Jean-Marc Turine : Comment ça a commencé avec Marguerite Duras ?
Michael Lonsdale : Chronologiquement ?
J.M.T.: Oui, le travail.
M.L : Par L’amante anglaise, en 1968. Au départ, on m’avait demandé de jouer le rôle du mari et puis, quand j’ai lu le texte, j’ai dit : « non, je préfère jouer l’interrogateur ». Tout le monde a eu l’air surpris, mais je trouvais qu’il y avait Quelque chose de plus rare à faire que dans le parcours du mari Qui répond simplement aux Questions et qui montre un peu de médiocrité. Alors on a accepté. Pendant les répétitions, Marguerite n’est pas intervenue tellement sur le plan de la mise en scène parce que, à l’époque, elle n’en avait pas encore fait.
C’est Régy Qui l’a établie. Marguerite était souvent là pour donner des conseils ou pour corriger le texte. Elle a beaucoup coupé. J’ai gardé la brochure Qui est une sorte de torchon incroyable. On a tellement déplacé, refait, Que c’est devenu quelque chose que je suis seul à pouvoir relire dans cette publication-là.
On s’est beaucoup lié d’amitié et ensuite, un an plus tard, elle m’a proposé le texte de Détruire dit·elle qu’elle voulait que nous montions au théâtre d’abord. Je lui ai dit que j’avais l’impression que ce serait mieux qu’elle en fasse un film. Je ne sais pas si j’ai été pour quelque chose dans sa décision, mais quelque temps après elle a mis en chantier Détruire dit-elle.
Silence
J’avais eu une expérience extraordinaire avec L’amante anglaise, Qui était celle de jouer un personnage sans références. L’interrogateur n’est pas Quelqu’un qui parle en son nom. Il est sans personnalité propre. Je jouais dans la salle, au milieu du public et j’entendais : « c’est un psychiatre », « c’est un juge », non, « c’est un “policier ». En fait c’est la voix de Marguerite. C’est tout. Comme des questions qu’elle poserait, elle, aux gens. Ce sont les questions d’un écrivain. C’est dit. Il est dit dans le texte« pour le livre ».
Silence
A la lecture de Détruire dit·elle, j’avais un peu le même problème. Marguerite voulait que je joue Stein, au départ, mais après la lecture, je lui ai dit : « Jene sais pas comment faire, je ne sais pas qui c’est, je ne comprends rien (rires) je préfère jouer Max Thor ». Elle me répond : « olala, tu fais des histoires ! Bon, on va chercher un Stein ». On fait passer des auditions. On a bien dû voir une douzaine de personnes, non des moindres, comme Michel Bouquet, Jean Rochefort, Roland Dubillard et chaque fois, Stein, ça n’allait pas. Alors, en fin de compte, j’ai dit : « écoute, je vais le faire puisqu’on ne trouve vraiment personne » (rires) En fait fétais un peu impressionné à l’idée de jouer Stein ; c’est aussi un homme sans références, ce n’est qu’un.homme du futur, un mutant comme elle l’appelle alors comment jouer ? où le prendre ? comment faire parler quelqu’un qui vit dans un état très avancé
de liberté totale ? liberté de penser, liberté d’aimer ce n’est pas un homme d’aujourd’hui encore. Il a fallu chercher et puis comme toujours, je ne cherche pas beaucoup. Je joue plutôt d’instinct et quand on l’a tourné, je l’ai interprété je ne sais comment. Il ne faut pas me demander comment je joue un rôle.
Silence
Il y a à essayer de comprendre ce que Marguerite a en tête et essayer de donner vie à ce qu’elle me disait sur le personnage. Ça, on le fait comme on peut, à sa manière.
Ce fut un tournage inoubliable parce que tout
s’est passé dans une ambiance c’était surtout un rapport d’affection, d’amour entre nous une sorte de folie parfois elle disait : « je ne sais pas où mettre la caméra ! aidez-moi ! aidez-moi ! » (rires) et comme toujours avec elle on rit beaucoup, on donne de l’importance aux choses sans en avoir l’air.
Silence
Avec Marguerite, c’est un état, une atmosphère, un jeu d’intelligence entre des êtres qui s’aiment.
