Entretien avec Marguerite Duras

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Entretien avec Marguerite Duras

Le 14 Mar 2017

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Marguerite Duras-Couverture du Numéro 14 d'Alternatives ThéâtralesMarguerite Duras-Couverture du Numéro 14 d'Alternatives Théâtrales
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C’é­tait à Brux­elles, en mars 81, Jacques Ledoux et la Ciné­math­èque royale de Bel­gique avaient organ­isé une rétro­spec­tive des films de Mar­guerite Duras. En sa présence. Elle est venue avec Yann Andréa. Elle est descen­due à l’As­to­ria, rue Royale. Une fin d’après-midi, entre deux films, nous avons par­lé. Dans l’at­mo­sphère feu­trée du hall et du bar. Dans ce cli­mat ouaté des hôtels de qual­ité, un peu vis­con­tiens. Des familles silen­cieuses et bien élevées s’attardaient après les agapes du déje­uner. Des petites filles qui s’ennuyaient d’être trop sages trop longtemps couraient entre les tables sans oser faire du bruit. L’une d’elles a mon­té ses gammes. D’une manière mal­adroite et grêle. Nous l’avons regardée et elle est par­tie, con­fuse, aus­si rose que sa robe. Nous avons com­mandé du « blanc de blanc » bien frais. Il y avait des fleurs et des maîtres d’hô­tel. Le lieu était devenu quelque chose qui ressem­blait à Mar­guerite Duras. À ce qu’elle écrit et dit, trans­for­mé par l’alchimie d’une présence.

Je n’ai pas essayé ni voulu recom­pos­er l’en­tre­tien mais au con­traire le laiss­er dans l’or­dre de la con­ver­sa­tion avec les mots répétés, la logique du par­lé et laiss­er venir les choses comme elles se sont dites.

Jacque­line Aube­nas : Pourquoi et com­ment êtes-vous venue au ciné­ma ? Est-ce par dégoût en voy­ant ce que les autres réal­isa­teurs avaient fait de vos livres ?

Mar­guerite Duras : Oui, je l’ai dit et ça reste com­plète­ment vrai. Oui.

J. A. : Le ciné­ma implique une tech­nique et beau­coup d’ar­gent. Com­ment avez-vous abor­dé ces prob­lèmes ?

M. D. : J’ai pris la fille de Dassin pour faire La Musi­ca et Dassin m’a don­né de l’ar­gent de la com­pag­nie « Unit­ed Artists ». C’est comme cela que j’ai com­mencé. Après je suis passée par le C.N.C.. Tout sim­ple­ment. C’est comme cela que j’ai pu faire cinq ou six films. Et puis je me suis trou­vée devant un fait nou­veau : je n’avais plus de scé­nario. Le camion a été à demi impro­visé. Le texte fai­sait six pages. Ce n’é­tait donc plus pos­si­ble de le présen­ter comme scé­nario avec découpage tech­nique, etc. J’ai com­mencé, là, à pren­dre de l’ar­gent où je le trou­vais… Et il s’est tou­jours trou­vé des gens pour m’en don­ner.

J. A. : C’est le mir­a­cle Duras ?

M. D. : C’est le mir­a­cle.

J. A. : À voir défil­er vos génériques, on a l’im­pres­sion d’une con­nivence, d’une com­plic­ité. Il y a tou­jours les mêmes gens. Vous vous entourez d’une équipe, et déjà à ce niveau-là vous faites un ciné­ma d’amour.

M. D. : C’est un prob­lème d’ailleurs. Quand je dois chang­er d’équipe pour moi c’est trag­ique. J’ai tou­jours très peur de ne pas m’habituer aux nou­velles per­son­nes. Jusqu’à présent cela est arrivé rarement et je m’en suis sor­tie.

J. A. : Les gens vous atten­dent, répon­dent à votre appel, sont autour de vous ?

M. D. : Oui. Per­son­ne n’a de con­trat. Un jour on m’a fait un con­trat que je n’ai pas lu, à la dernière minute pour pou­voir deman­der l’au­tori­sa­tion de tourn­er. Je me demande si le per­son­nel tech­nique a un con­trat. Je ne crois pas. ll ne faut pas le dire, peut-être. La caméra si, je m’en sou­viens en a un. Mais les gens sont arrivés pour rien.

J. A : Pour vous ?

M. D. : Oui pour voir ce que c’é­tait que tourn­er avec Duras parce que ça les intrigue.

J. A. : Êtes-vous heureuse pen­dant le tour­nage ?

M. D. : Je suis un peu au sup­plice. Et je suis heureuse aus­si. Je suis au sup­plice parce qu’il ne faut pas que je dépense des plans, de la
pel­licule pour rien. Pour Agatha, j’ai une heure et demie et j’ar­rive même pas à une heure vingt-cinq. Donc il me manque un peu. Mais je m’aperçois avec hor­reur qu’il y a 4 à 5 % de perte, de plans qui ne sont pas util­is­ables.

