Nous nous renforçons mutuellement

Entretien
Théâtre

Nous nous renforçons mutuellement

Questions au collectif Tibaldus

Le 16 Nov 2019
Simon De Winne, Hendrik Van Doorn, Hans Mortelmans et Ferre Marnef dans Het Huwelijk de Witold Gombrowicz. Mise en scène Timeau De Keyser. Photo Pieter Dumoulin.
Simon De Winne, Hendrik Van Doorn, Hans Mortelmans et Ferre Marnef dans Het Huwelijk de Witold Gombrowicz. Mise en scène Timeau De Keyser. Photo Pieter Dumoulin.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 139 - Nos alternatives
139

Que faites-vous ensem­ble ? 

Nous, c.-à‑d. Timeau De Keyser, Simon De Winne et Hans Mortel­mans, faisons du théâtre ensem­ble depuis dix ans. Après nos études d’art dra­ma­tique, nous ne voulions plus jouer. Pen­dant un temps, nous avons créé des œuvres abstraites, mais depuis dix ans, le jeu d’acteur et le théâtre sont revenus au cœur de nos activ­ités. 

Com­ment vous êtes-vous trou­vés ? 

Nous étions dans la même pro­mo­tion à l’Académie à Gand (KASK). En deux­ième année, nous avions 19 ans, et nous avons mon­té un spec­ta­cle ensem­ble. Ce spec­ta­cle a aus­sitôt été sélec­tion­né pour la caté­gorie « jeunes tal­ents » au fes­ti­val The­ater Aan Zee, à Ostende. Cette col­lab­o­ra­tion s’étant bien déroulée, nous avons dès lors mon­té un spec­ta­cle ensem­ble chaque année. 

Quels sont vos objec­tifs ? 

Réalis­er du tra­vail à la fois beau et intéres­sant. Et en out­re dévelop­per une réflex­ion autour de la ques­tion de ce qui est « beau et intéres­sant ».
Qui plus est, avoir une com­pag­nie entraîne un aspect très pra­tique : veiller à ce que tous les acteurs puis­sent vivre de notre tra­vail. C’est une dimen­sion qui nous préoc­cupe et qui nous pro­cure à la fois de la sat­is­fac­tion. 

Com­ment tra­vaillez-vous ? 

C’est dif­férent pour chaque spec­ta­cle. Avant, il y avait unique­ment une idée au début. Nous com­men­cions lit­térale­ment à par­tir de rien. Ces dernières années, nous par­tons d’un texte. Nous ne créons en tout cas rien au préal­able : pas de décor, ni de cos­tumes, ni de con­cept de mise en scène, etc. Le pre­mier jour des répéti­tions, les rôles ne sont même pas dis­tribués. Tout part des acteurs. Ils sont la matière pre­mière. Ensuite, nous voyons com­ment les acteurs réagis­sent au texte. Ce qui fonc­tionne, ce qui ne fonc­tionne pas. En obser­vant ce qui se passe, une dra­maturgie émerge ain­si qu’un con­cept de mise en scène. Quand on imag­ine tout à l’avance, on aboutit à des spec­ta­cles sans vie. Nous essayons bien plus de réa­gir que de met­tre en scène. Quand un met­teur en scène tente d’être plus intel­li­gent que son spec­ta­cle, cela donne en général quelque chose de très prévis­i­ble. Il faut pren­dre du recul. Et bien regarder ce qui se passe, voir ce qu’on ne pou­vait pas envis­ager préal­able­ment. 

Com­ment se prend une déci­sion ? 