J.M.T. : Je pense qu’on ne peut pas travailler avec Marguerite Duras sans ce jeu d’amour avec elle, autour d’elle j’ai le sentiment d’une contamination.
M.L : Oui, c’est ça
J.M.T.: qu’il est impossible de travailler avec elle, les comédiens et les techniciens c’est ce qui m’a bouleversé, littéralement, sur le tournage de Jaune le soleil sans ce rapport d’amour partagé. Il ne s’agit en rien d’une sorte d’adulation à l’égard d’un mythe qui serait Madame Duras.
Silence
M.L : On ne voit plus la Duras connue, on voit la Duras au travail, une personne très proche qui sollicite toujours des choses vraies. D’un ordre un peu intemporel. C’est ce qui me plaît : on ne sait pas, c’est sans psychologie. Ça oblige à une avancée de soi, une mise en question de l’inconnu ce que j’aime faire plus que tout, c’est aborder des textes qui n’ont pas encore été joués parce qu’on a l’impression de découvrir, d’aller de l’avant dans les possibilités d’expression de ce qui se passe aujourd’hui.
Silence
Après, il y eut Jaune le soleil. Une petite chose qu’elle m’a demandé de faire à la dernière minute. Je ne savais pas mon texte. Je devais dire quelques phrases, je n’avais rien appris j’ai collé le texte sur des vitres (rires) Après, en 74, c’est lndia song, la grande aventure.
J.M.T. : Vous avez dit que c’était votre plus beau rôle.
M.L : Oui, je le crois.
C’est celui où j’ai pu inventer des choses, retrouver ce que je connaissais de la vie, des histoires de l’Inde et des gens
qui buvaient mon père est allé en Inde, c’était un homme qui buvait alors je l’ai un peu joué, lui, vous savez avec ses parents on a toujours des rapports peu clairs en plus du désespoir de cet homme qui ne supporte pas la misère du monde, qui la hait, qui en arrive à tirer sur les lépreux, à se tirer dessus dans le miroir, ce qui est un événement étonnant, à essayer de détruire son image et puis à rêver cet amour impossible avec cette femme cette sublimation de l’amour qui est tellement fort qu’on ne sait
plus du tout où il se situe.
Une sorte d’absolu.
Silence
Un tournage assez dur parce qu’il fallait que je reste concentré sur cet état de passion totale et de désespoir total Pas toujours drôle à vivre parce que, vous le savez, au cinéma on attend parfois toute une journée avant de faire un plan. Je me suis moins amusé. On ne pouvait pas. On sentait que le rire, là, cassait quelque chose.
Il fallait rester dans ce grand malheur d’amour (rires).
Il y a eu deux étapes. Il ne faut pas oublier ça. Les cinéastes ne le savent pas, mais la bande son a été réalisée pour la radio avec la voix de Viviane Forrester dans le rôle de Anna Maria Guardi. Quand on a fait le film, il a fallu refaire la bande son avec celle de Delphine Seyrig. Il y avait des scènes durant lesquelles, en dansant, nous devions parler. Mais ça ne collait pas. D’abord il y avait la musique et pour le son ce n’était pas commode
il fallait absolument qu’on ait cette musique.
Pendant tout le tournage, elle nous a hantés, habités tout le temps, tout le temps Marguerite voulait l’entendre pendant qu’on tournait. Nous nous sommes rendus compte rapidement qu’il ne nous était pas possible de parler et d’écouter la musique en même temps ça détruisait quelque chose. On a tout fait off, finalement. C’était un film sans paroles directes retourner à l’état de cris et de pleurs de la bande radio et le rejouer corporellement. Une aventure où nous ne savions pas ce que nous faisions, tellement nous étions concernés j’étais amoureux de Delphine Seyrig aussi, alors ça recoupait des tas de choses qui me touchaient très fort, de très près.
Silence
J. MT.: Si je pense à lndia song, si je pense à vous dans ce film, deux moments inévitablement reviennent en mémoire : les cris, dont vous venez de parler ; c’est un moment miraculeux parce que très rare et le moment où vous quittez l’ambassade, lorsque, titubant, vous traversez la rue. Donner cette image-là du corps, c’est, je crois, atteindre la perfection.
