L’appel de la forêt à l’opéra

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Opéra
Réflexion

L’appel de la forêt à l’opéra

Le 27 Sep 2021
Vue de la région de Watoriki, Roraíma (Brésil), Amazonas, coprod. Institut Goethe, Biennale de Munich, ZKM (Zentrum für Kunst und Medien) de Karlsruhe, 2009. Photo Moritz Büchner.
Vue de la région de Watoriki, Roraíma (Brésil), Amazonas, coprod. Institut Goethe, Biennale de Munich, ZKM (Zentrum für Kunst und Medien) de Karlsruhe, 2009. Photo Moritz Büchner.

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Vue de la région de Watoriki, Roraíma (Brésil), Amazonas, coprod. Institut Goethe, Biennale de Munich, ZKM (Zentrum für Kunst und Medien) de Karlsruhe, 2009. Photo Moritz Büchner.
Vue de la région de Watoriki, Roraíma (Brésil), Amazonas, coprod. Institut Goethe, Biennale de Munich, ZKM (Zentrum für Kunst und Medien) de Karlsruhe, 2009. Photo Moritz Büchner.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 144-145 - Opéra et écologie(s)
144 – 145

L’écosystème de la forêt n’est pas seule­ment un espace inter­ac­t­if, avec de puis­sants liens de causal­ités entre les activ­ités organiques des dif­férentes espèces, il est un envi­ron­nement dont l’expérience sol­licite tous nos sens : les bruits de la forêt, des oiseaux qui chantent au mur­mure du vent ; l’odeur de la terre, des arbres et des sous-bois ; l’infinie vari­a­tion de la lumière du soleil ; les sen­sa­tions tac­tiles provenant de la pluie, du vent, des feuil­lages et des troncs d’arbres, c’est une véri­ta­ble immer­sion sen­sorielle pour qui s’enfonce au plus pro­fond de la forêt !

L’écosystème forestier, une expérience du réseau et de l’immersion

Face à l’effondrement des écosys­tèmes à l’heure de l’Anthropocène, les col­lab­o­ra­tions artis­tiques à l’image de l’interdépendance rela­tion­nelle des écosys­tèmes (dont celui de la forêt) se mul­ti­plient. Ain­si, en quête d’une nou­velle appréhen­sion du vivant et du non-vivant, le plas­ti­cien argentin Tomás Saracéno s’inspire de la chaîne causale des écosys­tèmes. Il la conçoit comme une struc­ture hor­i­zon­tale, où tous les êtres vivants – assem­blages hybrides plutôt qu’individus atom­iques – seraient reliés à un réseau de vie com­plexe. Il s’entoure d’un réseau de col­lab­o­ra­teurs de dis­ci­plines divers­es, philoso­phie, soci­olo­gie, anthro­polo­gie, musique, étholo­gie, ingénierie, astro­physique, et toutes ces approches et formes d’expertises s’imbriquent dans un tra­vail à la lim­ite de tous les domaines, par-delà l’esthétique, en vue d’un regard com­mun. 

L’expérience pro­posée au spec­ta­teur est celle de l’immersion dans l’écosystème foresti­er. En Ama­zonie, alors qu’il est aidé par des chamans qui le guident dans l’accession à des univers par­al­lèles inac­ces­si­bles, il perçoit, d’un coup, un paysage sonore d’une com­plex­ité telle qu’il fera de cette per­cep­tion éclatée l’objet de son expo­si­tion au Palais de Tokyo en 2018. On Air1 se décline comme un écosys­tème en mou­ve­ment, une expéri­ence cog­ni­tive qui touche tant à l’ouïe qu’au visuel, la présence du spec­ta­teur impac­tant sur des paysages vibra­toires. 

Dans un autre reg­istre, l’expérience de collabo­ration en réseau et l’expérience phéno­méno­logique d’immersion se retrou­ve dans The Encounter2, spec­ta­cle solo de Simon McBur­ney, inspiré de la vie du pho­tographe Loren McIn­tyre à la recherche de la tribu des May­oruna, les hommes-félins qui vivent aux sources de l’Amazonie, dans la val­lée de Javari. Entouré d’une équipe d’ingénieurs du son, de sci­en­tifiques et de spé­cial­istes des sci­ences cog­ni­tives, Simon McBur­ney crée un spec­ta­cle pol­y­sen­soriel dans lequel le spec­ta­teur, face à un dis­posi­tif scénique min­i­mal­iste et muni d’un casque audio, est en immer­sion totale avec un réc­it ini­ti­a­tique touchant à l’origine du temps et l’univers sonore de la forêt ama­zoni­enne.

L’Amazonie, forêt de prédilection

Men­acées d’extinction, les forêts nous ren­voient à notre pro­pre men­ace de dis­pari­tion. Des images trau­ma­ti­santes de déforesta­tion mas­sive, des incendies de plus en plus nom­breux, de la Cal­i­fornie à l’Australie, de l’Amazonie à la Sibérie hantent nos con­sciences angois­sées et coupables. Étrange­ment, les images de déso­la­tion, celles d’une forêt rav­agée, dévastée, brûlée, sont peu évo­quées dans les nou­velles créa­tions lyriques. En réponse à son extinc­tion, l’opéra exalte l’éveil d’une con­science nou­velle. Il chante la beauté des arbres, hon­ore les indigènes – véri­ta­bles gar­di­ens du lieu sacré qu’est la forêt – et pro­pose, comme les exem­ples précé­dents, l’immersion comme con­cept esthé­tique, avec une per­cep­tion pol­y­sen­sorielle de l’écosystème foresti­er. 

L’opéra Ine Aya’, voix d’une forêt en déclin3 du com­pos­i­teur indonésien Nur­sal­im Yadi Anuger­ah et de la libret­tiste néer­landaise Miran­da Lak­erveld racon­te la régres­sion ful­gu­rante de la forêt trop­i­cale du Kali­man­tan, par­tie indonési­enne de l’île de Bornéo : des incendies volon­taires, des feux de tourbe per­sis­tants et la cul­ture du palmi­er à huile accélèrent sa dis­pari­tion. Dans une nar­ra­tion mêlant la nature roman­tique du Ring wag­nérien à la poésie orale du peu­ple Kayan – l’épopée Tak­na ‘Lawe’ –, cet opéra mul­ti­cul­turel invoque le respect de la nature et chante ses bien­faits. Les déess­es de la terre, la Nordique Erda et l’Indonésienne Ine Aya, sont témoins de la destruc­tion du Frêne du monde (Yggdrasil) et de l’arbre sacré Kayo « Aya ». Voué à la mort, l’arbre sym­bol­ique sera pro­tégé par les nou­velles généra­tions. 

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Leyli Daryoush
Leyli Daryoush
Leyli Daryoush est musicologue de formation et docteure en études théâtrales. Dramaturge, chercheuse, spécialiste de l’opéra,...Plus d'info
Miron Hakenbeck
Miron Hakenbeck est dramaturge au Staatsoper Stuttgart et travaille régulièrement comme dramaturge avec Krzysztof Warlikowski.Plus d'info
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