L’écosystème de la forêt n’est pas seulement un espace interactif, avec de puissants liens de causalités entre les activités organiques des différentes espèces, il est un environnement dont l’expérience sollicite tous nos sens : les bruits de la forêt, des oiseaux qui chantent au murmure du vent ; l’odeur de la terre, des arbres et des sous-bois ; l’infinie variation de la lumière du soleil ; les sensations tactiles provenant de la pluie, du vent, des feuillages et des troncs d’arbres, c’est une véritable immersion sensorielle pour qui s’enfonce au plus profond de la forêt !
L’écosystème forestier, une expérience du réseau et de l’immersion
Face à l’effondrement des écosystèmes à l’heure de l’Anthropocène, les collaborations artistiques à l’image de l’interdépendance relationnelle des écosystèmes (dont celui de la forêt) se multiplient. Ainsi, en quête d’une nouvelle appréhension du vivant et du non-vivant, le plasticien argentin Tomás Saracéno s’inspire de la chaîne causale des écosystèmes. Il la conçoit comme une structure horizontale, où tous les êtres vivants – assemblages hybrides plutôt qu’individus atomiques – seraient reliés à un réseau de vie complexe. Il s’entoure d’un réseau de collaborateurs de disciplines diverses, philosophie, sociologie, anthropologie, musique, éthologie, ingénierie, astrophysique, et toutes ces approches et formes d’expertises s’imbriquent dans un travail à la limite de tous les domaines, par-delà l’esthétique, en vue d’un regard commun.
L’expérience proposée au spectateur est celle de l’immersion dans l’écosystème forestier. En Amazonie, alors qu’il est aidé par des chamans qui le guident dans l’accession à des univers parallèles inaccessibles, il perçoit, d’un coup, un paysage sonore d’une complexité telle qu’il fera de cette perception éclatée l’objet de son exposition au Palais de Tokyo en 2018. On Air1 se décline comme un écosystème en mouvement, une expérience cognitive qui touche tant à l’ouïe qu’au visuel, la présence du spectateur impactant sur des paysages vibratoires.
Dans un autre registre, l’expérience de collaboration en réseau et l’expérience phénoménologique d’immersion se retrouve dans The Encounter2, spectacle solo de Simon McBurney, inspiré de la vie du photographe Loren McIntyre à la recherche de la tribu des Mayoruna, les hommes-félins qui vivent aux sources de l’Amazonie, dans la vallée de Javari. Entouré d’une équipe d’ingénieurs du son, de scientifiques et de spécialistes des sciences cognitives, Simon McBurney crée un spectacle polysensoriel dans lequel le spectateur, face à un dispositif scénique minimaliste et muni d’un casque audio, est en immersion totale avec un récit initiatique touchant à l’origine du temps et l’univers sonore de la forêt amazonienne.
L’Amazonie, forêt de prédilection
Menacées d’extinction, les forêts nous renvoient à notre propre menace de disparition. Des images traumatisantes de déforestation massive, des incendies de plus en plus nombreux, de la Californie à l’Australie, de l’Amazonie à la Sibérie hantent nos consciences angoissées et coupables. Étrangement, les images de désolation, celles d’une forêt ravagée, dévastée, brûlée, sont peu évoquées dans les nouvelles créations lyriques. En réponse à son extinction, l’opéra exalte l’éveil d’une conscience nouvelle. Il chante la beauté des arbres, honore les indigènes – véritables gardiens du lieu sacré qu’est la forêt – et propose, comme les exemples précédents, l’immersion comme concept esthétique, avec une perception polysensorielle de l’écosystème forestier.
L’opéra Ine Aya’, voix d’une forêt en déclin3 du compositeur indonésien Nursalim Yadi Anugerah et de la librettiste néerlandaise Miranda Lakerveld raconte la régression fulgurante de la forêt tropicale du Kalimantan, partie indonésienne de l’île de Bornéo : des incendies volontaires, des feux de tourbe persistants et la culture du palmier à huile accélèrent sa disparition. Dans une narration mêlant la nature romantique du Ring wagnérien à la poésie orale du peuple Kayan – l’épopée Takna ‘Lawe’ –, cet opéra multiculturel invoque le respect de la nature et chante ses bienfaits. Les déesses de la terre, la Nordique Erda et l’Indonésienne Ine Aya, sont témoins de la destruction du Frêne du monde (Yggdrasil) et de l’arbre sacré Kayo « Aya ». Voué à la mort, l’arbre symbolique sera protégé par les nouvelles générations.