ML : Nous l’avons tourné à Neauphle. Nous avions froid. Il n’y a avait pas de pleurs. Il fallait que je les revive intérieurement, que je les ré-écoute en moi parce que l’état d’ivresse, de folie dans lequel se trouve cet homme, j’entends folie d’amour, qu’est-ce que c’est ? ça ne peut être que ce qu’on en vit intérieurement, même si c’est un plan de dos, il faut l’être complètement à ce moment- là. Nous n’avons fait qu’une prise. Il pleuvait et le jour tombait. Je me sentais désespéré, vraiment. Dans mon rôle et en tant que comédien parce que je me disais : « jamais je ne pourrai faire passer quelque chose. » Puis, comme toujours au moment de tourner, les choses s’évanouissent, les choses de la conscience et
quand je joue, je ne pense pas comment je joue je joue comme je peux mais les cris, oui, c’était spontané en plus c’était à la suite de deux années très malheureuses, je savais un peu ce que c’était.
Je n’avais pas besoin de beaucoup penser pour m’y retrouver ce fut une sorte de délivrance de
pouvoir hurler.
J. MT. : Le lien est indispensable ? le comédien qui doit hurler sa douleur d’amour doit avoir vécu la même chose ?
ML : Je crois qu’on est tous dans un état d’amour, vécu ou non vécu. Mais il est possible en vous. Je crois que les êtres sont capables d’amour illimité, mais qu’ils n’ont pas souvent l’occasion de le montrer ou de le dire. Je crois que chacun a conscience d’un amour à un moment de sa vie. Que l’amour peut être. Il n’est pas toujours vécu. C’est rêver, en tout cas, donc il est là.
Silence
Je ne pense pas que Marguerite parle de choses qui n’existent pas, elle parle de choses qui existent, ça rejoint une espèce de conscience collective de ce qu’est un état d’amour violent et absolu. Oui. Je m’y suis jeté avec beaucoup de fougue, de passion et d’instinct. J’ai tellement crié à la radio que je me suis cassé la voix. D’ailleurs, quand il fut question de le monter au théâtre, je me disais que je ne pourrais pas l’assumer tous les soirs mais il fallait aller jusqu’au bout de l’épuisement total des possibilités, jusqu’à se casser la voix. On ne peut pas retenir ou faire attention dans ces moments-là. Ils sont rares les rôles qui permettent ça.
Silence
J.M.T.: Comment sortez vous d’un pareil film ?
M.L : Bien. Délivré, soulagé d’avoir poussé son cri (rires) Pour moi, c’était bon de savoir que je pouvais le faire. C’était une preuve que mon métier avait mûri et que maintenant, je pouvais avant, je trouvais ça indécent il ne faut pas avoir peur de l’indécence, mais j’en avais un peu peur.
J.M.T.: L’indécence, c’est de crier ?
M.L : C’est indécent.
Oui. Quand ça dérange. Mais il ne faut pas·en avoir honte ou peur. C’est très bien que les gens puissent crier comme ça, une fois dans leur vie on atteint une limite, on fait une sorte de voyage si on n’y retourne pas, ce n’est pas grave. C’était lourd ce personnage vivant en incompatibilité avec le monde Je le ressentais beaucoup à l’époque, j’étais hanté par l’injustice. Tout ce malheur du monde, on le porte en soi.
J.M.T.: et la solitude de monde
M.L : et la solitude. Ce film recoupe des éléments très importants de la vie on est tous une solitude aussi.
Silence
Quand on a eu un rôle comme celui-là, très beau, on devient terrible, on ne veut
plus faire que ça et on ne retrouve pas l’occasion d’aller si loin.
J.M.T.: James Bond ? vous jouez avec Duras et dans des films de James Bond comment ?
M.L : (rires) Je n’en sais rien. « Les extrêmes me touchent » disait Gide. Je n’aime pas être enfermé dans une catégorie. On peut devenir l’acteur des textes difficiles ; chaque fois qu’on essaye de me classer dans une catégorie, chaque fois je bifurque et j’en sors parce que je ne veux pas appartenir à un certain esprit uniquement. Les choses sont trop variées dans le monde pour être l’acteur d’une seule mentalité J’ai fait James Bond en me disant que je suis capable de m’intégrer dans une bande dessinée publique. Puisqu’on me reprochait de ne pas faire de films populaires, je me suis dit que j’allais en faire un, une fois dans ma vie et puis, financièrement, ça m’aidait à faire des films qui m’intéressaient plus mais qui n’étaient pas payés, des films jeunes dont je ne pouvais vivre du tout.
