L’amour, toujours l’amour

L’amour, toujours l’amour

Le 30 Mai 1983
Les lieux de Marguerite Duras, Michelle Porte, Editions de Minuit.
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Article publié pour le numéro
Marguerite Duras-Couverture du Numéro 14 d'Alternatives ThéâtralesMarguerite Duras-Couverture du Numéro 14 d'Alternatives Théâtrales
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Marguerite Duras à Montréal, Editions Spirale.
Mar­guerite Duras à Mon­tréal, Edi­tions Spi­rale.

Une voix
Mar­guerite Duras a un statut qui n’ap­par­tient qu’à elle. Une stature de Boud­ha féminin, qui, comme les dieux et les ora­cles a une parole brève mais essen­tielle. Des écrits de cette qual­ité-là, aus­si. Elle règne dans un lieu qu’elle occupe seule. Intouch­able. Retirée dans ses ter­res de mer ‑Trou­ville· ou ses ter­res de ros­es — ‑Neauphle·. Elle tient ses assis­es annuelles à Hyères, au fes­ti­val, entourée d’une cour éper­due, exclue, aimée selon un flux et un reflux dont elle organ­ise les lunaisons. Elle a une adresse à Paris. Un secré­taire qui fil­tre. Elle vit, je crois, dans une extrême soli­tude.
Imposée d’abord par des rup­tures per­son­nelles, poli­tiques ‑un homme, le P.C.-. Dont elle a beau­coup souf­fert. De cette souf­france elle n’a jamais cessé de par­ler. Elle l’a appelée amour. Elle n’a écrit que sur ce sujet ou ses dou­bles, la haine, la mort. Main­tenant elle a près d’elle« l’homme atlan­tique ».
Elle lui fait don de ses livres, de sa parole, de ses films. Elle ne peut sur­vivre — après avoir tra­ver­sé toutes les ivress­es· que dans un nar­cis­sisme qui la pro­tège (elle est Duras, Mar­guerite Duras) qu’elle organ­ise mais qui laisse tou­jours béante la blessure fon­da­men­tale, la perte, la recherche, l’e­spoir de ramour. Elle y croit comme seul un enfant peut croire. Elle a gardé un esprit d’en­fance. Il y a des années et des années que cela dure.
Elle a acquis dans cette attente, cette douleur, une aura. Elle n’est pas pour­tant un de ces maîtres à penser qui, pour un an ou dix ans donne une doc­trine en « isme » que Paris ronge comme un os. Elle n’est plus un écrivain, comme elle l’a remar­qué, dont on encense ou recense les livres. Ils sont au­ delà de la cri­tique. Ils sont. Qu’en écrire de plus. Ils ne sont pas cri­ti­quables. C’est le dernier « Duras » avec sa fas­ci­na­tion incan­ta­toire, répéti­tive, irrem­plaçable. Elle n’est pas une cinéaste qui fait recette au box­ office mais, ses films sont dans toutes les mémoires, les his­toires du ciné­ma et, avec une sou­veraine assur­ance, elle a été jusqu’au point lim­ite de la décon­struc­tion du lan­gage, jusqu’à l’im­age noire.

