Dialogue à plusieurs voix, réalisé par Caroline Godart et Sylvie Martin-Lahmani avec Agathe Chamboredon (La Monnaie, Bruxelles), Sophie Cornet (La Monnaie, Bruxelles), Véronique Fermé (Festival d’Aix-en-Provence), Philippe Sagnes (Opéra National de Lyon) et Valentina Bressan (Opéra national de Paris).
Alternatives théâtrales : Quelles sont vos fonctions exactes et ont-elles un lien direct avec la question écologique ?
AC : Je suis directrice financière à la Monnaie depuis septembre 2018. Mon département est entre autres en charge de la durabilité à la Monnaie.
SC : Je travaille dans l’équipe d’Agathe, où je suis en charge de la politique de durabilité.
PS : Je suis directeur technique à l’Opéra de Lyon, où je travaille depuis dix-neuf ans.
VF : Je suis entrée en 2012 au Festival d’Aix, en charge du développement durable. Je travaille également dans un collectif écoresponsable en région PACA COFEES (Collectif des Festivals Écoresponsables et Solidaires).
VB : Je suis directrice technique adjointe de l’Opéra national de Paris. J’ai également un parcours de scénographe.
Alternatives théâtrales : Quelles actions pour l’environnement avez-vous précisément impulsées ?
AC : Pour ma part, depuis deux ans et demi mon rôle dans cette maison consiste à amener le comité de direction à traiter la problématique écologique de manière transversale, en donnant l’impulsion, en faisant remonter les besoins des services. Tout cela prend un temps considérable ! Comment intégrer ces nouvelles façons de travailler dans nos modes de fonctionnement ? Et avec quels moyens financiers ? Il faut décloisonner les différents services, les silos, pour travailler ensemble. À ce titre, j’essaie de libérer la parole des gens. Aujourd’hui, le comité de direction est acquis : le développement durable n’est plus un sujet un peu contraignant ou embêtant, mais une évidence !
SC : Mon rôle est plus proche de la mise en œuvre des projets : je suis à l’interface des équipes et je gère certains projets moi-même, comme le calcul carbone des productions, mis en place il y a un an. Ce sont essentiellement les équipes décors qui s’occupent de l’écoconception, mais je tâche de favoriser le dialogue entre les équipes, de les mettre en réseau avec des partenaires externes, de voir ce qui se passe ailleurs… Notre projet évolue rapidement depuis l’arrivée d’Agathe. On n’est plus dans un système de gestion environnementale classique, centré sur le bâtiment. Nous considérons la conception des spectacles. Dans cette perspective, le calcul carbone est un outil déterminant car il permet d’avoir une vision plus nette des enjeux et des priorités. Outre l’écoconception, nous pouvons considérer les transports (aussi bien des publics que des artistes).
PS : J’aime bien écouter les gens de Bruxelles parce qu’ils ont les mêmes soucis que nous ! Nos maisons ont d’ailleurs à peu près la même taille. Concernant ma fonction, je me situe entre Sophie et Agathe : je crée la possibilité de faire des choses. Le premier volet de notre travail, c’est l’écoconception. Pour l’instant à Lyon, on développe un logiciel pour faire des scénarios de construction : on propose au logiciel plusieurs choix techniques pour construire un élément de décor et il nous donne un bilan selon des critères que nous définissons.
Au final, nos principales difficultés sont liées à des problèmes de temps – pas nécessairement d’argent car nos projets sont souvent relativement bon marché. On manque parfois de compétences aussi. Le deuxième volet, c’est le recyclage. Nous travaillons avec plusieurs associations dont Les Connexions à Montélimar. Nous leur envoyons les plans des décors, ils nous disent si ça les intéresse, et ils les revendent. Ainsi, tout est recyclé. De plus, la Métropole de Lyon essaie de mettre en place une Recyclerie (Lyon a une mairie verte). L’idée est de développer un lieu qui permettrait à toutes les structures, petites ou grandes, de pouvoir déposer leurs déchets et de se fournir en matière. On développe également un maximum de choses susceptibles d’être réutilisées de spectacle en spectacle, ce qu’on appelle du matériel de répertoire : moteurs, roulettes, escaliers, structures, etc. On augmente ce répertoire en permanence. En termes de moyens financiers, le bilan sur dix ans est très positif. Ces derniers temps, nous avons conçu un projet européen, chez nous, qui interroge l’avenir de l’opéra : quelle forme pourrait-il prendre dans le respect du développement durable ?
VF : Mon rôle est le même que celui de Sophie, depuis 2012 au Festival d’Aix. En explorant les pistes d’action, on s’est rendu compte que le bilan carbone avait ses limites : d’abord parce que c’est un monocritère, et ensuite parce qu’on sait que notre plus gros défi sera celui des déplacements que nous ne maîtrisons pas ! Je travaille au sein du Festival sur ce sujet et sur l’écoconception. Nous avons également été accompagnés par un bureau d’étude extérieur et nous avons travaillé en collaboration avec d’autres acteurs de la filière. J’ai personnellement organisé toute cette démarche et favorisé la mise en réseau. Au départ, l’essentiel du travail sur la réduction de l’impact environnemental était lié à la conception des décors. Maintenant, la direction est passée à une démarche de réflexion interne, on pratique la RSE (« responsabilité sociétale des entreprises », c’est-à-dire la contribution des entreprises aux enjeux du développement durable, NDLR) qui oblige à la transversalité. Les sujets sont donc abordés par tous les services à peu près de la même façon.
Nous avons aussi commencé à développer un outil pour convaincre du fait que l’écoconception avait un intérêt financier pour les structures ! Cela permet par exemple de voir que le liège est en fin de vie moins cher que le polystyrène, même s’il est plus coûteux à l’achat. On anticipe également la fin de vie d’un objet au moment de la conception : que va-t-on faire des décors à la fin du festival, en sachant qu’on a parfois quinze jours pour déstocker ? Ces changements de pratique vertueux nous ont notamment permis de créer un guide adapté au festival et d’envisager la fin de vie des décors. Dans cette logique, nous collaborons avec une association qui les récupère et leur donne une deuxième vie. Au niveau régional, on réfléchit à une bourse aux décors. Ce n’est pas si simple, car il faut prévoir des contrats prenant en compte les droits d’auteur, le droit à l’image, etc.
VB : J’ai intégré l’Opéra de Paris en 2018, d’abord comme adjointe du directeur technique de l’Opéra Bastille puis comme directrice technique adjointe du Palais Garnier. J’ai pour mission de « créer les conditions de pouvoir faire », comme le dit Philippe. L’Opéra de Paris comprend quatre sites : l’Opéra Bastille, un des plus grands au monde, le Palais Garnier, l’école de Danse de Nanterre et les ateliers Berthier. Le volume et l’activité sont donc sans commune mesure avec les autres institutions ici présentes. Ce qui donne parfois le tournis ici, c’est la dimension des bâtiments et des productions, le nombre des conteneurs, la jauge du public, le nombre de salariés et d’artistes, le nombre de représentations et de productions… L’Opéra de Paris vient de changer de direction et nous avons environ 1500 conteneurs de productions stockés. Nous pouvons déstocker une vingtaine de conteneurs chaque année ! C’est un volume considérable.