J.M.T.: Marguerite Duras aussi revendique une
pauvreté économique, ce qui l’oblige, à chaque film, à inventer. Les limites économiques doivent, j’imagine, forcer le directeur photo, par exemple, à inventer lui aussi.
Les yeux verts, Cahiers du cinéma
M.L : Pas vraiment. Dans lndia song, il y a des plans que nous n’avons pas pu refaire ; des plans de nuit où j’allais encore crier l’amour du Vice Consul sous les fenêtres de Anna Maria Guardi.
L’opérateur, Bruno Nuytten, s’est planté, comme on dit : à la projection on voyait du noir avec juste les revers blancs du smoking qui se promenaient dans la nature. Evidemment, cela a fait beaucoup rire tout le monde. Ce plan-là, nous n’avons pu le refaire. Et nous avons dû bâcler un peu la fin, lors du tournage à la Fondation de France pour le dernier plan, lorsque Delphine part après avoir respiré le parfum des roses. Le Vice Consul était là en principe. J’étais prêt. J’ai passé la soirée à attendre. Quand je disais : « qu’est-ce que je dois faire ? », Marguerite répondait : « je ne sais pas où te mettre, je ne sais pas où te caser ! » Si nous avions eu plus de temps, plus d’argent, peut-être aurions-nous trouvé une solution pour faire comprendre que le Vice Consul était là. Dans le cadre, tel qu’il était préparé, ce n’était pas possible mais le luxe, pour Marguerite, n’existe pas dans la mesure où elle dit : « je suis une écrivain qui fait du cinéma, je ne suis pas cinéaste ». Elle pense que son travail c’est son écriture, c’est gratuit (rires) après, elle s’arrange elle peut toujours faire lire un texte, sur un plan où il n’y a presque rien, qui arrangera les choses. Donc, elle n’est pas prisonnière, en tant qu’écrivain elle sait qu’elle pourra toujours faire passer l’essentiel. C’est pour ç:a qu’elle a pu réaliser Son nom de Venise dans Calcutta désert sans personnages. Curieusement, il y eut un besoin tout doux d’évacuer la présence de l’être humain.
Silence
Si l’on en revient au parcours avec-Marguerite, il y a L’Eden cinéma. C’est aussi un moment très poignant, parce qu’elle était très secouée en repensant à tc:Als ces événements vécus avec
sa mère nous étions tous dans un état de pleurs et, deux ou trois fois, je me suis arrêté pendant les répétitions, pour aller dans un coin, seul, parce que je ne pouvais plus c’était tellement bouleversant. Nous étions gagnés par une émotion incroyable.
Silence
L’Eden cinéma. au début, on ne savait pas
comment le faire ; il y avait ces doubles voix, on ne savait pas comment les faire bouger sur scène. Puis, peu à peu, j’ai suggéré de dire ç:a près d’un micro, ce serait comme une voix off. On ne pouvait avoir ces voix qui parlent en bougeant. J’avais l’impression que cela deviendrait davan· tage un secret, avec un micro. Il y avait Madeleine Renaud, la grand mère, et Bulle Ogier qui parlaient en direct, tandis que Catherine Sellers et moi, nous étions assis à des petites tables à chaque extrémité de la scène et on lisait le texte. Les voix intérieures des personnages. A certains moments, je quittais ma table et je jouais Monsieur Jo qui est une sorte de morceau dans le morceau, un aparté ça m’amusait beaucoup, puis je regagnais ma petite table, avec le pianiste derrière qui interprétait la musique de Carlos d’Alessio encore un travail superbe.
Photo Jean Mascolo
Silence
Ensuite, il y eut Le navire Night. Ce fut plus difficile. Marguerite avait réalisé le film avant, elle savait davantage ce qu’elle voulait. Elle interférait dans le travail de Claude Régy qui veut des silences très longs et que Marguerite ne supportait pas. Elle objectait : « c’est pas comme ça qu’il faut dire », cela a amené des tiraillements et j’ai dû me fâcher, malheureusement parce que ce sont des êtres que j’aime beaucoup, mais entre Régy-papa et Marguerite-maman qui se disputaient, les enfants sur scène… (rires) j’assistais à une scène de ménage donc, une fois, je leur ai dit : « maintenant ça suffit ! si vous avez des discussions, allez les faire ailleurs, mais ne venez pas nous demander tous les deux des choses différentes ».
Marguerite voulait diriger elle même. Je lui ai dit : « il faut choisir : ou bien tu mets en scène toi-même, ou bien tu as confiance en quelqu’un et tu le laisses faire ». Elle avait tourné le film, elle avait donc son idée sur la mise en scène. Je n’ai pas vu le film, parce que je ne voulais pas copier. Nous sentions une tension assez grande entre Marguerite et Claude Régy. Ce qui a nui à notre épanouissement dans la mesure où nous ne pouvons obéir à deux propositions à la fois. Nous sommes trop dépendants du metteur en scène. Nous ne pouvons pas.
Silence
Enfin, l’année dernière, nous avons repris L’amante anglaise.
J.M.T.: Il y a un moment de grâce dans cette pièce : lorsque vous posez les mains sur les épaules de Madeleine Renaud.
M.L : C’est arrivé par hasard Claude Régy cherche ses places lentement il se trouve que j’étais derrière Madeleine lorsqu’on a commencé à travailler ce passage j’ai mis la main sur sa tête, par hasard, pour rajuster une mèche tout à coup, l’idée de faire ça est venue. On l’a adoptée. Je pense que c’est bien, parce que, après cette discussion, l’interrogateur fait une trajectoire, il est absorbé par elle, il est bouffé par la spirale de la folie de cette femme qui ne livrera jamais son secret. Avec ce geste, nous passons à un autre domaine que celui de la parole, nôus passons à un contact physique. Quelque chose se transforme. Claude Régy voulait supprimer ce geste, parce qu’il le jugeait trop sentimental. Marguerite n’était pas d’accord. J’ai senti que nous allions encore nous déchirer. Je l’ai gardé aussi.
Silence
Je me souviens de gens qui pleuraient en parlant de
ça parce que je crois que les gens ne touchent pas physiquement une femme, un jour, a pleuré parce que personne n’avait posé la main sur son épaule depuis trente ans c’est très important dans la vie que quelqu’un vous prenne par la main ou par l’épaule donc on l’a gardé, mais Claude Régy ne pouvait s’en occuper réellement parce qu’il était pris par autre chose. Je sentais, cependant, que je le faisais sans l’accord du metteur en scène. Il voulait plus de dépouillement. Il trouvait ça dépassé. Je ne le crois pas du tout.
Silence
Avec Marguerite, on a toujours le projet de faire Monsieur Andesmas.
J.M.T.: Et La maladie de la mort.
M.L : C’est un titre difficile, pas très public parce que les gens n’aiment pas la mort, ni la maladie, alors, les deux à la fois seuls les durassiens inconditionnels viendront (rires)
Elle veut garder le titre et comme, au fond, les créateurs raison La maladie de la mort, c’est curieux, c’est comme un virage dans sa vie d’écrivain. Elle cherche à prouver quelque chose, comme une orientation nouvelle due aux circonstances de sa vie personnelle je ne l’ai lu qu’une seule fois encore, parce que j’attends le moment où nous allons travailler je ne réfléchis jamais avant
J.M.T.: C’est un texte très physique, comme L’homme assis dans le couloir.
M.L : je ne sais pas ce qu’elle veut dire complètement, je crois que nous allons le découvrir lentement. Il y a un mystère toujours. Elle nous le fera comprendre.
Silence
J.M.T.: Et puis, il y aura Ah ! Ernesto, que nous devons faire avec Jean Mascolo ce petit Ernestino de sept ans qui a grandi trop vite.
M.L : Oh oui ! (rires) j’étais fou de joie à l’idée de jouer Ernesto parce que c’est le genre de chose que j’aime : jouer un petit garçon de sept ans quand j’en ai cinquante parce qu’on dépasse le temps, on sort des notions d’âges, on est dans un temps d’âge qui n’existe pas. J’aimerais vraiment qu’on le fasse il y aura des surprises !