Une voix irrem­plaçable
Pour­tant per­son­ne ne peut con­tourn­er Duras. Dans aucun domaine. Elle par­le à l’imag­i­naire et à l’in­tel­li­gence. Elle les sol­licite sans cesse. Elle fait et est référence parce que le regard qu’elle porte sur le monde inter­roge le monde là où l’on croy­ait qu’il ne posait pas de ques­tion.
Quand Serge July par exem­ple lui a demandé de tenir la chronique d’un été dans Libéra­tion elle a été la seule, en 80, à reli­er des mots que la triste quo­ti­di­en­neté de la poli­tique a séparés : pou­voir et morale. Elle a écrit : « Anouar el Sadate a enter­ré l’empereur d’I­ran avec une pompe égale à celle à laque­lle il aurait eu droit s’il avait été en pleine gloire, rég­nant et pur. Cela parce qu’au cours de la guerre de 73 ce même empereur avait ren­du un ser­vice au peu­ple égyp­tien. Sadate avait dit : je n’ou­blierai jamais. Il n’a pas oublié. Sadate a con­duit le deuil du Shah d’I­ran seul sur la scène mon­di­ale. A côté de lui if y avait le « voy­ou » Nixon. Je troque aisé­ment le Water­gate, une fraude élec­torale de plus ou de moins, con­tre ce geste d’aller au Caire. Il y est allé parce que, du moment que dans les bons jours l’Amérique était allée à Per­sépo­lis, elle se devait dans
les jours noirs d’aller aus­si au Caire. Il n’y avait aucun doute pos­si­ble, il tal­lait aller
au Caire comme on était allé à Per­sépo­lis quand on con­nais­sait déjà les crimes de l’empereur.
Ce manque de loy­auté est beau­coup plus grave pour Carter que la com­pro­mis­sion du fait de son frère et pour Gis­card d’Es­taing que les cadeaux de Bokas­sa ou le traf­ic bour­si­er. De Gaulle serait allé au Caire. Ça doit être très rare de ne faire qu’un avec sa fonc­tion, d’os­er, d’être le même indi­vidu face à l’E­tat et face à la vie. »
Quand, au début 70, les femmes sont entrées dans le mou­ve­ment et que l’on a par­lé de nou­veau de fémin­isme, de luttes, de change­ments de société ou de men­tal­ité, alors que Le deux­ième sexe de Simone de Beau­voir était le livre de référence théorique et his­torique, les romans de Mar­guerite Duras et leur écri­t­ure furent les pre­miers à pos­er le prob­lème du lan­gage femme, de son exis­tence et de sa spé­ci­ficité éventuelle. Plus que Colette ou Vir­ginia Woolf elle est “dev­enue l’ob­jet d’un culte lit­téraire Bien qu’elle se soit tou­jours tenue en dehors de toutes man­i­fes­ta­tions publiques et qu’elle ait peu encour­agé l’u­til­i­sa­tion de son nom, quelque part se tenait Mar­guerite avec une force de papesse involon­taire. Les femmes se recon­nais­saient, trem­blantes et admi­ra­tives dans ce qu’elle écrivait. Anne-Marie Stret­ter devient un nom mag­ique qui prit le vis­age de Del­phine Seyrig et la voix de Jeanne More­au. Et le cri du vice· con­sul et l’at­tente de la men­di­ante, tous ces gens qui mouraient d’amour ou de faim, de la faim
de l’amour ren­trèrent dans l’imag­i­naire col­lec­tif des lec­tri­ces qui, par ailleurs, s’in­surgeaient con­tre la dépen­dance sen­ti­men­tale des femmes. Ce qu’elle écrivait était ressen­ti comme le « c’est comme cela que nous sommes » et n’a­me­nait aucune cri­tique mil­i­tante. Elle était pro­tégée, comme la seiche, par son encre, ce nuage noir de la magie du style.Quand elle s’est mise à faire du ciné­ma, à rem­plac­er pro­gres­sive­ment et pour un temps l’écri­t­ure par les images et la voix, là aus­si, elle était atten­due et a été enten­due. Elle délivrait le ciné­ma de la nar­ra­tion clas­sique, intro­dui­sait un tem­po nouveau.L’avant-garde avait existé avant elle, avec ses recherch­es, ses lenteurs, sa décou­verte du temps réel, de l’in­ter­stice, du rien, du décalage son/ image. Elle n’ar­rivait pas en pio­nnière, sim­ple­ment elle arrivait. Tou­jours avec cette igno­rance des autres qui est une superbe pro­tec­tion, une manière royale d’être soi. Elle y est venue en auto­di­dacte et son igno­rance a bal­ayé toutes les sci­ences. Elle a mis dix ans à détra­quer le lan­gage pel­licule. A le ren­dre au blanc et au noir, à ren­dre le spec­ta­teur act­if et non plus cap­tif. Bref à n’avoir peur de rien. Surtout du sys­tème ou des sys­tèmes. Elle a d’abord adap­té fidèle­ment ses livres. Elle a fait des erreurs, puis pris l’as­sur­ance du per­san ou du huron de la fable qui débar­que à Paris. Pro­gres­sive­ment l’im­age a repris son statut d’im­age, et la voix son statut de voix.

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