Les déci­sions se pren­nent le plus sou­vent d’elles-mêmes. Je crois qu’il s’agit plutôt d’ajuster que de pren­dre des déci­sions. En général, nous dis­ons à un acteur ce qui est beau dans ce qu’il ou elle fait et que c’est sur cet aspect qu’il ou elle devrait con­tin­uer à tra­vailler. Ce qui est moins bon dans son jeu, nous ne le for­mu­lons pas et la plu­part du temps, ça dis­paraît. Lente­ment, un con­cept plus vaste se des­sine, une idée qui cha­peaute l’ensemble et à par­tir de laque­lle on peut organ­is­er les élé­ments. Il s’agit alors de pour­suiv­re cette organ­i­sa­tion de manière con­séquente jusque dans toutes les ram­i­fi­ca­tions du spec­ta­cle. Les cos­tumes, l’usage du texte, la voix, le mou­ve­ment, le décor, etc. 

Quelle est la vie organique du
groupe ? Qui entre, qui sort ?
(Com­ment se vit la fidél­ité ?)

Nous n’organisons jamais d’audition. Quand nous appré­cions un acteur et que nous pen­sons qu’il con­vient au groupe, nous lui deman­dons de venir jouer avec nous. Jusqu’à présent, tout le monde a tou­jours dit « oui ». Nous ne sommes jamais autori­taires. Les spec­ta­cles sont tou­jours portés par le groupe. Pour cer­tains créa­teurs, le con­flit est stim­u­lant. Pas pour nous. Tibal­dus est un groupe chaleureux.
La com­po­si­tion d’un groupe d’acteurs est comme la com­po­si­tion d’un groupe de musique. Il faut des gens qui peu­vent bien tenir le rythme, des per­son­nes sta­bles. Des per­son­nes capa­bles d’improviser très libre­ment, qui osent met­tre le spec­ta­cle en dan­ger. Des per­son­nes qui peu­vent apporter des accents sub­tils et qui sont douées pour les solos. Un groupe d’acteurs dans lequel cha­cun joue le pre­mier vio­lon n’est pas intéres­sant. Ce qui compte, c’est la façon dont les acteurs son­nent con­join­te­ment. 

Quelle est la durée de vie
de cette asso­ci­a­tion ? 

Avec Simon et Hans, je tra­vaille donc depuis dix ans. Au cours des dernières années, nous avons tra­vail­lé avec quelque vingt-cinq actri­ces et acteurs dif­férents. La plu­part d’entre eux ont joué dans plus d’un spec­ta­cle de Tibal­dus. 

Quelles sont vos influ­ences
(théâ­trales et non théâ­trales) ? 

Le monde du théâtre est un petit monde. Nous con­nais­sons donc peu ou prou per­son­nelle­ment la plu­part des gens de théâtre en Flan­dre. Cet aspect per­son­nel est sou­vent dans le chemin quand on souhaite étudi­er une œuvre. Le tra­vail est trop humain. Il s’agit sou­vent de sépar­er l’ego de l’artiste du tra­vail. 

Nous sommes surtout influ­encés par le ciné­ma. Nous aimons le style de jeu exubérant d’acteurs non pro­fes­sion­nels, comme dans les films de Pier Pao­lo Pasoli­ni ou de Glauber Rocha. Nous choi­sis­sons aus­si sou­vent des acteurs sans for­ma­tion ou des pro­fes­sion­nels qui n’appliquent pas sage­ment les par­a­digmes du jeu d’acteur. Et nous com­bi­nons ceci avec une dra­maturgie élaborée et un accent sur la mise en scène, comme dans les films de Jean Renoir et les comédies musi­cales de Vin­cente Min­nel­li. 

Y a‑t-il une dimen­sion poli­tique
à votre démarche col­lec­tive,
un pro­jet poli­tique à affirmer
et défendre ?

À l’origine, oui. Ini­tiale­ment, nous souhaitions tra­vailler en col­lec­tif comme alter­na­tive à une struc­ture hiérar­chique patri­ar­cale. Aujourd’hui, c’est moins le cas. Cette forme d’organisation nous con­vient tout sim­ple­ment. Nous nous ren­forçons mutuelle­ment. Nous nous sen­tons chez nous lorsque nous sommes ensem­ble, nous nous com­plé­tons sur le plan artis­tique, ce qui génère du meilleur tra­vail.

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