Silence
J.M.T. :Qu’est-ce que c’est cette contamination dont nous avons parlé ?
M.L : il y a une contamination de l’intelligence. Comme elle est très intelligente et d’une manière qui n’est pas
J.M.T.: terroriste ?
M.L : terroriste, oui.
Donc, quand on fait appel à l’intelligence en vous, c’est toujours quelque chose qui ne demande qu’à s’épanouir. C’est aussi cette perception très aigüe des choses humaines ce que les gens portent en eux de capacité d’amour. A travers toute son œuvre, il y a cet amour impossible il y a toujours un amour souhaité, extraordinaire qui devrait
avoir lieu, qui a lieu ou pas, qui souvent est arrêté. Tout ça intéresse et inquiète des tas de gens qui cherchent aussi cet amour. Tout le monde rêve d’une passion
J.M.T. : cette intelligence chez elle, c’est aussi son refus absolu de mensonge, son honnêteté très grande.
M.L : C’est très fort chez elle, oui. Elle m’a beaucoup appris. J’avais peur de dire la vérité, de blesser les gens, alors je disais les choses à côté. Mais il y a une sorte d’honnêteté qui fait que, même si ça fait un peu mal, il vaut mieux dire la vérité. Tout le monde est délivré.
Silence
Les gens qui lisent ses textes perçoivent quel genre d’absolu c’est. C’est avant tout une perception de l’amour qui est très étonnante, qui capte les gens et, il y a le phénomène de l’écriture, la façon dont elle le dit : lucide, tranquille, simple. La grâce de l’écriture, quoi. Il y a une musique, une simplicité, une justesse, un français très dépouillé. On ne sait pas comment ça vous gagne. A force de lire, d’accumuler les choses simples la justesse des mots. On a souvent parlé d’une virgule, du son dans tel mot plus beau que dans tel autre c’est formidable d’assister à cette transformation de l’écriture.
Silence
J.M.T.: C’est étrange, vous êtes lié au cinéma de Marguerite Duras et vous n’avez joué que dans trois de ses films. C’est l’impact de lndia song ?
M.L : Oui. C’est un cinéma qui fera son chemin lentement. On n’oubliera pas lndia song.
Silence
Il s’est passé quelque chose de très fort. Après, elle a eu peur. Elle m’a dit : « on ne refera jamais un film comme lndia song ». Non. Mais Rembrandt a peint La ronde de nuit, puis il a peint La fiancée juive, ce n’est pas parce qu’on a fait une chose très belle qu’on ne peut pas en faire une autre été surprise pensait pas que cela aurait elle a elle ne un tel succès parmi les films que j’ai faits, c’est celui dont on me parle le plus, ça travaille en profondeur.
Silence
J.MT. : Marguerite a demandé à Catherine Deneuve de jouer dans La maladie de la mort.
M.L : Là, elle rêve complètement : parce que Catherine ne le fera jamais. Elle imagine que tous les gens vont adhérer comme ça (rires) d’abord Catherine n’a jamais fait de théâtre, à moins que Marguerite ne le fasse au cinéma pourquoi pas ? enfin, c’est s’engager dans une aventure qui fait un peu peur aux stars bien assises. Comme Dominique Sanda qui, au moment de lndiasong,a refusé parce que ce film ne correspondait pas à son standing.
J.MT.: Mais elle a fait Le navire Night. Pour se rattraper.
M.L : Pour se rattraper, oui. (rires) Ça prouve que les gens veulent garder une image d’eux- mêmes, ils ne se lancent pas dans Duras comme ça ! Ils ont peur d’être entamés, d’abîmer quelque chose de commercial, je ne sais pas. Il faut avoir la passion de Marguerite pour le faire on ne sait pas peut-être que Catherine Deneuve acceptera, si elle est intelligente elle pourrait accepter. Ce serait formidable, parce que ce serait prendre un risque. Ce n’est pas un grand risque pour une fille qui débute, mais Catherine peut avoir peur pour le commerce. Les films de Marguerite ne feront jamais des milliards de recettes ! Tout ça joue.