Maisons d’opéra au bord de l’eau

Opéra
Réflexion
Portrait

Maisons d’opéra au bord de l’eau

Le 14 Sep 2021
Le Théâtre de la Fenice de Venise, entrée par le canal. Photo DR.
Le Théâtre de la Fenice de Venise, entrée par le canal. Photo DR.

A

rticle réservé aux abonné.es
Le Théâtre de la Fenice de Venise, entrée par le canal. Photo DR.
Le Théâtre de la Fenice de Venise, entrée par le canal. Photo DR.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 144-145 - Opéra et écologie(s)
144 – 145

À l’instar de l’eau, qui vient à man­quer à cause de l’augmentation rapi­de de la pop­u­la­tion mon­di­ale et de nos modes de con­som­ma­tion, l’art, qui nous manque depuis quelques mois à cause des restric­tions san­i­taires, est une néces­sité pour la bonne san­té de l’être humain. Sans eau notre corps dépérit – sans art, c’est notre âme qui se fane. Mais l’importance de l’eau ne s’arrête pas au besoin physique qu’elle représente pour l’homme, elle est égale­ment un élé­ment qui lui a per­mis de s’ouvrir au monde. L’installation des indi­vidus au bord de l’eau les a encour­agés à se déplac­er et à se con­fron­ter à l’altérité et à ce titre, les ports sont devenus des points de ren­con­tre, des lieux d’échange et d’ouverture. Le théâtre rem­plit ces mêmes fonc­tions. Les his­toires qu’il racon­te sont autant d’opportunités de décou­verte, de rav­i­taille­ment pour le cœur, d’éveil à l’autre. 

Dans un con­texte où la con­science envi­ron­nemen­tale va crois­sant, on peut se deman­der quel rap­port les théâtres entre­ti­en­nent avec l’eau qui les bor­de. Nous avons fait un petit voy­age dans trois théâtres d’opéra européens qui se trou­vent au bord de l’eau. Venise, Ams­ter­dam, Oslo. Chemin à par­courir, men­ace ou source d’inspiration, l’eau est respec­tée, util­isée, crainte, chérie. Chaque ville et chaque théâtre vivent l’eau à leur manière.

La Fenice, au gré des éléments 

Venise, ville sur l’eau et ville d’art, héberge en son cen­tre, à deux pas de la place Saint-Marc, le Gran Teatro La Fenice, un des plus fameux théâtres lyriques ital­iens, inau­guré en 1792. Con­stru­it à la place du Teatro San Benedet­to qui dis­parut dans un incendie, son nom, La Fenice (le Phoenix) fait référence à l’oiseau mythologique qui renaît de ses cen­dres. Ce théâtre au nom mal­heureuse­ment prophé­tique a en effet été détru­it deux fois par les flammes – une pre­mière fois en 1836 et une sec­onde en 1996 – mais a tou­jours été recon­stru­it pour resplendir de plus belle.1 Loin d’être une préoc­cu­pa­tion réservée au théâtre, la crainte du feu, général­isée à Venise, a poussé à délo­calis­er toutes les indus­tries néces­si­tant des fours sur les îles périphériques de la ville, comme les fameuses ver­reries, dès le XIIIe siè­cle. Mais cette peur est dou­blée d’une men­ace aqua­tique, liée aux marées de l’Adriatique qui, lorsqu’elles sont hautes, peu­vent immerg­er les par­ties bass­es de la ville. 

La dernière forte mon­tée des eaux a eu lieu en novem­bre 2019, où l’eau avait atteint 1,87 m de hau­teur et s’était infil­trée dans les sous-sol du théâtre, endom­mageant des équipements notam­ment élec­triques. À dix jours de l’ouverture de sai­son avec Don Car­lo de Ver­di, les répéti­tions avaient été trans­férées au Teatro Comu­nale de Trévise pen­dant que les tech­ni­ciens tra­vail­laient jour et nuit pour répar­er les dégâts causés par la marée. Jusqu’à la veille de la représen­ta­tion, le théâtre avait craint une récidive. Venise est plus vul­nérable face aux pics de la marée, appelée acqua alta en ital­ien, à cause de son emplace­ment géo­graphique dans la lagune qui peut empêch­er la mer de se retir­er lors des marées de forte ampli­tude si l’action des vents est défa­vor­able.

En 1966, la Sérénis­sime avait fail­li être engloutie par les eaux lors de la plus ter­ri­ble acqua alta de son his­toire qui avait atteint 1,97 m de hau­teur. La marée avait fait céder les digues qui pro­tégeaient l’île de Pellest­ri­na con­stru­ites 200 ans aupar­a­vant et plus de 3000 habi­tants avaient dû aban­don­ner l’île en toute urgence. En 2016, 50 ans plus tard, La Fenice avait ouvert sa sai­son avec Aqua­gran­da, un opéra com­posé par Fil­ip­po Per­oc­co, sur un livret de Rober­to Bianchin et Lui­gi Ceran­to­la basé sur le roman du même Bianchin, rela­tant le drame vécu alors qu’il était étu­di­ant. L’opéra com­mandé par la Fenice voulait com­mé­mor­er la tragédie de 1966 par une œuvre infil­trée de toute part par l’eau. Sur le plan musi­cal, Fil­ip­po Per­oc­co évoque la présence con­tin­ue de la mer : l’utilisation de dis­tor­sions élec­tron­iques des sons de l’orchestre et de la pédale de réson­nance sur le piano ser­vent à créer un effet de vague inin­ter­rompue, une cyclic­ité con­tin­ue comme le flux de l’eau, véri­ta­ble pro­tag­o­niste de l’opéra. La présence de l’élément-personnage est exaltée par la mise en scène de Pao­lo Fan­tin : une sorte d’aquarium sus­pendu au-dessus de la scène se rem­plit pro­gres­sive­ment et sug­gère l’idée de la marée mon­tante. Soudain, au moment de la nar­ra­tion où la digue est détru­ite par les eaux, les pro­tag­o­nistes et le chœur se taisent et le con­tenu du récep­ta­cle se déverse sur scène dans une cas­cade toni­tru­ante. L’eau prend une dimen­sion red­outable et dévas­ta­trice, un élé­ment craint et respec­té à l’image de la per­cep­tion que peu­vent en avoir les Véni­tiens lors de marées par­ti­c­ulière­ment hautes. 

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Opéra
Réflexion
Portrait
Opéra d'Oslo
Opéra National des Pays-Bas
Gran Teatro La Fenice
3
Partager
Celia Grau
Celia Grau coordonne entre autres le Forum durabilité au sein d’Opera Europa, réseau européen de...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements