Artiste prolifique, Enrique Diaz est un metteur en scène d’une importance capitale dans le panorama des arts de la scène au Brésil. Il a influencé toute une génération de jeunes artistes. Sa reconnaissance internationale s’est affirmée de façon sensible depuis plus d’une vingtaine d’années. Il travaille également en tant qu’acteur au théâtre, au cinéma et à la télévision. Manifestant un intérêt récurrent pour le métalangage, il a mis en scène des adaptations de textes classiques, contemporains, littéraires et des textes créés à partir d’improvisations faites par les acteurs. Marquée par la performance et nourrie par les avancées technologiques, sa pratique demeure centrée sur le travail des acteurs, leurs improvisations et leurs jeux avec les personnages.
Au Brésil, Enrique Diaz a été un des pionniers dans l’utilisation de la projection d’images sur scène. D’autres metteurs en scène contemporains brésiliens, comme Gerald Thomas, Felipe Hirsch et José Celso Martinez Corrêa, utilisent ce procédé, mais plus rarement. Nous observons aussi depuis quelques années les créations de Christiane Jatahy qui dialoguent avec le langage cinématographique. Dans le cas des mises en scène d’Enrique Diaz, les projections se font sur une toile blanche en fond de scène. Toutefois, si la technologie utilisée est presque artisanale, les procédés esthétiques sont pour leur part très sophistiqués. Enrique Diaz s’approprie les procédés médiatiques pour les appliquer à son théâtre, par exemple les constructions en hyperlien qui deviennent des passages d’une scène à l’autre à partir d’un point de référence, un lien, avec de fréquents retours aux scènes de départ. Ces enchevêtrements créent un effet de mise en abyme qui invite le spectateur à être co-constructeur du spectacle. Ces mises en abyme brouillent les frontières de la fiction et jettent un doute radical sur la cohérence d’une vérité absolue, d’une réalité unique, ouvrant la voie à d’autres points de vue sur des sphères différentes de la réalité.
En observant le parcours artistique d’Enrique Diaz de façon globale, nous relevons trois phases distinctes. Une première phase coïncide avec la création, avec d’autres amis acteurs, de sa compagnie de théâtre, nommée Companhia dos Atores. Il crée cette compagnie en 1988, à 19 ans, fort d’une carrière d’acteur déjà intense et productive. Les artistes de la Companhia dos Atores ont été inspirés par le travail collectif des compagnies brésiliennes des années 70. Les artistes de ces compagnies comme Asdrúbal trouxe o Trombone, Manhas & Manias, Ornintorrinco et Intrépida Trupe se servaient du texte comme d’un objet à déconstruire dans une tentative de dévaluer le « texte classique ». Ils improvisaient beaucoup et les tâches artistiques étaient partagées entre les acteurs. Ils cherchaient aussi la dissolution de la division entre scène et public. Ces pratiques étaient assimilées à un « théâtre expérimental », un « théâtre de recherche collective », tout en tenant des discours moins directement politiques que les pratiques artistiques collectives des années 60 avant le coup d’État de 1964 et la mise en place d’un régime militaire. La Companhia dos Atores a été également influencée par le théâtre d’auteur des grands metteurs en scène brésiliens des années 80 comme Gerald Thomas, Moacir Góes, Antunes Filho et José Celso Martinez Corrêa. À la suite de l’ouverture politique des années 80, le théâtre brésilien a vu éclore le phénomène de la hiérarchisation au sein de la structure des groupes avec la suprématie de la fonction artistique du « metteur en scène », responsable de la signature des spectacles plus formalistes prônant une quête esthétique très rigoureuse. Le croisement du théâtre avec l’art de la performance, le cinéma et les nouvelles technologies a apporté un saut qualitatif aux paramètres procéduraux et esthétiques du théâtre des années 80, à travers l’importance donnée aux nouvelles technologies et aux recherches sur différentes techniques d’entraînement physique et de formation d’acteurs.
La pratique artistique d’Enrique Diaz au sein de la Companhia dos Atores a occupé une frontière floue, étant à la fois une pratique très collaborative et cependant centrée sur ses décisions et son autorité de metteur en scène. Lors de l’analyse de différentes dynamiques créatives à caractère participatif, José Da Costa, dans Teatro contemporâneo no Brasil : criações partilhadas e presença1 , reconnaît que certains metteurs en scène brésiliens, comme Enrique Diaz, exercent leur autorité plutôt pour donner une orientation globale au parcours esthétique de la compagnie que pour unifier les voix dissonantes dans une création partagée. En ce sens, le travail d’Enrique Diaz comme metteur en scène consisterait plutôt à être un catalyseur de questionnements esthétiques et politiques au sein de la compagnie.