J. A. : Mais ce n’est rien !

M. D. : Je sais, je sais que ce n’est rien du tout. Mais pour moi cela représente ce que c’est : le temps utile plus 4 %. Qua­tre min­utes sur cent min­utes per­dues. Avec les claps, cinq peut-être.

J. A. : À vous enten­dre, vous ren­dez scan­daleux le gaspillage de cer­taines pro­duc­tions…

M. D. : Mais je le ressens comme cela. Je ressens…

J. A. : Comme une cer­taine indé­cence ?

M. D. : Oui. Je ne sais pas com­ment dire… J’ai peur d’être… Oui… C’est plus proche de l’indé­cence. Quelque chose comme une sorte de honte. Pour qui se prend-on lorsqu’on se per­met de dépenser un mil­liard pour un film… surtout pour faire les navets que fait par exem­ple T… Qui croit-il être… Rien du tout mais intel­li­gent. Des gens con­nus ont fait des arti­cles. ll y a eu toute une machiner­ie en route. Quand on est une femme c’est un peu plus dif­fi­cile mais il y a autre chose qui joue.

J. A. : N’avez-vous pas béné­fi­cié d’une mafia femme ?

M. D. : Non.

J. A. : Mais votre ciné­ma est arrivé his­torique­ment à point ?

M. D. : Oui. J’ai tou­jours eu ce sen­ti­ment, tou­jours. Je ne le cherche pas mais je l’ai… d’être tout à fait con­tem­po­raine… de mon temps… presque de le devancer. Et de le faire naturelle­ment, comme si le vouloir le détru­irait. Je pense que c’est sim­ple­ment parce que je fais ce que je désire faire.

J. A. : Les choses vous rejoignent ?

M. D. : C’est-à-dire, si vous faites ce qui a été fait, si vous partez d’une imi­ta­tion, d’un pla­giat, vous êtes for­cé­ment en retard puisque le mod­èle est avant vous. C’est math­é­ma­tique. Les gens qui font du Duras vont dater.

J. A. : Cette imi­ta­tion vous exas­père-t-elle ?

M. D. : Non. Je l’ig­nore.

Yann Andréa : C’est inévitable. Il y a les gens qui créent et d’autres qui suiv­ent.

Tournage de Vera Baxter. Photo Jean Mascolo
Tour­nage de Vera Bax­ter. Pho­to Jean Mas­co­lo

M. D. : Je me sou­viens d’avoir ici, à Knokke-le-Zoute, après Hiroshi­ma, vu un film sur le Japon. C’é­tait trois ou qua­tre ans après Hiroshi­ma. ll s’agis­sait d’une Française au Japon, je ne savais pas ce qu’elle y fai­sait, mais elle couchait avec un Japon­ais. Ils pas­saient la nuit ensem­ble, ils se par­laient. Je me dis­ais que les gens allaient s’apercevoir de quelque chose… Un pla­giat éhon­té quand même. Rien du tout. Je ne savais plus où me met­tre vrai­ment. J’é­tais embêtée pour la per­son­ne qui avait fait le film. Ils couchaient sur une nat­te… il y avait une lumière oblique… comme ça, une Française et un jeune Japon­ais. Il est très rare quand je lis un texte que je m’aperçoive d’une influ­ence. Dernière­ment, j’ai lu le livre d’une amie que j’aime beau­coup, très chère. Et bien elle l’a don­né chez Gal­li­mard. Et Gal­li­mard m’a don­né le rap­port. Moi je l’avais lu et je le trou­vais très beau… et sur le rap­port on dis­ait que c’é­tait du Duras de A à Z. Je ne l’ai pas vu du tout et je con­tin­ue à croire que non. ll n’a pas été édité pour cela. Peut-être l’au­rait-il été sans cela. Par exem­ple, Benoit Jacquot, son pre­mier film, L’as­sas­sin musi­cien, il n’y a pas un arti­cle qui n’ait souligné qu’il avait été mon pre­mier assis­tant et que, donc, il était com­plète­ment « sous influ­ence ». Je ne l’ai pas vu et je con­tin­ue à ne pas le voir. Je crois qu’il y a un abus là-dedans. Vous l’avez vu ?

J. A. : Non. Je con­nais Les Enfants dans le plac­ard, un film raide qui ne prend pas.

M. D. : C’est peut-être parce qu’il n’avait pas la pas­sion de son pro­pre tra­vail. On ne peut pas rem­plac­er « ça ». Comme un manque de désir. C’est impos­si­ble, quoi qu’on fasse, de pal­li­er à ce manque là. ll n’y a rien à faire, rien. Oui c’est ça qui manque chez Benoit… enfin dans son deux­ième film parce que le pre­mier est beau.

J. A. : Mais votre ciné­ma dès La musi­ca est dif­férent. Puis autour de votre trilo­gie il est devenu totale­ment autre.

M. D. : Je suis d’ac­cord.

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