Un dimanche après-midi dans le parc derrière Wolubilis à Bruxelles, plein d’enfants, de chiens, d’adultes, parents ou non, de poussettes (le contexte a son importance). Au milieu d’une allée, un chapiteau bleu comme la mer, ou comme certaines nuits, et dedans la scène de Viens, on se tire !, emplie des bruits du dehors. Nous sommes une vingtaine de spectateur·ice·s, dans ce théâtre de toile à même le bitume, avec pour seule compagnie une malle en fer qui semble traîner sur un coin du plateau. Et puis tout se passe très vite : deux personnes entrent, crâne ras, cravate, jean, tee-shirt et derbies noires, avec un vélo chargé de valises. Elles sont agitées, elles ne parlent pas avec des mots. On comprend qu’elles sont ici pour fuir et ce chapiteau semble être le point de départ de leur échappée. Elles s’assurent que les issues sont bien fermées, l’une d’elles coince sa cravate dans la fermeture de la porte. D’ailleurs elles s’en débarrassent, de leurs cravates, les jettent à terre, sautent dessus à pieds joints, dansent de joie, libérées des injonctions étouffantes du monde du travail. Le ton de la théâtralité est donné : le jeu est physique, les corps sont lestes, précis et puissants. Leur objectif : ne pas se faire repérer. Lorsqu’elles notent notre présence, d’abord inquiètes, elles nous mettent rapidement dans la confidence de leur fuite : nous voici complices de leur délit. Tout semble paré pour le départ. Un bruit attire leur attention. Il vient de cette malle en fer posée là par terre. Non sans peur, elles s’arment de courage et l’ouvrent : à l’intérieur, un petit humain de la taille d’une main appose mécaniquement un cachet à des documents. Elles plongent alors dans ce mini-monde (et nous avec), métaphore des vies étriquées et sensitivement misérables proposées par le capitalisme – boulot, trajet, télé, dodo. La vie de ce petit humain tourne autour de trois lieux au dessin épuré et poétique : le bureau (une table et des liasses de papier), le parc (de l’herbe avec au milieu un banc) et l’appartement (une télévision, un meuble, un fauteuil et une plante). La scénographie lie habilement ces trois espaces – le parc chassant l’appartement, le bureau chassant le parc… – comme s’ils étaient les composants d’une grande roue que le petit humain faisait péniblement tourner, jour après jour, sautant d’une nacelle à l’autre. La création sonore travaille à une évocation stylisée des différents espaces : sonneries de téléphone répétitives et brouhaha d’open space, chants d’oiseaux, etc. Dans son appartement, une fois sa cravate aimantée clipsée dans son meuble, le petit humain s’occupe de sa plante, il la sent, l’arrose. Le temps suspend son cours, un air d’accordéon très lent se fait entendre. La tendre et lumineuse mélancolie de ce moment rappelle certains films animés, comme Le Roi et l’oiseau de Paul Grimault. Il y a beaucoup de jeu et de plaisir d’invention dans la succession subtilement rythmée des journées de ce petit humain. La découverte par ce dernier des deux êtres qui l’accompagnent est l’occasion de nouveaux jeux : ensemble, iels subvertissent cette routine, découvrent et explorent les failles spatio-imaginaires du quotidien… Une puissance mystérieuse et terrifiante finit par les rappeler à l’ordre. La machine-routine s’emballe alors jusqu’à épuisement total dans un combat acharné entre nos trois personnages et cette puissance. Les deux êtres et le petit humain finissent par se tirer, dans une dernière et sublime image, nous donnant terriblement envie de nous échapper avec elleux. Au jeu, à la manipulation et à la régie (son et lumière), Céline Dumont et Pauline Serneels sont parfaitement autonomes, leurs besoins techniques se résumant à une simple prise électrique. Premier spectacle de la compagnie de théâtre d’objets et de marionnettes La Corneille bleue, conçu et mis en scène par Céline Dumont, Viens, on se tire ! est impressionnant de virtuosité et d’inventivité technique.
Baby Macbeth est un spectacle d’objets en vieil anglais de la compagnie bruxelloise Gare centrale, créé en 2017. Il est…