Les formes orphelines

Théâtre
Réflexion

Les formes orphelines

Le 13 Fév 2023
Par autan, spectacle du Théâtre du Radeau, 2022, mise en scène et scénographie François Tanguy. Avec Frode Bjørnstad, Samuel Boré, Laurence Chable, Martine Dupé, Erik Gerken, Vincent Joly, Anaïs Muller. Photo Jean-Pierre Estournet.
Par autan, spectacle du Théâtre du Radeau, 2022, mise en scène et scénographie François Tanguy. Avec Frode Bjørnstad, Samuel Boré, Laurence Chable, Martine Dupé, Erik Gerken, Vincent Joly, Anaïs Muller. Photo Jean-Pierre Estournet.

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Par autan, spectacle du Théâtre du Radeau, 2022, mise en scène et scénographie François Tanguy. Avec Frode Bjørnstad, Samuel Boré, Laurence Chable, Martine Dupé, Erik Gerken, Vincent Joly, Anaïs Muller. Photo Jean-Pierre Estournet.
Par autan, spectacle du Théâtre du Radeau, 2022, mise en scène et scénographie François Tanguy. Avec Frode Bjørnstad, Samuel Boré, Laurence Chable, Martine Dupé, Erik Gerken, Vincent Joly, Anaïs Muller. Photo Jean-Pierre Estournet.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 148 - Arts vivants. Cirque marionnette espace public - Alternatives Théâtrales
148

Le pro­pre du théâtre au xxe siè­cle vient du renou­veau cyclique, de la méta­mor­phose per­ma­nente : aucune forme ne le représente à part entière. Par con­tre, il se définit par la per­pétuelle trans­for­ma­tion due à des moti­va­tions internes, stricte­ment esthé­tiques, et à des moti­va­tions externes, l’Histoire, la pen­sée envi­ron­nante, bref les déter­min­ismes du con­texte général. Trois fois dans le siè­cle les mod­èles étab­lis et les pra­tiques recon­nues ont explosé au prof­it d’une con­stel­la­tion de mou­ve­ments, actes, œuvres non iden­ti­fi­ables, réfrac­taires à l’ordre habituelle­ment recon­nu. Dans les années 1920, dans les années 1960 et à la fin du xxe siè­cle. Il y a une récur­rence cyclique. Un retour des défla­gra­tions. 

Au théâtre des années 1980 saisi par la poé­tique de la mémoire, celle du texte autant que du lieu, à ce théâtre-là, qui s’immisce dans des formes voisines, opéra, danse, suc­cède à par­tir des années 1990 un phénomène d’explosion qui con­teste l’ancienne homogénéité. Nom­breux sont les artistes qui s’affranchissent du texte et met­tent en cause le statut de sa représen­ta­tion au prof­it de l’immédiateté de l’acte et d’une var­iété de la matière théâ­trale. Le recours aux nou­veaux médias comme aux nou­velles tech­nolo­gies affecte l’identité même des pro­duc­tions scéniques, pro­duc­tions qui, de plus en plus, débor­dent le genre et les caté­gories préal­able­ment réper­toriées. Un tra­vail d’hybridation pro­gram­ma­tique définit bon nom­bre d’initiatives actuelles qui finis­sent ain­si par pro­duire des formes orphe­lines, dans le sens où l’on par­le des mal­adies orphe­lines : formes incon­nues, étranges, réfrac­taires aux caté­gories habituelles.

On observe une volon­té de muta­tion, deux fois déjà opérée dans le siè­cle, muta­tion qui con­siste à ébran­ler les déf­i­ni­tions et à s’adapter à l’esprit d’une époque. Ces formes orphe­lines, mal­gré leur diver­sité, per­me­t­tent quand même de dégager cer­taines con­stantes : le goût pour l’impur, la rapid­ité de la per­cep­tion, l’attrait pour le super­flu et le dérisoire, la con­fronta­tion avec le vide. Car, au plus pro­fond de ce nuage d’étoiles filantes, nous pou­vons iden­ti­fi­er un même refus de tran­scen­dance. Tran­scen­dance non pas mys­tique, mais tran­scen­dance dans le sens d’une valeur qui débor­de l’acte dans son expres­sion directe : l’éclatement extrême auquel nous sommes con­fron­tés s’explique par la lucid­ité des artistes con­tem­po­rains qui enten­dent se dérober à toute illu­sion et per­spec­tive au-delà du faire, ici et main­tenant. Et ain­si resur­git le besoin de présence dans son expres­sion la plus con­crète, « présence » non pas dans le sens artau­di­en, mais présence où corps et images per­turbent récipro­que­ment toute pureté au prof­it d’une expéri­ence métis­sée comme dou­ble du monde dépourvu de la moin­dre cohérence. Un monde où les fron­tières sont « liq­uides », selon la for­mule de Zyg­munt Bau­man, per­met égale­ment une libéra­tion et un perte/refus d’identité des êtres autant des arts. Nous entrons dans l’ère de l’interdisciplinarité. Les arts comme les êtres émi­grent et la loi sem­ble être celle de la dis­sémi­na­tion. La forme orphe­line sera à jamais le résul­tat du courage de mix­er ce qui aupar­a­vant était réputé autonome et isolé. Une guerre est engagée con­tre la tra­di­tion et la charge polémique est indis­cutable. C’est d’un com­bat qu’il s’agit. Le but con­siste dans la volon­té de désta­bilis­er afin de redonner une dynamique vitale aux formes héritées et ain­si, dans la rue, au cirque, dans les stu­dios de danse, les formes orphe­lines s’emploient à inoculer le virus du désor­dre comme chance d’un renou­veau rad­i­cal. 

Print­emps 2002…

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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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