois on dédou­ble, par­fois on choisit col­lec­tive­ment, c’est la démoc­ra­tie en marche. On cherche l’unanimité dans les moin­dres détails, et sans recourir au vote. À cha­cun de dire ce qu’il pense jusqu’à ce qu’une évi­dence appa­raisse. Quand Damien apporte une chaise, elle peut plaire ou pas. On va échang­er sur la laideur ou la beauté sup­posée de chaque acces­soire, jusqu’à ce que l’un d’entre nous ait le dernier mot.

JDK On a appris à décider col­lec­tive­ment. Au début on pou­vait hurler « Non, pas cette chaise ! » comme si tout était aus­si impor­tant. C’est une pas­sion utile mais on a quand même appris à rel­a­tivis­er en ten­ant compte des com­pé­tences de cha­cun. Frank par exem­ple s’occupe tou­jours de la musique. Dans The way she dies, c’est d’abord son tra­vail. 

SML
Dans ce spec­ta­cle pré­cisé­ment, vous avez dû com­pos­er avec vos forces et celles de Tia­go Rodrigues. 

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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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