Le théâtre et le monstre : notes préliminaires pour une socio-économie du théâtre brésilien

Théâtre
Réflexion

Le théâtre et le monstre : notes préliminaires pour une socio-économie du théâtre brésilien

Le 1 Sep 2021
Fête du Kuarup. Photo : Marcello Casal Jr. - Agência Brasil, CC BY 3.0 BR
Fête du Kuarup. Photo : Marcello Casal Jr. - Agência Brasil, CC BY 3.0 BR
Fête du Kuarup. Photo : Marcello Casal Jr. - Agência Brasil, CC BY 3.0 BR
Fête du Kuarup. Photo : Marcello Casal Jr. - Agência Brasil, CC BY 3.0 BR
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 - Scènes du Brésil
143

Quand nous essayons de réfléchir à la socio-économie du théâtre brésilien, nous sommes con­fron­tés à deux vérités sup­posé­ment éter­nelles. D’un côté, nous apprenons que le théâtre et l’économie sont deux champs opposés. Selon cette per­spec­tive économique, le théâtre appar­tient à un secteur archaïque tan­dis que le secteur pro­gres­sif, fondé sur les gains de pro­duc­tiv­ité grâce aux tech­nolo­gies, représente la quin­tes­sence économique. Cette dichotomie entre un secteur économique archaïque et un autre pro­gres­sif s’est cristallisée dans les études que les écon­o­mistes nord-améri­cains William Bau­mol et William Bowen ont menées dans les années 19601 notam­ment dans leur livre Per­form­ing Arts – the eco­nom­ic dille­ma. Nous com­prenons le dilemme rap­porté par le titre du livre comme une déci­sion fatale : ou le théâtre dis­paraît, à cause de la « mal­adie des coûts », ou l’économie en général arrête de grandir, parce que la crois­sance du secteur pro­gres­sif sera neu­tral­isée par la stag­na­tion du secteur archaïque.

La deux­ième vérité à laque­lle nous devons nous con­fron­ter est celle du rôle de l’État. Comme le théâtre ne survit pas tout seul dans l’économie, il a besoin de l’aide publique. L’État doit donc fonc­tion­ner comme une sorte de père du théâtre en don­nant toutes les con­di­tions et ressources néces­saires aux pra­tiques théâ­trales. Les poli­tiques cul­turelles doivent garan­tir les équipements, les lieux, les professionnel.le.s, les publics, etc. La main­te­nance et la per­ma­nence du théâtre sont, dans cette per­spec­tive, un but gou­verne­men­tal.

En jux­ta­posant ces deux prémiss­es à la réal­ité des pra­tiques théâ­trales brésili­ennes, nous con­sta­tons que ces vérités ne sont pas absolues. En fait, l’antagonisme entre le théâtre et l’économie, d’un côté, et la rela­tion pater­nelle entre le théâtre et l’État, de l’autre, peu­vent idéale­ment éclair­cir quelques doutes. Cepen­dant, ils peu­vent aus­si génér­er de nou­velles ques­tions : à quelle économie nous référons nous quand nous dis­ons que le théâtre et l’économie s’opposent ? Quel type d’État nous pré­sup­posons quand nous dis­ons que l’État doit assur­er les con­di­tions de pos­si­bil­ité du théâtre ? Le théâtre et l’économie n’ont-ils vrai­ment rien en com­mun ?

Dans les prochains para­graphes, j’essaierai de don­ner quelques répons­es à ces ques­tions. Cet espace d’argumentation ne sera suff­isant que pour esquiss­er seule­ment les chemins qui visent à échap­per à la route des vérités absolues qui, fréquem­ment, brouil­lent notre vue. J’espère qu’au bout de ce texte, les stéréo­types de l’économie et de l’État seront décon­stru­its au prof­it d’une socio-économie du théâtre con­tem­po­rain au Brésil.

L’économie brésili­enne : styles et per­for­mances

Un fait éton­nant attire le lecteur de la lit­téra­ture économique brésili­enne : la récur­rence des caté­gories et des notions fon­da­men­tales pro­pres aux dis­cours artis­tiques. Selon nos spé­cial­istes les plus recon­nus, l’histoire économique sud-améri­caine du XXe siè­cle s’explique par une chaîne de styles de développe­ment (Tavares & Ser­ra, 1973). Pour com­pren­dre un style, nous devons le con­sid­ér­er comme un sys­tème dont les vari­ables hétérogènes inter­agis­sent les unes avec les autres : la crois­sance du pro­duit intérieur ; les expor­ta­tions ; les impor­ta­tions ; la con­cen­tra­tion de revenus ; la for­ma­tion brute de cap­i­tal fixe (FBCF) ; les impôts et les dépens­es gou­verne­men­tales, etc. Les rela­tions mutuelles entre ces élé­ments façon­nent chaque style et sa per­for­mance. Ain­si la per­for­mance économique brésili­enne dépend de son style : un style mod­erniste démoc­ra­tique pen­dant les années 1950 et 1960 ; un style dic­ta­to­r­i­al et mirac­uleux2 à marche for­cée (Cas­tro & Souza, 1985) pen­dant les années 1970 ; un style angois­sant mar­qué par les drames infla­tion­nistes (Bas­tos, 2001) au cours des années 1980, etc. Le rôle du PIB est cru­cial : les taux de crois­sance com­mu­niquent une per­for­mance for­mi­da­ble ou, au con­traire, les con­di­tions dra­ma­tiques de chaque péri­ode.

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Manoel Silvestre Friques
Manoel Silvestre Friques est professeur en Ingénierie de production à l’Université Fédérale de l’État de...Plus d'info
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