Pour l’opéra de N. Rimski-Korsakov La fille des neiges1, le metteur en scène-scénographe russe Dmitri Tcherniakov a composé une magnifique forêt dont, au dernier tableau, il fait danser les troncs, dressés sur une étendue de mousse d’un vert éclatant. C’est dans cette forêt qu’il ouvre une des scènes de l’opéra par le chant allègre d’un oiseau, auquel succède et répond dans un enchaînement étonnant la voix de la soprano Aïda Garifullina, interprète du rôle-titre. Écho discret à une question qui remue aujourd’hui le monde, celle de la disparition des oiseaux ? Seule une spectatrice touchée par ces quelques secondes où s’est magiquement tendu un fil de vie précieuse entre deux espèces, peut risquer pareille interprétation…
Les menaces qui pèsent sur la biodiversité et l’importance de celle-ci dans la régulation du climat sont bien connues aujourd’hui, mais depuis 1962, date de parution de l’ouvrage de Rachel Carson Printemps silencieux2, il nous a fallu beaucoup de temps pour nous sensibiliser à l’extinction des espèces et en particulier des oiseaux — les plus fragiles, les plus symboliques du règne animal — et à la responsabilité de l’homme (pesticides, chasse, disparition des habitats, éoliennes, etc.). Deux spectacles récents, performés « in situ », invitent à approfondir le sujet.
Le premier est une coproduction Allemagne /Roumanie, Extinction Room (Hopeless)3 (2019), œuvre du chorégraphe roumain Sergiu Matis. Il explore, avec deux complices, danseurs, narrateurs et chanteurs comme lui, l’impact du changement climatique sur le monde occidental dans une proposition interdisciplinaire dont le premier volet était Hopeless. Le spectacle se déploie dans le vaste espace d’un gymnase, à l’intérieur d’une installation sonore Multicanal, créée en collaboration avec la chanteuse et compositrice allemande Antye Greie (ou AGF). Plusieurs haut-parleurs suspendus comme des cages à oiseaux diffusent à 360 degrés un champ acoustique composé de musiques expérimentales électroniques qui utilisent largement les données de la eBird partagées par la Mac Auley Library (Cornell Lab of Ornithology, États-Unis), ainsi que celles de la Xeno-canto Foundation for Nature Sounds (Pays-Bas). Le public circule librement dans le gymnase, se rassemble en trois groupes, guidés par les trois performers au pied des hautes colonnes sonores. En tenues de sport sombres, le capuchon du T‑shirt parfois rabattu sur la tête, comme cherchant à s’effacer derrière leur sujet, ils racontent l’histoire d’un oiseau— son habitat, ses mœurs, les traditions et les mythes qu’il a inspirés aux hommes, et nous informent sur les conditions de sa disparition. Entre chaque récit parlé-chanté, avec les oiseaux dont on entend les appels, les cris, les pépiements et les aubades, dans cette forêt de sons ailés, les interprètes se retrouvent pour une danse soudaine, en un point de l’espace où les spectateurs vont se regrouper. Chorégraphies de chutes, au sol, danses de mort.