Le masque dans la comédie et la poétique de la survie de Katrien van Beurden du Theatre Hotel Courage

Théâtre
Portrait

Le masque dans la comédie et la poétique de la survie de Katrien van Beurden du Theatre Hotel Courage

Le 28 Mar 2020
A room with a view, mise en scène Katrien van Beurden (Theatre Hotel Courage), avec Khadijeh Khanfari, Compagnietheater (Amsterdam), 2017. Photo Moon Saris.

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A room with a view, mise en scène Katrien van Beurden (Theatre Hotel Courage), avec Khadijeh Khanfari, Compagnietheater (Amsterdam), 2017. Photo Moon Saris.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 140 - Les enjeux du masque
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« Un jour j’étais assise à côté d’un homme sur un banc […]. L’homme a com­mencé à chercher […] son télé­phone. Et soudaine­ment, il vit sa canette de bière et dit : « Ah, voilà. » Il ramas­sa la canette, la pres­sa et décrocha comme si c’était un télé­phone : “Ah Dieu, c’est toi ? C’est gen­til de m’appeler. Ah, t’as la grippe ?… Si je pou­vais me charg­er de la terre pour un moment ? Pas de prob­lème.” »1.

Com­ment avait fait ce sans-abri pour se trans­former en un rien de temps en l’homme le plus puis­sant de la terre échangeant avec Dieu ? C’est cette ques­tion qui a poussé la Néer­landaise Katrien van Beur­den à chercher une forme de théâtre anti­nat­u­ral­iste capa­ble de don­ner libre cours à l’imagination des acteurs et des spec­ta­teurs via les demi-masques de néo-com­me­dia dell’arte2 et à con­stru­ire un univers rem­pli de per­son­nages qui utilisent con­stam­ment leur ingéniosité pour s’en sor­tir, qui lut­tent pour sur­vivre de façon comique, trag­ique et folle. Direc­trice artis­tique et met­teure en scène de la com­pag­nie The­atre Hotel Courage, recon­nue sur le plan inter­na­tion­al pour son engage­ment dans le renou­veau de ce style de jeu, elle a dévelop­pé au cours des quinze dernières années une méth­ode de tra­vail par­ti­c­ulière – pro­pre à ce qu’elle appelle la « comédie de la survie » – en s’inspirant du tra­vail sur l’art de l’acteur mené par Jacques Lecoq et en util­isant les demi-masques en cuir du créa­teur français Den3 : ques­tion­nant le vécu et l’imaginaire des pop­u­la­tions vivant dans des zones de con­flit, elle a créé une péd­a­gogie et une poé­tique du jeu masqué liées à l’urgence de créer de nou­veaux car­ac­tères tra­gi-comiques en mesure de mon­tr­er l’humanité dans toute sa com­plex­ité. 

Sa pre­mière ren­con­tre avec les masques advient pen­dant ses années de for­ma­tion au Con­ser­va­toire de théâtre d’Utrecht où, à dix-huit ans, elle a la pos­si­bil­ité d’assister trois jours à une mas­ter class de com­me­dia dell’arte. Elle décou­vre alors un théâtre qui place au cen­tre de la créa­tion l’acteur, son imag­i­na­tion et sa vir­tu­osité scénique : à par­tir du corps, l’acteur peut nour­rir son tra­vail d’une réal­ité vis­cérale qui émane de la vie. Le masque l’intéresse fon­da­men­tale­ment pour la force vitale qu’il dégage, une énergie débor­dante qui la fait se sen­tir vivante, mais aus­si parce que ces per­son­nages, dans leur extrav­a­gance, sont por­teurs d’une dimen­sion trag­ique émanant de leur folie. Enfin, en Hol­lande, selon l’artiste, il y a une ten­dance très forte à sépar­er le tra­vail textuel de celui du corps ; le masque lui per­met de faire cohab­iter ces deux aspects : c’est un pont pour com­bin­er ensem­ble l’action et la parole. Le masque est ain­si con­sid­éré comme un out­il de for­ma­tion fon­da­men­tal en rai­son de sa puis­sance d’imagination et de représen­ta­tion. Sa pra­tique enri­chit le bagage de l’acteur par des principes scéniques anciens comme l’improvisation, la styl­i­sa­tion et la typ­i­sa­tion des per­son­nages : or, comme le soulig­nait Cather­ine Mounier à pro­pos de L’Âge d’or d’Ariane Mnouchkine : « Seuls des théâtres codés peu­vent apporter une aide pour ren­dre sig­nifi­ant ce que l’on ne voit plus. »4

C’est de ce désir de quête d’une réal­ité con­tem­po­raine qu’est née la com­pag­nie théâ­trale inter­na­tionale The­atre Hotel Courage dont le nom même est lié au pro­jet de recherche-créa­tion à visée anthro­pologique que Katrien van Beur­den a imag­iné avec ses col­lab­o­ra­teurs, les acteurs Sacha Muller, Anne Fé de Boer et Thomas van Ouw­erk­erk, encore aujourd’hui les piliers de la com­pag­nie. Elle racon­te :

« Un jour j’étais avec des amis : […] nous nous sommes demandé quel serait cet endroit où toutes sortes de gens pour­raient se ren­con­tr­er. Nous avons tout de suite pen­sé à l’hôtel, car […] c’est l’endroit du monde où l’on peut représen­ter toutes les hiérar­chies et les adver­sités de la société. Mais dans ce théâtre de la survie, il faut du courage. Aus­si ai-je rajouté le mot « courage » à « hôtel ». Puis nous avons décidé de par­tir à la recherche des per­son­nes qui auraient pu habiter notre hôtel. »5

En 2012, avec sa troupe, Katrien van Beur­den com­mence ain­si un long voy­age qui l’amène, pen­dant cinq ans, à sil­lon­ner le monde avec ses masques en quête de nou­veaux car­ac­tères et à col­lecter des réc­its por­tant sur des formes spé­ci­fiques nou­velles d’altérité dans le panora­ma des types fix­es de com­me­dia, comme le refugié, le dic­ta­teur, le sol­dat, etc. Dans chaque pays qu’elle vis­ite – Pales­tine, Inde, Ghana, Iran, USA –, elle tra­vaille avec des acteurs du ter­ri­toire, des étu­di­ants, des réfugiés, des pop­u­la­tions trib­ales et des citadins de dif­férentes orig­ines. Avec ces publics, elle crée des per­for­mances visant à répon­dre à la ques­tion : « Si le monde était un hôtel, quelles y seraient votre place et votre posi­tion ? ». Dans ce con­texte, les masques ne sont pas abor­dés d’un point de vue his­torique, mais en util­isant les asso­ci­a­tions arché­typ­ales qu’ils évo­quent : Pan­talon, par exem­ple, devient l’archétype du vieil homme qui s’accroche à la vie parce qu’il sait que la mort est proche ; le Doc­teur, l’homme qui croit tout savoir mais qui, en réal­ité, ne sait rien ; le Cap­i­taine, celui qui pré­tend être tout ce qu’il n’est pas ; Arle­quin, le type du jeune garçon impul­sif qui veut con­stam­ment jouer.

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Katrien van Beurden
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Giulia Filicanapa
Docteure en Études théâtrales et en Études italiennes, enseignante-chercheuse, metteure en scène.Plus d'info
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